The Sinner
7.2
The Sinner

Série USA Network (2017)

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Le pays des enfants perdus [Critique de "The Sinner" saison par saison]

Saison 1 :
Une série policière qui se concentre avant tout sur le versant psychologique, voire psychanalytique, du parcours de ses personnages, ça ne se refuse pas, en ces temps où l'efficacité narrative est devenu le souci numéro 1 des Séries TV (souci qui ne les empêche pas, on le sait, de nous offrir des récits régulièrement trop longs, tiraillés qu'ils sont par la nécessité d'une durée "commerciale" standard...). La première saison de "The Sinner" débute par un acte sauvage, qui crée un indiscutable effet de sidération sur le téléspectateur : il s'agira ensuite de faire ensemble tout le trajet à rebours, pour comprendre ce qui a amené la criminelle à cette explosion de violence, et le travail du détective s'apparentera complètement à celui que ferait un psychanalyste (curieusement, et l'on ne sait pas trop s'il s'agit là d'une dérive de la justice américaine, la question de la santé mentale et l'hypothèse de "soins" n'est pas à l'ordre du jour ici...).


Bien sûr, et on n'échappera pas aux poncifs du genre, l'enquêteur souffrant lui aussi d'un trauma - relativement similaire à celui de "l'héroïne" -, qui justifiera son empathie et son obstination... Ce qui nous vaudra quelques scènes de soumission qui s'avèrent plutôt embarrassantes, sans que l'on ne sache vraiment si cette "gêne" vient de la relative grossièreté de leur représentation, ou bien de ce qu'elles sont finalement plutôt crédibles. Si l'on ignore cette "scorie" (mais en est-ce une ?) ainsi que l'inutilité - et la maladresse - de la touche lesbo-incestueuse lors de la "révélation" finale, "The Sinner" nous offre un voyage plutôt sérieux à travers un passé de souffrance qui pourra renvoyer certains d'entre nous à des questions personnelles sur son enfance : la question de la "culpabilité" et du "droit à l'amour maternel" ayant une indéniable - et bien connue - universalité, même si la description de l'hystérie puritaine lui confère ici une spécificité bien américaine.


Si Jessica Biel, co-productrice, ne démérite pas dans son interprétation d'une jeune femme perdue, soulignons surtout le plaisir cinéphile de retrouver dans un beau rôle Bill Pullman, qui reste à jamais le protagoniste de la "Lost Highway" de Lynch, et qui porte toujours sur lui les séquelles de cette magnifique étrangeté.
[Critique écrite en 2020]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/04/13/netflix-the-sinner-saison-1-le-pays-des-enfants-perdus/


Saison 2 :
Reprenant la même structure que sa première saison, c'est-à-dire la recherche des motifs, matériels et psychologiques, d'un meurtrier dont le crime ne fait aucun doute, en parallèle avec le travail personnel de "guérison" d'un flic revenant sur ses propres traumas d'enfance, "The Sinner" développe dans cette suite encore plus clairement son sujet profond. Et confirme donc une singularité thématique qui la distingue de 99% des séries policières américaines "grand public" disponibles sur les plateformes de streaming.


Alors que l'on voit se dessiner rapidement (dès le second épisode) une condamnation - désormais assez convenue - des sectes, Derek Simmond dévoile progressivement son véritable propos, qui est la condamnation sans appel de la violence masculine faite aux femmes et aux enfants. Ce que la série nous dit, c'est que si la secte de Mosswood a eu un impact aussi destructeur sur les jeunes femmes qui s'y étaient réfugiées, c'est clairement parce qu'elle est devenue, sous l'influence du "Beacon" et des hommes "de pouvoir" de la ville voisine, un lieu où abus sexuels et violences soi-disant "libératrices" étaient encouragés, pas parce que s'y pratiquaient des techniques de psychanalyse non conventionnelles : ce point de vue inhabituel est évidemment assez malaisant, et ce d'autant que le "work" pratiqué par la nouvelle responsable de la communauté nous est présenté comme efficace pour libérer Ambrose de son passé ! Si l'on adhère forcément à la vision très dure que "The Sinner" propose à nouveau sur la culture prédactrice des mâles américains, on peut quand même émettre des réserves quant à sa vision de la psychanalyse et de la psychiatrie.


