Qui était John Brown ? Dans l’histoire des États-Unis, même avec du recul, le cas n’a pas été tranché. En 1857, quand on le découvre à l’écran, celui-ci a déjà bien vécu. A l’âge de 12 ans, le traitement réservé à un esclave noir par son propriétaire le choque profondément. Et quand le directeur d’un journal abolitionniste se fait assassiner, il décide d’éradiquer l’esclavage et se voit investi d’une mission quasi divine. Une croisade qui aboutira à sa pendaison 2 ans plus tard. Alors, que penser de John Brown ? Quelle que soit la réponse, le côté ambivalent du personnage décrit durant ces 7 épisodes est clairement l’aspect le plus passionnant de cette série.


En effet, il n’est pas simple de juger un homme qui est prêt à mourir pour ses idées même si elles nous paraissent nobles aujourd’hui. Car la plupart des personnes qu’il va entraîner dans sa chute n’avaient pas forcément signé pour cela. Ainsi, Henri Shackelford sera la voix off de cette histoire. Cet adolescent noir vit sous le toit d’un esclavagiste de mauvaise réputation. Mais si John Brown n’était pas apparu dans le salon de barbier de son père et mit le bazar, aurait-il un jour connu la violence et le froid de la vie au grand air, le tout habillé en jeune fille ? Rien n’est moins sûr. En cela, John Brown est bien un fanatique prêt à entraîner dans sa chute ses compagnons au nom de la cause qu’il défend. Car comme le dit Onion (alias Henri), faut-il mieux être libre en étant pourchassé ou vivre en esclave dans une paix relative ?


A ce titre, la série montre de manière subtile l’état d’esprit de la population noire juste avant la guerre de Sécession. Car tandis que John Brown sévissait violemment au cœur du Kansas, beaucoup n’étaient pas prêts à la révolte armée. Certains, malgré leur condition, profitaient du peu de confort qu’ils avaient et essayaient de s’en satisfaire. D’autres tentaient de tirer leur épingle du jeu quitte à trahir leur propre camp pour monter en grade. Mais même pour des personnalités comme Frederick Douglass qui usaient de leurs talents d’orateurs pour défendre la cause de son peuple, il leur aurait été bien imprudent de prendre les armes alors qu’ils jouissaient d’un statut privilégié au sein de leur communauté. Bref, même dans le malheur, les Noirs n’étaient à cette époque pas tous disposés à se faire tuer pour une hypothétique liberté. John Brown était donc bien un précurseur des luttes à venir.


Dans ce contexte, le mode d’action violent de ce dernier n’était pas la norme et intégrer son groupe consistait à mener une vie de reclus. D’ailleurs sur notre écran, lui et ses acolytes ressemblent plus à des bandits de grands chemins qu’à une armée bien préparée pour la lutte. Il est en cela le Don Quichotte de la cause qu’il défend. D’ailleurs, il n’hésite pas à foncer tête baissée en direction de l’ennemi alors qu’une poignée de soldats venait de se faire éparpiller façon puzzle quelques minutes auparavant. Alors pourquoi accepter d’être les Sancho Pancha d’un tel énergumène ? Le fait est que John Brown est un guide spirituel. Celui-ci passe le plus clair de son temps à vociférer une parole biblique qu’il utilise pour justifier ses actes. Ses compagnons savent bien que cette foi l’aveugle et qu’il est empli d’un déni qui le pousse à travestir la réalité pour y voir des signes approbateurs du destin. Ils redoutent d’ailleurs ses décisions suicidaires mais ils trouvent en lui une bonne raison de mourir. Quant à ses fils qui lui sont fidèles, ils aiment ce père qui leur a transmis l’ensemble de ses valeurs. Même s’il est fou. En cela, les auteurs ont mis en scène un personnage tout à fait intrigant et stimulant.


Pour incarner ce looser magnifique, il fallait un acteur à la hauteur et c’est un euphémisme de dire qu’Ethan Hawke est épatant. Lors des premières scènes, quand on le voit hurler et cracher dans sa barbe, on a un peu peur qu’il cabotine et que sa prestation se prenne trop au sérieux. Mais quand ses fils commencent à lui couper la parole car ils trouvent eux aussi son « enthousiasme » fatiguant, on commence à se détendre. Dès lors, l’humour qu’Hawke insuffle dans l’attitude et les mimiques de ce prédicateur dangereux pour les autres mais tellement ubuesque devient plus évident. La narration se permet même de verser dans le vaudeville lors d’un épisode où John essaie de convaincre Frederick Douglass de lui fournir des fonds pour financer sa révolte. Jeu de cache-cache et manipulations pimenteront un épisode à la forme légère… dont les conséquences se révéleront au final catastrophiques.


Mais après la farce viendra le drame. Car le fiasco annoncé aura bien lieu et cette fois, il ne sera plus question de rire. Porté par une performance d’acteurs assez exceptionnelle, le dénouement de cette d’épopée est magnifique. Les fantasmes de gloire entrent soudainement en conflit avec la réalité désespérée de la situation. Le désarroi et l’incompréhension se lisent alors de manière bouleversante sur un visage qui voit son rêve s’effondrer. Même lors du calme qui apparaît parfois au milieu de la tempête, les émotions qui traversent l’ensemble des condamnés, en paix avec eux-mêmes, sont parfaitement mises en scène.


Malheureusement, la dernière demi-heure en forme d’épilogue rajoute des éléments narratifs qui font retomber le soufflet d’une tension qui nous avait transportés. Le face à face final est constitué de dialogues assez convenus et tend à répondre de manière explicite à des questions que le spectateur était en capacité de traiter tout seul. Bref, c’est trop long et disons-le, un peu raté.


Alors John Brown ? Un fanatique, un visionnaire ou juste un fou ? Sans doute un peu de tout cela. Mais « The good lord bird » en fait un portrait intelligent et se paie le luxe d’incorporer à l’Histoire des personnages fictifs tels qu’Onion, qui, en plus de questionner la personnalité de son héros, ajoutent une plus-value indéniable à l’ensemble. Et quant à savoir si John Brown était un humaniste, comme il le dit lui-même, s’il avait défendu la cause d’hommes blancs, il aurait fait figure de héros. Mais au bout du compte, sa dernière vision délirante aura été exaucée et il ne serait pas idiot de penser qu’il a peut-être allumé la première mèche.


Une critique série tous les dimanches. Retrouvez l'ensemble de mes chroniques sur le site https://seriephiledudimanche.jimdofree.com/
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vosarno
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le 4 avr. 2021

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vosarno

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