Recorded live at the Fillmore East, N.Y. - du 17 au20 juin 70 - Columbia – CG 30038


Cet album a été enregistré environ deux mois après « A tribute to Jack Johnson » mais a été publié à l’époque juste après Bitches Brew, il en exprimait donc la continuité. Bitches Brew s’étant particulièrement bien vendu, « At Fillmore » bénéficiera d’un lancement publicitaire porté par de gros moyens engagés de la part de Columbia. Son tirage sera également très important, il est donc aisé de se le procurer sous sa forme originale encore aujourd’hui. A tribute to jack Johnson, pourtant d’un accès plus facile car plus immédiat, plus rock, ne bénéficiera, lui, paradoxalement, d’aucun soutien commercial…


Cette proximité avec Bitches Brew se manifeste particulièrement, dans la forme et dans la production. Téo macéro est aux manettes et, plus qu’un autre, « ce live » n’en est pas tout à fait un. Tout a bien été enregistré en public, bien sûr, mais le travail en studio a été particulièrement minutieux, les ciseaux et les collages ont particulièrement fonctionné, en comparaison, Black Beauty est beaucoup plus naturel et conforme à la réalité d’un live. Pour s’en convaincre il suffit d’observer les titres des morceaux tels qu’ils sont apparus alors sur la pochette :


1/ Wednesday Miles (24:17)
2/ Thursday Miles (26:57)
3/ Friday Miles (27:58)
4/ Saturday Miles (22:25)


Voici maintenant comment ils sont apparus sur un double CD parus des années plus tard :


CD 1
1. Wednesday Miles: Directions
2. Wednesday Miles: Bitches Brew
3. Wednesday Miles: The Mask
4. Wednesday Miles: It's About That Time
5. Wednesday Miles: Bitches Brew/The Theme
6. Thursday Miles: Directions
7. Thursday Miles: The Mask
8. Thursday Miles: It's About That Time


CD 2
1. Friday Miles: It's About That Time
2. Friday Miles: I Fall In Love Too Easily
3. Friday Miles: Sanctuary
4. Friday Miles: Bitches Brew/TheTheme
5. Saturday Miles: It's About That Time
6. Saturday Miles: I Fall In Love Too Easily
7. Saturday Miles: Sanctuary
8. Saturday Miles: Bitches Brew
9. Saturday Miles: Willie Nelson/The Theme


Le travail de Téo Macéro s’affiche clairement, certains titres apparaissent quatre fois, mais à l’écoute l’auditeur n’en prend pas conscience. La première raison, c’est que d’un soir à l’autre la musique change et n’est jamais la copie conforme de la veille, la seconde raison c’est que Téo n’a pas cherché à rendre (comme sur Black Beauty) les thèmes et les morceaux identifiables, mais a privilégié une unité artistique comparable au travail exécuté sur Bitches Brew. Le résultat final est stupéfiant et d’une très grande beauté, mais il demande une grande attention de la part de l’auditeur, ce qui en fait un album assez difficile à appréhender.


Côté groupe de scène, on retrouve une ossature habituelle avec jack DeJohnette à la batterie, Dave Holland à la basse, Chick Coréa au piano électrique et Airto Moreira aux percussions, le saxophoniste Steve Grossman, arrivé depuis avril, effectue ici son dernier enregistrement et sera bientôt remplacé par Gary Bartz, la principale nouveauté c’est l’arrivée de Keith Jarrett, le plus souvent à l’orgue farsifa (à gauche) qui double le piano de Chick Corea (à droite). Pour ce qui est du répertoire « live » on entend pour la première fois des versions du standard «The Theme » et de «The Mask ».


Sans surprise, les moments les plus intenses sont ceux où Miles Davis s’exprime en solo, bien soutenu par le groupe. Son sens de la concision fait merveille, chacune de ses interventions est intense, pure et semble intemporelle. Il est en pleine possession de ses moyens, au meilleur de sa créativité et joue avec une densité exceptionnelle. Pas nécessairement en virtuose véloce, comme le faisaient autrefois Clifford Brown ou Fats Navarro, mais souvent en jouant avec les espaces et les silences. Le « son » de son instrument agit tel un récepteur de « l’inouï » dans l’espace.


Il est bien soutenu en cela par Jack DeJohnette et Dave Holland. Très carré, Jack déploie une activité de métronome, épousant la volonté de Miles de produire un son très funk sans pour autant se contenter d’un rythme binaire perpétuel. Il peut aussi devenir créateur et montre qu’il sait dialoguer avec ses partenaires et décrocher des rythmes fixes. En cela il s’entend à merveille avec Dave Holland, celui-ci est particulièrement brillant en solo, il s’y montre innovant et inventif, particulièrement quand l’opportunité lui est donnée de sortir d’un cadre funky trop rigide, il aime prendre de la distance avec une trop grande simplification rythmique. Airto Moreira se montre zélé, non seulement aux percussions mais aussi en intervenant sur différentes flûtes ou sifflets, ajoutant des couleurs essentielles ici.


L’absence de guitare est sans doute dommageable. John Mc Laughlin avait su se montrer un élément tellement important dans la création du « son » de Miles qu’il manque, malgré l’arrivée de Keith Jarrett. Celui-ci se montre un interlocuteur avisé de Chick Coréa (qui n’aura jamais joué aussi bien qu’avec Miles). Aux côtés de Charles Lloyd, Keith jouait même alors, de temps en temps, dans un registre free, il ne faut donc pas s’étonner de le voir ici s’encanailler aux côtés de Chick pour apporter un grain de folie à cette musique. Certains le regretteront peut-être, mais pour d’autres ce sera pur bonheur, il sait aussi, à l’occasion se montrer délicieusement « funky ».


Quatre concerts condensés chacun en une face, pour y entendre le meilleur. Moins immédiat que Black Beauty, il n’en est pas moins indispensable.

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le 10 mars 2016

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