Les grands duos sont souvent faits de contrastes. Prenez le célèbre duo Jeanne Lee / Ran Blake, où le chant net et profond de la chanteuse, sans aucune fioriture, vient se poser sur les harmonies imprévisibles du pianiste britannique. Voyez aussi comme Coltrane peut jouer simple lorsque c'est Monk, cet autre trublion, qui l'accompagne. Notez comme la candeur du son de Lee Konitz s'oppose au jeu fourmillant de Michel Petrucciani...

Le duo évoqué ici est de ce niveau. L'expressivité débridée d'Archie Shepp et le piano méditatif de Dollar Brand (pas encore nommé Abdullah Ibrahim) se rencontrent dans ce disque d'un dépouillement absolu : rarement l'expression "musique captée", par opposition à la musique fabriquée, s'est imposée avec une telle évidence. Sur des trames n'excédant parfois pas huit mesures, le saxophoniste et le pianiste se renouvellent sans cesse. Abdullah Ibrahim prend très peu de solos mais l'auditeur n'en ressent aucune frustration car ce disque est une quintessence du dialogue. Shepp alterne les cris rageurs et les gémissements à peine perceptibles, se montrant ici particulièrement inspiré. Ibrahim joue sur l'accentuation ou l'effacement, en vagues successives, pour stimuler son compagnon de jeu.

On notera la grille harmonique très séduisante de Barefoot boy from Queens Town, qui transpire l'Afrique par tous les pores. La lancinante ballade Left Alone, que Shepp reprendra en duo avec son compositeur un autre pianiste, Mal Waldron (autre disque recommandable, mais moins magique que celui-ci). Rappelons que Ibrahim est natif d'Afrique du Sud, origine à laquelle il n'a cessé de rendre hommage.

Un album qui a plus de 30 ans mais qui sonne toujours aussi frais. Eternel, en somme, comme tous les grands disques.

Jduvi
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le 21 janv. 2022

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