The Honourable Woman (mini-série de la BBC, 2014) est une œuvre complexe. Elle porte sur un sujet miné, épineux et, paradoxalement, très peu (pas ?) traité dans les séries télévisées : le conflit israélo-palestinien. Du moins en apparence. Car, tout bien considéré, la série ne produit pas vraiment de discours sur ce conflit. Certains pourront l'accuser d'être pro israélienne, d'autres y verront au contraire un pamphlet pro palestinien. Comme tout discours sur un sujet qui exacerbe autant les sensibilités, n'importe quelle grille de lecture pourra être plaquée puis contredite, et les arguments avancés par chaque camp seront valables.


En fait, le discours politique, s'il y en a un, est à chercher ailleurs. Le conflit du Proche-Orient n'est toutefois pas qu'un arrière-plan prétexte. Il est au cœur de la série, il est incarné par ses personnages et il est le moteur du récit. C'est un outil narratif. C'est en cette qualité qu'il rejoint le personnage principal, Nessa Stein, cette fameuse femme honorable : le conflit est un outil efficace au service des considérations pragmatiques du scénariste.


Cela pourrait faire l'effet d'un fil conducteur de la série. Car ce qui caractérise Nessa, c'est avant tout son pragmatisme. C'est une femme d'affaires, certes juive Israélienne d'origine, mais c'est avant tout une "entrepreneure". Les discours qu'elle prononce lors de diverses cérémonies mondaines sont caractérisés par cette volonté de mettre en place des actions concrètes (des câbles de fibre optique en Cisjordanie, des universités ouvertes à tous) pour que la communication s'installe de part et d'autre. Mais pas une communication politique, philosophique, ni un débat d'idées. Une communication concrète, simple comme un coup de fil...


Dans les coulisses de ces discours mondains, les discours partisans (celui de l'ambassadeur d'Israël, celui des terroristes palestiniens), quel qu'il soit, apparaît rétrograde, caricatural et anachronique, il ne débouche sur rien. Ce qui compte vraiment, c'est les affaires : qui obtiendra le juteux marché pour continuer la pose de câbles ? D'ailleurs, Nessa répète à qui veut l'entendre que son nom ne doit en aucun cas être associé avec une quelconque prise de position (I cannot be compromised) : cela nuirait aux affaires. Quand un ami de la famille, Shlomo Zahary, est accusé (à tort) de tremper dans des affaires politiques, l'accusation même paraît insensée et transcende les schémas habituels : ce juif Israélien est accusé d'avoir indirectement financé le Hezbollah. Les frontières entre les deux camps semblent dépassées. C'est comme si la série finissait par occulter la dimension politique de la situation au Proche-Orient pour mieux en souligner l'inanité.


L'action se situe sinon dans un présent alternatif, dans un futur proche. Cela permet de rendre ce conflit qui court depuis des décennies encore plus dépassé et donc de balayer la question partisane comme moteur de récit potentiel. Mais ce subtil décalage temporel permet aussi de dessiner une société britannique légèrement différente (comme c'est également le cas dans l'admirable mini-série Black Mirror) Et c'est là que ce trouve, pour moi, le véritable discours politique de The Honourable Woman.


Cette série s'ouvre par la cérémonie d'anoblissement de Nessa Stein. Cette femme d'affaire devient lord. Ou, plutôt, baroness. Or, par ce double rôle, elle occupe d'emblée une place et un rôle traditionnellement assignés aux hommes. Elle incarne la puissance. Et elle n'est pas la seule. Tous les rôles de pouvoir sont occupés par des femmes : de la conseillère de Nessa à la directrice du MI6 en passant par la tacticienne du Ministère des affaires étrangères, jusqu'à la terroriste palestinienne. Les personnages masculins sont soit sympathiques mais caricaturaux (Shlomo), trop émotifs (Ephra, le frère de Nessa, qui n'hésite pas à compromettre l'entreprise familiale pour sauver sa sœur et sa maîtresse), soit pathétiques (Sir Hugh) ou font défaut (le garde du corps, Nathaniel). De même que l'arrière-plan politique semble naturellement écarté au profit du pragmatisme économique ou carriériste (là encore, ce sont des femmes politiques qui tirent les ficelles en coulisse, jusqu'aux Etats-Unis), les personnages masculins occupent le rôle, secondaire, habituellement occupé par les femmes.


Tous les clichés et les "qualités" traditionnellement attribuées aux femmes (l'instinct maternel, la douceur, l'empathie etc.) se sont envolés, sans que toutefois cela soit souligné dans les dialogues ou la réalisation. Et c'est là la réussite de la série : elle pose tout un ensemble de choses qui nous semblent problématiques aujourd'hui comme allant totalement de soi. Sans grand discours. Sans discours du tout.


La question que pose la série, énoncée d'emblée et reprise à chaque générique, est celle de la confiance (who do we trust?), de ce qui se cache derrière les apparences, les façades. Nessa dort dans une chambre forte, cachée derrière une cloison. Cette femme élancée, dont les vêtements sont souvent fluides, a besoin d'une carapace protectrice la nuit venue, comme pour en sortir à nouveau renforcée le matin.


Dans cette série, les personnages féminins occupent le devant de la scène, l'air de rien, comme si la société britannique dépeinte ici avait basculé dans une ère post-féministe. Ces femmes ne sont ni plus ni moins honorables que leurs prédécesseurs masculins. Elles sont des êtres humains en proie à toutes sortes de tourments intérieurs qui les mènent à faire des choix plus ou moins heureux.

TheGeneGenie
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le 28 mars 2015

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