"On continue ? - On continue, même si c'est presque la fin."

Après un « Ici et là-bas » ardent, brûlot politique et intime, en 2016, l’ancien Diabologum offre une parenthèse à son projet Michel Cloup Duo avec le disque « Etats des lieux intérieurs » créé lors d’une résidence à l’Espace Croix-Baragnon de Toulouse, et offre une nouvelle dimension à la collaboration de Michel Cloup et de Béatrice Utrilla, aide de toujours pour les supports visuels (depuis la pochette du #3 de Diabologum aux clips de Michel Cloup), qui apporte désormais sa voix et son écriture en soutien à celle de Michel.


Rupture avec les habitudes, rupture sonore, exit les brèves explosions rock très directes et franches du disque précédent, remplacés par des drones de guitare d’entrée de jeu, une « Dernière visite » muette, laissant le temps de tracer les motifs qu’on retrouvera disséminés dans l’album. On laisse plus parler le goût de l’expérimentation, de la recherche sonore, pour aboutir à la caresse organique des boucles de guitare superposées. Dessus, le monologue habituel lyrique et déprimé fleur-bleu devient dialogue avec la voix de Béatrice, les points de vue s’échangent, tandis que les voix se mêlent et se répondent ; la voix sourde de Michel et le souffle léger, comme tiré d’une respiration, de Béatrice, tous deux partageant des mêmes doutes, des mêmes appréhensions.


Continuité en revanche des thèmes, on retrouve ce mouvement fort du personnel - des souvenirs propres - au global qui avait fait d’Ici et là-bas, et plus généralement des travaux de Michel Cloup ou de son comparse Pascal Bouaziz (Mendelson), quelque chose de profondément touchant, l’écriture suggestive, mélangeant le réel et l’imaginaire, le présent et le passé.


La musique comme écrin pour les textes, les textes comme supports à la musique ; entre les claquements secs séparant les différents morceaux, les variations se développent, dans les mots comme dans les sons, pour pousser à l’introspection, en traçant des atmosphères hantées, froides.
Pour cela, les drones s’étendent : « trouver un thème et l’épuiser dans de multiples variations » prévient Michel Cloup sur « Une autre année », les sons se densifient puis s’éteignent pour laisser la voix à nue.


C'est aussi le terrible jeu de parlé / murmuré de "Dans ma tête", profondément claustrophobe et désolé, constat froid proche de ce qu'aurait fait un Michniak :



J'attends encore, ça pourrait résumer toute ma génération, on
attend... encore. Celle d'après n'attend plus rien on dirait. On se
regarde foncer dans un mur, sans jamais le voir arriver.



C'est seulement dans la deuxième moitié du disque qu’apparaissent des boîtes à rythmes, des collages sonores plus marqués, des guitares plus hargneuses, et même des bribes moins abstraites de mélodies (« Sedétacher 2017 », où l’on retrouve la hargne et la colère du passé, pourrait s'être trouvé sur "Mon Silence" sans soucis).


Variations d’une phrase, puis boucles qui s’agencent à merveille, mots répétés à l’infini, interpolation des phrases des deux voix qui se complètent et s’harmonisent, tout est bon pour suggérer, toujours suggérer, plutôt que donner quelque chose de plus cadré.


L’échange entre les deux artistes permet, l’instant d’un disque, de créer cette bulle pudique où l’on se penche sur son « état intérieur », sur la poursuite d’un futur avec une dernière phrase prononcée à volonté, par l’effort cohérent des deux voix :



Finir ici, avant de recommencer ailleurs, autrement.



On reste sur la boîte à rythme crescendo, la guitare qui sature, les voix qui hurlent d’espoir, pour offrir ce genre de disque qui fait un plaisir fou à entendre et à partager.


Tout n'est plus comme avant peut-être, et c'est tant mieux.

Rainure
8
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes La Galaxie Diabologum et Les meilleurs albums de 2017

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le 2 févr. 2018

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