Ceci posé, on prendra à nouveau un grand plaisir à ces huit épisodes aussi complexes que judicieusement construits, portés par une interprétation impeccable d'un Bill Pullman fascinant et d'une Carrie Coon superbe d’ambiguïté, réussissant à nous toucher avec sa composition très fine d'un personnage paradoxal. On pourra sans doute regretter que certains fils de l'intrigue se voient assez sommairement abandonnés (Qu'est devenu le Beacon ? Quelles ont été les conditions de son départ ? Quid de cette troupe de machos violents qui ont dévasté la secte et de leur leader ?) au bénéfice d'un final un peu plus convenu. Par contre, on se délectera rétrospectivement d'un premier épisode magistral, en ce qu'il nous démontre que nous sommes tous très rapides à juger d'une situation en fonction de critères de "normalité" (une famille ordinaire en route pour les Chutes du Niagara, des conflits ordinaires entre ses membres...) : c'est en faisant exploser cette illusion et en dévoilant les abîmes qui s'y dissimulent que "The Sinner" fait réellement son travail le plus intéressant.
[Critique écrite en 2020]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/05/23/netflix-the-sinner-saison-2-les-predateurs/


Saison 3 :
Si la mise en ligne sur Netflix France de la troisième saison de la série américaine "The Sinner", diffusée aux USA en mars 2020, se fait étrangement attendre, peut-être faut-il chercher une explication à ce retard dans la réception très mitigée qu’a reçu ce troisième volet des enquêtes de notre cher détective très perturbé, Harry Ambrose ?


Elles démarrent pourtant très bien, nos retrouvailles avec le plus borderline des policiers, toujours plus vieux, toujours plus fatigué, et désormais affligé d’une sciatique très handicapante : une étrange « sortie de route » d’une voiture dans les bois, un suspect fascinant – Matt Bomer, certes très mignon, mais qui va prouver dans cette saison qu’il n’est pas qu’une jolie gueule, et va se révéler convaincant dans un rôle difficile car très ambigu – et le mécanisme de la fascination envers le crime s’enclenche. Les quatre premiers épisodes s’avèrent même particulièrement stimulants, et il sera difficile aux cinéphiles de ne pas faire le parallèle avec "la Corde" de Hitchcock, construit à partir de la même fascination douteuse pour des principes criminels inspirés par une mauvaise lecture de Nietzsche.


C’est malheureusement à ce moment-là que les scénaristes s’emmêlent dramatiquement les pinceaux, et envoient valser leur intrigue dans le décor, à la faveur d’une virée new yorkaise particulièrement ridicule, et par un comportement général aberrant de la police face au criminel. Bill Pullman, normalement si convaincant, rame visiblement à incarner un Harry Ambrose, absurdement fasciné et empathique vis-à-vis de son adversaire (ce qui, soulignons-le, est incohérent avec les névroses qu’il a exhibées durant les deux premières saisons, et qui justifiaient alors très bien son approche « psychologique » des criminels) : on se demande si l’air paniqué et perdu qu’il arbore dans la seconde partie de la saison n’est pas la réaction naturelle d’un bon acteur qui voit la série qui lui avait permis de revenir au premier plan partir ainsi en sucette !


Bref, on arrête totalement d’y croire, et ce d’autant qu’on est passé sans nécessité ni explication de l’übermensch de Nietzsche à un vague mal-être existentiel de bobos. Il ne nous reste plus, si on arrive à terminer la saison, qu’à nous mettre à compter les invraisemblances et les incohérences d’un scénario catastrophique : entre le personnage de l’artiste peintre qui ne trouve jamais sa place dans l’histoire (et que Jessica Hecht peine à rendre crédible), et les revirements incessants d’à peu près tout le monde, on est largement servi, jusqu’à un final qui frôle le ridicule, et qui n’en est sauvé in extremis que grâce à un Matt Bomer étonnamment touchant.


Une quatrième saison de "The Sinner" est prévue pour cette année, et on ne peut que craindre le pire.


|Critique écrite en 2021]

EricDebarnot
7
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Créée

le 12 avr. 2020

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Eric BBYoda

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