The Promised Neverland
7.6
The Promised Neverland

Anime (mangas) Fuji TV (2019)

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Une chose à savoir sur moi : j'adore les débats. Même quand je suis mis en minorité. C'est un petit plaisir coupable.
C'est pourquoi je me suis dit que, après avoir critiqué Goblin Slayer la saison dernière (un anime qui avait créé pas mal de tumulte sur sa représentation du viol et des femmes en général), je choisis cette fois d'écrire à propos d'un anime quasi-unanimement applaudi...mais dont je regrette que son propos soit, lui, souvent mis de côté.

Je l'affirme, quelle que soit l'opinion réelle des auteurs (que je ne connais pas), le sens central de ce manga est de promouvoir véganisme (et j'en suis très heureux).

Tout d'abord, je vous parlerai un peu des qualités intrinsèques du manga, appréciables par tous quelles que soient vos opinions, avant de partir sur son propos fondamentalement végan (je ne détaillerai pas ce qu'est le véganisme, juste ce qu'en dit TPN).

Un thriller psychologique inventif et passionnant

The Promised Neverland (Yakusoku no Neverland en japonais) est un manga scénarisé par Kaiu Shirai et dessiné par Posuka Demizu, et publié depuis 2016 dans le Weekly Shonen Jump. Assez détonnant parmi les shōnens très calibrés qui s'y trouvent, son succès lui a permis d'être adapté en anime seulement 3 ans après son premier chapitre.

Y est comptée l'histoire d'enfants dont les plus âgés ont 11 ans, vivant dans un bel orphelinat entouré d'une clairière et d'une petite forêt. Le seul adulte s'y trouvant est appelé "Maman" par tous les enfants, et on sent toute la solidarité qui existe dans cette famille de fait. Parfois, la routine est interrompue par l'adoption de l'un des enfants, causant un peu de chagrin et d'envie pour ceux qui restent, mais la beauté des lieux et la camaraderie fraternelle s'y trouvant fait vite passer ces sentiments.

ATTENTION : Vous rentrez dans la zone spoiler de l'épisode 1 !

Cependant, il y a quelque chose d'étrange dans cet orphelinat. Les enfants y sont exceptionnellement intelligents, subissent des tests cognitifs quotidiens, disposent d'un nombre tatoué dans le cou.
Le jour de l'adoption de la petite Conny, 6 ans, deux des trois orphelins les plus âgés, Emma et Norman, tentent de lui ramener son doudou favori avant qu'elle ne parte. Ils assistent alors à une scène tragique et comprennent qu'ils ne sont que du bétail enfermé dans un enclot en attente de leur croissance, dont l'éleveur n'est autre que Maman.

Au vu de ce synopsis, on voit déjà l'un des gros points forts du manga : la tension psychologique qui s'en dégage. En effet, les retournements de situation inattendus (mais jamais sortis de nulle part) y sont récurrents, ainsi que la pression psychologique issue de la relation ambigüe de Maman avec les orphelins. Ceux-ci, du fait de leur intelligence extrême due à leur sélection par les tests quotidiens, sont capables d'élaborer des stratégies particulièrement complexes. Enfin, il s'agit d'un quasi-huis-clôt, la tension est donc plus palpable encore (il suffit de voir un Tarantino ou Le Prénom pour comprendre l'apport de ce type de mise en scène). L'anime améliore encore cette ambiance grâce à l'ajout d'un rythme et d'effets sonores saisissants (un travail du studio d'animation CloverWorks).

Autre qualité du manga : ses personnages !
Emma, gamine toute mimi assez spontanée et sportive en plus d'être d'une bienveillance incroyable avec ses petits frères et sœurs (et qui me fait beaucoup penser à Tanjirou, de Kimetsu no Yaiba, dont est sorti l'anime, et sur lequel j'ai aussi fait une critique #autopromo) ; Norman, probablement le type le plus intelligent de l'orphelinat et lui aussi très affectueux ; et Ray, très cultivé mais un peu plus renfermé que les autres sans être antipathique pour autant. D'un point de vue général, on entre ainsi facilement en empathie avec eux.
Concernant le manga, on pourra cependant critiquer le nombre très important d'enfants, rendant difficile de se rappeler de chacun d'eux, mais la plupart sont de toute façon de très jeunes enfants qui se contentent de suivre les plus âgés sans intervenir plus, cela ne pose donc pas trop de difficultés. L'anime améliore un peu cela en introduisant un peu plus progressivement certains d'entre eux (notamment les plus âgés, Don et Gilda).
Autre critique, concernant l'anime cette fois : L'idée de ne pas révéler toutes les pensées des personnages (présentées dans le manga par de longs monologues intérieurs) peut se justifier, mais on perd en compréhension de la complexité des réflexions de chacun.
De même, le choix de donner à Sister Krone une poupée à son effigie pour qu'elle puisse extérioriser ses nombreux monologues en s'adressant à "quelqu'un" est excellente sur le principe, mais je regrette que ces extériorisations se fassent en beuglant dans sa chambre les secrets qu'elle cache à toute la maison alors qu'il est dit qu'elle se trouve juste à côté de la chambre des enfants. On pourrait tout à fait m'opposer à raison que ces scènes d'exclamations totalement dingues sont des métaphores ne faisant que représenter le monde mental de Sister Krone (d'où le fait qu'elle parle à une poupée d'elle), et non au monde réel, qu'il ne s'agit que de ses pensées et non d'un monologue à voix haute, mais c'est peut-être un peu trop subtil, aurait pu être ajouté n'importe quel autre marqueur pour rendre plus clair le fait que tout ceci se passe dans sa tête : pas de lipsing, changement de couleur à l'écran, etc..

