Avis aux amateurs de biture et de cuir clouté, revoici Hardcore Superstar pour un énième album dont la pochette empoigne une étoile à cinq branches. Si l'inspiration iconographique du quatuor suédois peut accuser une petite panne sèche, il n'en va heureusement pas de même sur le plan musical. Voilà maintenant vingt-cinq ans que la bande de Gothenburg sillonne les routes pour colporter son hard rock hargneux vers les foules majoritairement alcoolisées qui font les grandes heures des festivals velus de nos contrées (Clisson, vous êtes un trésor continental, sachez-le).
Le phénomène du renouveau sleaze metal (comprenez : le hard rock issu de la frange californienne des 80's, Mötley Crüe, GnR, LA Guns en tête) scandinave des années 2000 aura finalement fait long feu. Parmi les groupes pressentis pour la couronne de spandex, qui reste-t-il en lice ? Crashdïet, enlisés dans leurs déboires de chanteurs tout en se bornant à décalquer Skid Row sans chercher plus loin ? Vains of Jenna ? Initialement adulés par les skateurs prépubères le temps d'un album sympathique, ils furent parmi les premiers à jeter l'éponge. Idem pour Babylon Bombs, disparus aussi vite qu'ils étaient apparus, et dont le hard pop sans prise de tête n'aurait probablement jamais été brandi comme l'étendard d'un mouvement. Crazy Lixx, à condition de considérer que rien n'a existé après 1989 ? Reckless Love, clownerie disco-métallique pour soirée schlager avec la nouvelle meuf botoxée de votre oncle ? Quelques bourgeons plus récents, comme les Finlandais de Santa Cruz, avaient fugacement tenté une percée sans pour autant proposer quoi que ce soit d'enthousiasmant. En 2013, la création du supergroupe The Local Band, incluant des membres glanés dans quelques unes des formations précitées, semblait faire office de coup de grâce plutôt que de piqûre de stéroïdes...
Au milieu de cette course à la bombe de laque, Hardcore Superstar furent sans doute les concurrents les plus rusés (non, ce n'est pas un tacle déguisé). Préférant laisser sa section rythmique en charge de la composition, choix peu commun pour une formation hard rock, le groupe parvint à contourner quelques écueils de taille. Tout d'abord, la voix du frétillant frontman Jocke Berg. Taillée pour le summum de la braillerie aigue sur fond d'accouplement entre AC/DC et Motörhead, on comprend bien vite que la polyvalence ne fait pas partie de ses attributs, ce qui pourrait constituer une limite puisque même un énergumène comme Axl Rose se démarque par une certaine versatilité de timbre. Ensuite, la défection du guitariste Thomas Silver après dix ans de services, aussitôt remédiée par Vic Zino, fluide soliste subtilisé à Crazy Lixx. Là où un changement de guitariste est souvent synonyme de vidange complète de la machine, Hardcore Superstar n'avait pas de raison de s'en soucier. Avec les clés de l'écriture aux mains du tandem basse/batterie, le navire resta imperturbablement à flot contre vents et marées. Et qu'importe que Berg ne soit pas Freddie Mercury, à partir du moment où la richesse stylistique provient de l'écriture. Car les gars de HCSS aiment tout ce qui tape. Fan du Crüe, des Guns, d'Angus et Lemmy ? Evidemment. Mais aussi de Slayer, Faith No More, Alice In Chains, Kyuss, ZZ Top, Black Flag, Pantera, Monster Magnet, Electric Light Orchestra, les Ramones, les Who, Slade et Queen. Et le black métal. Et le raggae. Bref, n'importe quoi, du moment que l'adrénaline monte. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard s'ils confient souvent en interview se sentir plus proches du heavy punk foutraque et fluo des Norvégiens de Turbonegro que du sleaze peroxydé à la Loud N' Nasty. Quand à l'ami Jocke, il cite régulièrement Rod Stewart, Iggy Pop et Paul Rodgers comme ses inspirations principales. Le programme n'est donc pas typique du cliché Sunset Strip, Jack Daniel's et bandana dans les cheveux. Après des débuts hésitants malgré un potentiel scénique indéniable, l'album éponyme de 2005 aura marqué un tournant que le groupe honore depuis avec une belle intégrité. Optant pour qualifier leur musique de "street metal", leur pari est d'en finir avec les guéguerres entre hair metal et thrash, entre heavy et grunge, entre hard et punk, etc.
