Nous sortons une nouvelle fois des sentiers balisés avec cet album de Joachim Kühn enregistré à Hambourg au mois de janvier 69, mais qu’importe, le jazz Européen a tout à fait sa place ici. Joachim Kühn est né en Allemagne de l’est, bientôt il passe à l’ouest pour rejoindre son frère Ralph Kühn avec lequel il enregistre. D’une formation classique il s’intéresse principalement au jazz et aux musiques libres où sa virtuosité excelle. Européen il l’est dans l’âme, à l’image du trio qu’il anime, Aldo Romano, à la batterie, est italien et Jean-François Jenny-Clark, à la basse, est français. Ces deux-là sont inséparables et forme un duo d’une très grande complicité. Bien vite Joachim Kühn se lie d’amitié avec les deux compères et les membres du trio ainsi formé ne cesseront plus de se croiser tout au long de leurs carrières musicales.


Ce qui caractérise le trio avant tout c’est l’extrême liberté des musiciens qui le composent, toutefois cette liberté reste très organisée, ici l’auditeur est choyé et rarement violenté ou désarçonné, il peut se raccrocher sans cesse aux nombreuses branches qui balisent la musique : morceaux pas très longs, mélodies addictives, thèmes accrocheurs, citation opportune (El Dorado), rythmes parfois très rock… Il ne faut pas oublier qu’en cette année 69 est sorti « Dear prof. Leary » album de Barney Wilen sur lequel jouait Joachim Kühn et Aldo Romano, cet enregistrement est pionnier dans un genre qui saura faire école : le Free-Rock ! Il faut y voir la manifestation d’une plus grande ouverture d’esprit et d’une curiosité musicale parfaitement saine, même si l’ombre d’une musique plus « commerciale » sera agitée par les puristes… Méfions-nous de la « pureté » et de la « race », la richesse, amateurs de jazz nous le savons, provient de la diversité et des échanges.


Pourtant, avec « Sounds of feelings » nous sommes également plongés dans la modernité, le free, les dissonances et même l’atonalité. Depuis quelques temps Joachim Kühn s’est entiché du saxophone alto dont il joue tous les jours et à chaque concert, sur « Western meaning » il se livre à un exercice salutaire et bien déjanté… De même son piano s’échappe volontiers des grilles stéréotypées et s’en va explorer les territoires mouvants, il en est de même pour Aldo et Jean-François qui ne sont pas en reste, comme l’atteste la folie qui s’empare de « In the middle of the way » où tout semble soudain hors contrôle, comme au beau milieu d’une danse tribale ou d’une cérémonie d’exorcisme …


Le dernier morceau « Wellcome » est un hommage à John Coltrane qui a composé le thème. « Quand un musicien cherche, il passe toujours par John Coltrane » dit Joachim Kühn qui a trouvé sa voie, une voie médiane, européenne, bercée par un énorme lyrisme qui emplit sa musique. Joachim Kühn joue toujours, comme un soir à Porquerolles, en duo avec Archie Shepp, beau et émouvant à pleurer…


Un bien bel album.

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le 7 mars 2017

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