Enfin, dernière qualité : son univers y est tout simplement inédit (je ne précise pas plus).
Pourtant, ce monde est fait avec une intention claire : être comparable au nôtre, pour que son propos y soit transposable aisément.

Notez que le premier arc, qui correspond à la saison 1, est de loin le meilleur : la suite est de bonne qualité, mais jamais on n'atteint plus la tension des premiers épisodes.

Le propos du manga : Go vegan !

Je sais, ce sujet est très dur, j'ai l'habitude de voir voler les insultes dès qu'on cause de véganisme. Et les arguments pétés (que je ne vais pas lister ici). J'aime les débats de qualité, pas les insultes ni les sophismes, donc gardons tous la tête froide et restons sympas :)

Bref.

The Promised Neverland, comme l'Attaque des Titans ou Devilman Crybaby, nous plonge dans un univers où les personnages principaux sont les proies, d'où un puissant sentiment d'injustice, surtout quand on sait que les Titans n'ont pas besoin de se nourrir d'humains pour survivre (=pour nous avec les animaux).

De même, comme Parasyte : The Maxim ou Planet With, TPN questionne la relation inter-espèce, s'en dégageant un profond pacifisme qu'on peut résumer classiquement par "Live and let live".

Cependant, TPN va plus loin en abordant le sujet de plein front, sans le profond pessimisme de l'Attaque des Titans et de Devilman Crybaby, sans les métaphores de Parasyte ou l'étrangeté de Planet With.

ATTENTION : Vous rentrez dans la zone spoiler des épisodes 1 à 8 inclus !

Je vous laisse ainsi le constater avec ce dialogue de l'épisode 8. Pour contextualiser, pour la 1ère fois, Maman parle franchement avec Emma et Norman :

Maman : Inutile de jouer les enfants ignorants. Je suis l'éleveuse, et vous, le bétail. Mais ne vous méprenez pas : Je vous aime sincèrement. Je vous chéris du fond du cœur. Comme si vous étiez mes enfants. Voilà pourquoi je viens vous convaincre de renoncer.

Emma : Renoncer ?

Norman : À quoi ?

Maman : À résister. Je ne veux pas vous voir souffrir. Et je ne veux pas devoir vous faire du mal. Vous avez une belle vie, non ? Vous avez un foyer aimant, de bons repas et plein d'affection. Vous mourez heureux, sans avoir connu la faim, le froid ou la vérité. Que pourriez-vous vouloir de plus ?

Emma : Kuh ! C'est une belle vie ça ? De finir nos jours de la même façon que Conny ?

Maman : La mort est instantanée. Et jusqu'à ce moment là, Conny a eu une vie heureuse et pleine de sourires.

Emma : Je me fiche de ce bonheur factice ! Je veux être libre, même si je souffre ! M'impose pas ta définition du bonheur !

Maman : Vous ne pouvez pas fuir. Le monde extérieur est dangereux et empli de désespoir. Alors, continuons à vivre heureux dans ce havre de paix. J'aimerais que vous en profitiez jusqu'à vos départs respectifs.

Norman et Emma se regarde, terrifiés, puis semblent prendre une décision.

Norman : C'est compris, Maman. J'arrête la comédie !

S'ensuit les deux qui s'attaquent à Maman, ne pouvant pas admettre sa logique mortifère. Maman casse la jambe d'Emma, puis la prend dans ses bras.

Maman : Chh... Ne t'en fais pas, ça va aller... Tout va bien. Ce n'est rien. Ma pauvre petite Emma adorée.. Je vous avais pourtant dit de renoncer. On ne s'était pas fait de câlin depuis longtemps... Hihi.
Norman, tu as raison, je vous garde à part car vous êtes à part, des mets réservés à un être à part. Vous êtes la fine fleur de mon cheptel.
Je dois vous préserver par tous les moyens nécessaires. Vous avez refusé de renoncer, je n'ai donc pas eu le choix.

Emma crie et pleure.

