Sur ordre de Dieu
7.1
Sur ordre de Dieu

Série Hulu, Disney+ (2022)

Voir la série

Une analyse pertinente du fondamentalisme religieux aux USA

A force d’accuser toutes les autres religions, et en particulier l’Islam, d’être un foyer incandescent d’intolérance, et donc de terrorisme potentiel, nos amis états-uniens oublient facilement à quel point leur approche de la foi et de l’institution religieuse est elle aussi rétrograde, et souvent criminelle, ou tout au moins mortifère. Et c’est là l’indiscutable importance d’une mini-série comme ce Sur Ordre de Dieu (traduction française réductrice du titre original, Under the Banner of Heaven, c’est-à-dire sous la bannière des Cieux) : elle rappelle aux incultes et autres analphabètes que les Etats-Unis se construisirent sur la violence – ce que désormais l’on sait -, mais surtout que cette violence a été l’arme de prédilection des croyants, tous persuadés qu’il convenait d’exterminer quiconque ne pensait comme eux (et, en plus, de garder les femmes à leur « juste place »).

En Utah, en plein cœur du pays mormon, un atroce double meurtre est commis, qui secoue une communauté ultra-croyante et persuadée de vivre « sous la bannière de Dieu ». Un détective issu de cette communauté mène l’enquête, assisté de son collègue d’origine indienne (Gil Birmingham, magistral…) qui jette quant à lui un regard nettement moins bienveillant sur les us et coutumes mormones. Cette enquête, qui rapidement se concentrera sur une famille importante de la communauté et qui a depuis quelque temps emprunté la voie dangereuse du fondamentalisme religieux, va ébranler profondément les convictions du jeune père de famille, qui va voir peu à peu son univers d’effondrer, sans possible retour en arrière.

C’est Andrew Garfield, un acteur souvent moyennement convaincant, qui interprète le rôle du détective Jeb Pyre, et il faut admettre que sa performance maladroite et hébétée, paniquée même, fait beaucoup de l’intérêt du film, comme si ses failles d’acteurs épousaient parfaitement celles de son personnage : nul doute qu’il s’agit là du rôle de sa vie. Le reste de la distribution comporte le meilleur comme le pire : Daisy Edgar-Jones est incandescente en femme qui lutte pour être libre au sein d’une famille de plus en plus ancrée dans des traditions rétrogrades, commençant par rejeter les lois et le pouvoir, avant de se perdre dans des déviances douteuses – et illégales -, comme la polygamie. Elle sera celle par lequel le scandale, puis le drame arrivent dans un monde qui ne laisse qu’une place congrue aux femmes. A l’opposé, Sam Worthington se révèle trop rigide, visiblement incapable de représenter à l’écran la profonde métamorphose de son personnage, d’entrepreneur moderne à prophète ancestral auto-déclaré.

On touche là du doigt l’une des deux grandes faiblesses de Sur Ordre de Dieu : en 7 épisodes entremêlant de nombreux flashbacks, la mini-série de Dustin Lance Black (s’attaquant ici à un sujet personnel, puisqu’il est lui-même issu de cette communauté…) échoue à nous montrer l’évolution – ou plutôt la « dé-volution » de la famille, comme si le fait d’affubler les acteurs de barbes, cheveux longs et vêtements de pionniers suffisaient à nous faire comprendre leur effondrement religieux, philosophique et moral.

L’autre problème, plus désolant sans doute, est l’ambition de nous conter de manière parallèle au déroulement de l’enquête, l’histoire de l’église mormone, sa guerre contre les protestants, sa drôle d’alliance (mensongère) avec une tribu indienne, mais aussi les luttes intestines qui mèneront à son éclatement en communautés hostiles les unes aux autres, des plus intégrées dans la société US, aux plus fondamentalistes et isolées. C’est un programme pédagogique louable, et il faut admettre qu’on apprend beaucoup de choses, mais cela ne fonctionne jamais, soit parce que toutes ces scènes historiques semblent artificielles et peu crédibles, soit parce que leur inclusion dans la trame narrative est quasiment toujours inopinée, maladroite.

Ceux qui ont lu le livre de Jon Krakauer dont s’inspire la mini-série, livre relatant « une histoire vraie » qui s’est déroulée dans les années 80, soulignent aussi combien le dernier épisode, prêchant – d’une manière très américaine – la possibilité d’une foi qui soit respectable, tolérante,… « juste », contredit la dure réalité : la religion, quelle qu’elle soit, finit par TUER.

[Critique écrite en 2022]

Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2022/08/25/disney-sur-ordre-de-dieu-une-analyse-pertinente-du-fondamentalisme-religieux-aux-usa/

EricDebarnot
7
Écrit par

Créée

le 25 août 2022

Critique lue 397 fois

10 j'aime

1 commentaire

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 397 fois

10
1

D'autres avis sur Sur ordre de Dieu

Sur ordre de Dieu
EricDebarnot
7

Une analyse pertinente du fondamentalisme religieux aux USA

A force d’accuser toutes les autres religions, et en particulier l’Islam, d’être un foyer incandescent d’intolérance, et donc de terrorisme potentiel, nos amis états-uniens oublient facilement à quel...

le 25 août 2022

10 j'aime

1

Sur ordre de Dieu
Aurioke
9

Un chef d'oeuvre en tout point

Je viens de Binger cette série et écrire ces quelques lignes va être complexe.Tout d'abord avec un titre pareil je dois décrire ce qu'est un chef-d'oeuvre et bien entendu plutôt que d'en faire une...

le 27 juil. 2022

9 j'aime

Sur ordre de Dieu
Val_Cancun
7

La furie et la foi

Violent réquisitoire contre le fondamentalisme religieux, "Under the Banner of Heaven" constitue une mini-série de qualité, aux allures de polar, mais qui s'apparente plutôt à un drame familial en...

le 13 déc. 2022

7 j'aime

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

104

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

185 j'aime

25