Max Roach, Archie Shepp - Force (1976)


Un album qui peut paraître aujourd’hui un peu étrange, surtout de nos jours, où on s’habitue à juger le passé à la lumière de nos valeurs d’aujourd’hui. Pourtant lors de sa sortie, en mille neuf cent soixante-seize, il semblait plutôt d’avant-garde et ne paraissait ringard, ni par sa pochette, ni pour les messages qu’il véhiculait. Je me le suis procuré à l’époque, pour l’amour du jazz, de Shepp mais aussi pour ce qu’il célébrait.


Le neuf septembre 1976 la mort de Mao coïncidait avec les soulèvements en Afrique du Sud, d’où cette proximité, sur la pochette, entre le paisible timonier brassant et ce poing érigé signifiant la lutte des noirs défendant leurs droits. Ces deux événements semblaient alors évoquer le même idéal de justice et de liberté. On comprend bien que le temps a livré un autre verdict, mais alors, Mao semblait « progressiste » et défendre de nobles principes.


Les notes de pochette intérieures sont très révélatrices de la vision du moment, elles se terminent par cette phrase : « Après avoir écouté ce disque, vous serez épuisés, mais vous aurez réussi à associer des émotions et des idées tout en ayant avancé dans la lumière de l’histoire contemporaine. » Je me dis parfois que ces prises de position peuvent expliquer, à postériori, le peu de notoriété de cet album et sa relative rareté.


Il est intéressant d’ailleurs de remarquer que les rééditions existantes, japonaises ou allemandes, proposent une pochette différente, ce qui semble significatif, pour ma part je leur préfère la pochette originale française, bien dans son époque. Je ne l’ai pas indiqué mais l’album est sorti chez « UNITELEDIS », un label créé en mille neuf cent soixante-treize par le Parti Socialiste ! On y trouve d’ailleurs un autre totem de Shepp, l’excellent « À Massy - U-Jaama "Unité" ».


Musicalement ce duo batterie/ténor est l’un des plus réussis. C’est un double LP, il comprend donc deux titres, le premier « Sweet Mao » qui contient trois mouvements, chacun correspondant à une face de l’album dont le thème général est « La longue marche ». Le premier mouvement se nomme "1La Préparation", le deuxième "2La Marche" et le troisième "3Le Commencement". Chaque face dépasse les seize minutes. La dernière face est consacrée à « Suid Afrika 76 », elle dépasse les dix-neuf minutes.


On parle d’épuisement dans les notes de conclusion, il y a du vrai, car l’album est très tendu, très intense, bien que Shepp ne monte guère dans le cri, son souffle sans cesse renouvelé semble inépuisable, il chauffe la braise et attise le feu sans sembler jamais vouloir stopper. Seules les introductions et les conclusions sont accordées à la seule batterie.


Il faut dire que son compère le vieux Max Roach est un véritable roc, il maintient une telle puissance et montre une telle énergie que le flux propulsé semble inépuisable. Il faut attendre la troisième partie « Le Commencement » pour que paix et sérénité montrent un peu le bout de leur nez. Sur la dernière face, plus africaine et moins « marche », les deux se complètent merveilleusement.


La bonne fée du jazz était bien là, tapie dans l’ombre, car l’album est sublime et absolument digne d’intérêt, il saura capter l’attention des amateurs de longues chevauchées, un duo exceptionnel.

xeres
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le 8 juin 2023

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