Cette scène montre plusieurs choses :

- L'ambivalence totale dans laquelle sont la plupart des consommateurs comme des éleveurs (étant issu d'une famille d'éleveurs de chèvres pour faire du fromage, je peux vous le confirmer), partagés entre "moi j'aime les animaux" (oui !) et "mais c'est comme ça, il faut bien les tuer" (...nan ? mange juste ... autre chose), Ce mélange entre "amour" et "validation du meurtre" créé une sensation particulièrement désagréable et sinistre, un effroi face à un oppresseur qui dit chérir l'oppressé tout en refusant d'attribuer à la vie et au libre-arbitre de ce dernier la moindre valeur, celle-ci ne dépendant que de l'utilité que la communauté des oppresseurs peut tirer de lui.

- Le mensonge permanent qui entoure la présentation de l'abattage. Ainsi, quand "Maman" affirme que "la mort est immédiate", le même épisode prouve son mensonge : on y voit combien la mort de Sister Krone a été précédée d'une lutte psychologiquement exténuante et terrifiante pendant laquelle elle s'est débattu comme un animal en cage. La disposition des lieux (espace fermé, grilles, impossibilité physique de s'échapper) n'est d'ailleurs pas sans faire penser à certaines vidéos de L214, je pense que le parallèle avec les cages pour animaux est volontaire. Mais, comme le dit Maman, "Voilà pourquoi je viens vous convaincre de renoncer", car résister serait inutile et n'apporterait que plus de stress et de souffrance.

- L'absurdité de l'argumentaire de "l'élevage bio/plein air", cette justification née d'une approche dite "wellfariste" (mieux-faire) par opposition à l'approche "végane" (ne pas faire). Les enfants ont eu une bonne vie ? Certes, très bien, mais cela ne justifie en rien de les tuer à la fin, que cela soit avec souffrance ou pas !

La défense de Maman en faisant référence au "monde cruel" qui entoure ce "havre de paix" est l'exact parallèle de l'argument consistant à dire que "de toute façon, la vache se ferait bouffer aussi dans la nature". Transposez cela avec d'autres sévices (viol, vol, blessures) et vous comprenez l'absolue paralogisme que constitue cette phrase, d'autant que les animaux d'élevages subissent aussi ces mêmes sévices (viol par insémination artificielle, vol de leurs enfants, de leur lait et de leur corps, blessures tout au long du processus et notamment lors de l'exécution finale).

ATTENTION : Vous rentrez dans la zone spoiler des arcs postérieurs à la saison 1 :

On apprendra d'ailleurs plus tard que ce monde comprend aussi des élevages "industriels" qui alimentent les démons "standards", par opposition à l'élevage de l'orphelinat qui correspondrait à du label rouge bio et plein air. Comparaison parfaite avec notre monde.

Cela ne s'arrête pas là. On apprend quelque chose de nouveau dans les derniers scans du manga (~chapitre 120)

On apprend que les "Démons" n'auraient pas d'autre choix que de tuer des humains pour se nourrir. En effet, sans cela, ils finissent par dégénérer et revenir à un état de créatures non douées de raison. Ne pas manger d'humains seraient donc un suicide à petit feu pour eux.

La métaphore est donc claire : la seule possibilité d'éviter le conflit entre les éleveurs et les élevés, c'est d'apprendre à se passer de l'élevage.

Le respect de la vie et de la liberté d'autrui.

Cette leçon, nous la connaissions tous dans notre petite enfance, quand on nous disait de respecter les animaux et qu'on apprenait de la fable du Loup et l'Agneau l'ignominie de la loi du plus fort et la propension des puissants (nous, en l'occurrence) à se trouver milles fausse excuses pour justifier ce qu'ils ne font en réalité que par intérêt égoïste et/ou irrationnel.

Une leçon qu'on échoue pourtant à appliquer dans le monde réel pour interroger nos pratiques, le statu quo, tant certains rites alimentaires sont ancrés dans nos cerveaux depuis la naissance. Pressés par le poids de traditions moribondes, de l'endoctrinement publicitaire et de notre propre égo, nous nous persuadons que tuer un animal par tradition/convenance/goût malgré l'absolue non nécessité du processus serait cohérent avec le fait "d'aimer les animaux".

Que ce soit nous, consommateurs, ou que ce soit les éleveurs, nous sommes finalement bien moins éthiques que les Démons et que "Maman", car eux agissent sous la contrainte, et nous par simple confort mental : il nous suffirait d'aller dans le rayon/magasin d'à côté pour être en phase avec nos valeurs, et facultativement à militer pour les plus courageux.

Soyons donc éthiques, changeons nos comportements, laissons les bêtes tranquilles autant qu'il est possible de le faire. Et, si vous faites ce choix, n'oubliez pas de prendre votre B12 : c'est le seul élément qu'on ne peut pas avoir dans une alimentation végétalienne (conseil : 1x 5000 µg/15 jours).

[EDIT : Dommage que la saison 2 soit intensément rushée, c'est un immense gâchis !

Critique remaniée dans sa forme en 2024. Le fond reste globalement le même.]

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le 1 mars 2019

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