Ramblin'
Ramblin'

Album de Paul Bley (1969)

Malgré les apparences cet album se distingue des autres dans la série. Il n’a pas été enregistré à Paris en 1969 comme la majeure partie des autres productions, mais à Rome en 1966. Paul Bley vient de céder à BYG les droits de diffusion et il est décidé de sortir cet album dans la série « Actuel ». La musique qu’il contient peut également s’estimer plus sage, plus douce et polie que la plupart des autres sorties de la série. On connaît le cheminement de Paul Bley, toujours un peu à la marge, ses enregistrements aux côtés d’Ornette sont restés fameux, il a joué free et a été membre de la Jazz Composers Guild qui deviendra bientôt la JCOA.


Il nous livre ici un album en trio : piano, basse, batterie, formule souvent choisie par les pianistes. Que dire ? Sinon que les amateurs du genre sont vraiment copieusement gâtés sur cet album, Paul Bley s’y montre subtil et particulièrement inspiré. Il ne signe qu’un seul titre, Mazatalon, le dernier titre du disque. Ramblin’ est d’Ornette Coleman, Ida Lupino de Carla Bley et les trois derniers sont d’Annette Peacock, même si une erreur sur la pochette crédite indûment Carla Bley pour le somptueux « Albert’s love theme ».


Ce titre, en hommage à Albert Ayler, résume assez bien à lui-seul la manière de faire de Paul Bley. L’exposé du thème au piano est chaotique et hésitant, quelques dissonances accentuées par la basse dramatisent l’introduction. Puis, Barry Altschul, caressant les cymbales, tisse en toile de fond un effet sonore uniforme et continu, évoluant lentement par petites touches subtiles. Les formes semblent s'étirer, se déplacer avec une infinie lenteur, tout en hésitation et petit pas… Une tension, tout d’abord imperceptible, habite peu à peu les notes qui tombent avec force, ménageant la surprise de leur couleur, de leur forme et de leur densité. Cette stratégie du détour et de l’attente confine au sublime, les 9minutes et 23 secondes qui s’égrainent au ralenti, passent paradoxalement à une vitesse folle, là se trouvent le génie de Paul Bley, soudain devenu maître du temps.


Ida Lupino dont le thème ressemble à une chanson très simple, pleine de rebondissement mélodique, de force et de puissance, s’effrite lentement sous les doigts du pianiste qui instille un lyrisme inattendu, avant de rassembler les morceaux épars en une nouvelle formulation du thème.
Avec Ramblin’ on peut mesurer l’inventivité du maître sur tempo rapide, il joue à nous surprendre au détour d’une formule, d’une répétition de notes, d’un parcours inattendu qui démarre à un endroit et nous emmène imperceptiblement à un autre, très différent. Les accompagnateurs sont à la fête et brillent de mille feux, l’équilibre du trio est fantastique.


Retour au rêve avec Touching , nous voilà dans un monde flottant, aérien, molles sensations et graves vibrations. Cet univers onirique, fragile et d’une très grande sensibilité ne sera pas sans influencer les plus grands, on ne peut s’empêcher de penser par exemple à Keith Jarrett qui saura prendre la voie.


Paul Bley qui joua autrefois aux côtés de Charlie Parker, d’Art Blakey, d’Ornette Coleman ou de Charlie Mingus joue encore aujourd’hui, son dernier album, Play Blue, sorti l’année dernière sur ECM, est également de toute beauté…

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le 7 mars 2017

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