Bien évidemment, cette nouvelle étiquette auto-collée ne vaudrait pas tripette sans la constance qualitative de leurs albums des quinze dernières années. Les fans débattront à loisir de leurs préférés, car il y a effectivement à boire et à manger dans le tas. "Beg for It" est plutôt teinté power metal (pensez Helloween et Maiden), assez différent du très bourrin "Dreamin' in a Casket" avec son mixage dans le rouge saturé de gros riffs et de refrains trépanés. "Split Your Lip" mise sur une exubérance résolument festivalière, là où "C'mon Take on Me" propose un menu best-of du panorama sonore de la troupe. Mon favori personnel reste le risqué "HCSS", paru en 2015 et produit par le ponte Joe Barresi (aux manettes pour Monster Magnet, Clutch, Queens of the Stone Age, Fu Manchu et les Melvins), qui les voyait s'éclabousser gaillardement dans la fange stoner avec un enthousiasme des plus communicatif. La dernière livraison en date, "You Can't Kill My Rock 'n Roll", ne dérogeait pas fondamentalement à leur modus operandi : celui de ne pas vraiment en avoir. Comme à l'accoutumé, un single très catchy ("Have Mercy on Me", appel aux armes façon Robin Zander), un second plus costaud pour muscler un peu le dialogue ("Electric Rider", permettant d'apprécier une fois de plus à quel point Adde Andreasson est un batteur d'exception) pour un album à l'orientation familière mais différente, où l'on sentait l'influence de Cheap Trick, Slade ou ZZ Top dans les moments les plus calibrés. Rien que de très conforme à la non-conformité, en somme. Qu'en est-il de la cuvée 2022 ?
"Abrakadabra", malgré son titre à connotation magique, est tout ce qu'il y a de plus terre à terre, probablement ce que le groupe a sorti de plus direct, in your face et sans ambages depuis "Dreamin' in a Casket". La production reste à sa place, jamais excessive ni anémique, les amplis fument, la disto crache et Jocke Berg s'égosille avec une fureur qui force le respect. Le simple fait qu'il puisse maintenir ses cordes vocales en état de fonctionnement est un mystère en soi, quand on sait que des pointures comme Axl Rose et Chris Cornell ont eux-mêmes connu des phases difficiles. Vic Zino demeure un tireur d'élite méticuleux, dont le tremolo picking a de moins en moins à envier à Zakk Wylde au fil des albums. La surenchère technique n'apparait que ponctuellement et brièvement pour plus de dynamisme, et les refrains fédérateurs sont légion. Le tonitruant "One For All" mettra d'accord tous les amateurs de pied au plancher ou au cul. "Weep When You Die" est taillé pour la foule et "Catch Me If You Can" braconne chez Motörhead. "Throw a Brick" confirme que la subtilité est effectivement une denrée surestimée quand on choisit de faire son tourisme au royaume du poing dans la gueule.
Si les albums passés ménageaient régulièrement des moments d'apaisement, ne cherchez pas de ballade sur celui-ci. Vous n'en trouverez pas, et le manque ne se fait d'ailleurs pas sentir puisque l'ensemble est tout à fait solide en l'état. Hardcore Superstar reste, paradoxalement, un groupe de hard rock dans ce que le format permet de plus persistant et décomplexé à la fois. Ce serait faire preuve d'inconséquence que d'en attendre systématiquement un chef-d'œuvre, mais ce nouvel effort prouve bien, si besoin était, que le quatuor dépasse la concurrence de la tête et des épaules. Bravo les gars, encore un !

OrpheusJay
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le 22 mai 2022

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