Un petit mot pour cet album de Shepp, sorti en 1962, et cosigné par Bill Dixon. L’enregistrement original est paru sous le label Savoy (Savoy Records – MG-12178) il existe également une réédition française sous le label BYG (Byg Records 529 101).


Cette association c’est d’abord la rencontre de deux amis. Leur objectif artistique s’inscrivait sous l'égide du free Jazz, mais en conservant toujours à l’esprit ce que tous deux devaient au Jazz plus ancien. Ils avaient comme point commun d'être militants, ils avaient même une vision « marxiste » de l’engagement social de l’artiste. « Le musicien noir est un reflet du peuple noir en tant que phénomène culturel et social. Son but doit être de libérer, sur le plan esthétique et sur le plan social, l’Amérique de son inhumanité […] Je pense que les Noirs, par la violence de leur combat, constituent le seul espoir pour l’Amérique d’être sauvée, pour l’Amérique politique et culturelle. » Cet extrait des propos de Shepp figurant sur la pochette ne laisse aucun doute sur ses motivations. C’est Savoy, un label progressiste, qui leur offrit l’opportunité de cet enregistrement. Deux mots pour situer Bill Dixon, activiste et musicien de premier ordre qui créa en 1964 la Jazz Composer's Guild Association, une sorte de syndicat des musiciens, réunissant Carla Bley , Paul Bley, Burton Greene, Michael Mantler, Archie Shepp, Sun Ra, Cecil Taylor et une foultitude de musiciens...


Notons que la qualité de l’enregistrement est bonne, mais sans plus, la qualité de la musique, elle, est remarquable ! Après s’être inspiré de la technique de John Coltrane lorsqu’il jouait aux côtés de Cecil Taylor, Archie Shepp regarde désormais plutôt du côté d’Ornette Coleman sur cet enregistrement, d’ailleurs figure une de ses compositions. Les deux signées Bill Dixon sont elles improvisées, comme il l’affirme sous forme de Maxime sur les notes de pochettes : « La conception de ce quartette implique l’application complète d’une idée qui est à la base du jazz : la liberté absolue laissée à l’improvisateur. » Déjà on remarque l’absence de piano qui restera longtemps une des marques de fabrique de la première période de Shepp.


Trio, qui ouvre l’album, figure également dans une version plus longue, sur l’album du New York Contemporary Five. Sur un thème hispanisant Bill Dixon joue un solo acéré qui fait mouche, on remarque immédiatement la prédominance de la basse de Don Moore, absolument essentielle et centrale sur cette pièce, tout s’articule autour de sa pulsion, comme si elle dessinait l’architecture et la structure du morceau. Shepp évolue en phases courtes et éruptives qui resteront longtemps la marque de son jeu.


Peace d’Ornette Coleman sert de prétexte à de très beaux solos, particulièrement celui de Shepp dont le phrasé n’est pas sans faire penser à Ornette, cette fois-ci c’est Reggie Workman qui est à la basse, aucune perte de densité par rapport au premier morceau, le solo est lui aussi brillant et inspiré.


Quartette après un bref exposé du thème est lui aussi prétexte aux improvisations, c’est Bill Dixon qui s’y lance le premier, exécutant une sorte de hard-bop survolté qui renvoie directement aux expérimentations de Don Cherry aux côtés d’Ornette, si ce n’est ce côté incendiaire et torturé qui s’exprime avec une rare dextérité. Shepp intervient également, d’abord de façon pointilliste puis plus volubile, l’articulation de son solo est heurtée et éclate en sonorités sous forme plaintives ou interrogatives.


C’est le standard Somewhere qui ferme l’album, un extrait de West Side Story, la version qui en est donnée est très fidèle à l’originale, sans traitement particulier, ni explosion rythmique, ni envolées free, on peut sans doute y voir comme une forme de moquerie, le traitement finale de la part d’Archie Shepp pourrait, en tout cas, le laisser supposer, mais rien n'est sûr, l'ironie n'est pas toujours bonne conseillère en matière de musique et la sincérité "naïve" a également sa place…
Un très bon album de free-bop.

xeres
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Archie Shepp et "Ils voyagent en solitaire..."

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le 15 mars 2017

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