Spy x Family
7.6
Spy x Family

Anime (mangas) TV Tokyo (2022)

Voir la série

(Habituellement j'évalue les œuvres que je note selon leur potentiel épanouissant et éducatif (au sens large). Voir mon profil pour plus d'explications. Pour celle-ci, je propose une réflexion, toujours dans mon cadre de référence, la psychologie.)

Mon visionnage

Spy x Family commence avec beaucoup d'idées intéressantes et un rythme prenant. Le cadre est rapidement posé : cela va être une histoire autour de trois personnages ayant chacun un secret qu'il cache aux autres tout en cherchant à coopérer avec eux. De quoi attirer l'attention des gens comme moi qui aiment se poser des questions et suivre des personnages élaborant des raisonnements complexes.

Les bases sont bien amenées, des subtilités viennent les enrichir, ça sent l'histoire qui va faire cogiter. Et... ce n'est pas le cas. Assez vite ça ralentit, les passages inutiles au scénario s'accumulent et les personnages se figent sur leur point de départ. Un personnage semblant important s'ajoute en fin de saison 1, mais il s'avère construit de la même façon qu'un précédent. Le scénario s'endort et les personnages entrent dans une routine prévisible. Ce que je trouve intéressant au regard de certains éléments de la série.

Une certaine vision de la motivation

Ce qui m'a le plus interpellé est la représentation du fonctionnement de la motivation. Centrons-nous sur le cas d'Anya, qui est très parlant pour ce sujet.

Le but de fond de ce personnage est d'éviter la désapprobation de sa famille, car supposément cela la mettrait à risque de la perdre. En psychologie, on parlerait d'évitement de la punition, la punition dans ce cadre étant tout retour conduisant à un vécu négatif (rejet, reproche, privation, douleur...). La punition potentielle d'Anya est pensée en tout-ou-rien : elle réussit et elle s'en sort, ou bien elle échoue et elle perdra tout. Aucune issue intermédiaire ou solution par la communication n'est envisagée, pas même pour élaborer en quoi ça pourrait ne pas fonctionner.

Pour éviter cette punition, Anya pose un but d'approche de la récompense, le pendant de l'évitement de la punition. En psychologie, la récompense est, en miroir de la punition, tout retour qui fait vivre du positif : valorisation, réconfort, affection, plaisir, gain matériel... Pour éviter la punition suprême, Anya s'intéresse aux objectifs de son père et fait tout pour y contribuer. Notamment en récoltant de bons points à l'école, en évitant les mauvais (autre système récompense-punition) et de même avec un de ses camarades de classe (recherche d'approbation, évitement de la désapprobation).

C'est une façon très ordinaire de penser la motivation, beaucoup de gens réfléchissent de cette façon, mais rarement dans une version si extrême. Ici, les motivations extrinsèque et introjectée sont tout le monde mental des personnages. La motivation extrinsèque est ce système de récompense et de punition, on agit pour essayer d'obtenir les récompenses et/ou pour éviter les punitions (au sens psychologique toujours). Par exemple dans cette œuvre, l'approbation du papa est une récompense, de même que les bons points scolaires.

La motivation introjectée est l'intériorisation du système de récompense et de punition. Dans ce système, l'une et l'autre sont auto-infligées. La récompense est alors constituée de compliments qu'on se dispense à soi-même et de fierté. La punition à l'inverse prend la forme de honte, de culpabilité et de reproches qu'on se fait.

La motivation introjectée est un peu plus évoluée que l'extrinsèque, mais les deux vont souvent ensemble et sont largement repérées dans les études comme étant de très mauvaises sources de motivation. La seule chose pire que de fonctionner à coup de récompense et de punition, c'est d'être obligé-e d'agir sans aucune raison.

Nous savons que ces deux formes de motivation, que la littérature spécialisée résume parfois par le terme "motivation contrôlée" (plus exactement il y a une autre motivation un peu plus évoluée avec, mais je vais en rester là pour ce texte) est efficace sur le très court terme et que c'est à peu près son seul avantage. Si vous voulez que quelqu'un agisse tout de suite selon une certaine consigne, le meilleur moyen d'y parvenir est de lui offrir une récompense en échange ou de le menacer de punition. C'est vrai. On sait aussi qu'à part ça, la motivation contrôlée est un broyeur motivationnel : elle est très mauvaise pour apprendre et pour mener tout objectif qui dépasse le court terme.

Nous en avons une excellente illustration avec Anya. Ses objectifs de récompense/punition sont si présents que son attention ne se porte jamais sur l'apprentissage en lui-même. L'école n'est pas perçue comme une source de savoir (pas plus que ses camarades) et le contenu des cours ne fait l'objet d'aucune réflexion. Lorsqu'il y a comparaison avec les autres, c'est pour situer qui a obtenu plus que l'autre, comment en tirer quelque chose pour l'objectif ou pour compétiter.

La première conséquence, c'est qu'Anya ne perçoit les devoirs que comme une corvée et les examens comme un stress. C'est tout à fait conforme à ce qui se passe dans la vie : la motivation contrôlée, surtout l'extrinsèque (récompense/punition venant de l'extérieur), capture l'attention et empêche de s'intéresser aux apprentissages en terme de développement et de buts personnels. De fait, se confronter à la difficulté n'est pas perçu comme enrichissant ou pouvant permettre de construire des compétences pour soi. Ce n'est qu'un obstacle à la récompense qu'on recherche et un risque de recevoir une punition. Quand bien même on rencontrerait un apprentissage qui nous plaît, un esprit très axé sur une telle motivation ne s'en saisira pas. On le voit dans la série : lorsqu'on fonctionne beaucoup avec de la motivation contrôlée, on a tellement l'habitude de ne s'intéresser qu'au résultat et pas au processus qu'on ne voit plus rien d'autre. Le personnage de Damian (camarade de classe d'Anya) nous permet de voir que, dans cette cage motivationnelle, la vie n'est pas tellement meilleure lorsqu'on brille que lorsqu'on échoue. Cela aussi est réaliste. La motivation contrôlée n'apporte pas d'apaisement durable, car on peut toujours faire mieux et on peut toujours perdre ce qu'on a.

Une autre conséquence visible dans la série de ce mode de pensée est le traitement superficiel des autres. On voit par exemple qu'Anya ne pense ses camarades presque que comme des moyens d'atteindre ou de s'éloigner de ses buts. Damian en particulier est à peine perçu comme un humain, ses pensées et ses émotions ne sont guère qu'un matériau à utiliser pour la mission. Il est intéressant de remarquer que, comme dans la vie, il n'y a pas de refus volontaire de s'intéresser à la vie des autres. La poursuite de la récompense et l'évitement de la punition occupent "seulement" l'attention en permanence, ne laissant pas de place à autre chose. Les gens qui fonctionnent ainsi (et c'est le cas de presque tout le monde à différents degrés) ne voient pas le problème et ne soupçonnent pas qu'il y en ait un. Ainsi Anya raisonne beaucoup selon ses objectifs et n'a pas l'idée que, factuellement, elle n'accorde jamais d'importance sincère au vécu des autres. C'est vrai pour tous les autres personnages.

Qu'est-ce que cela dit de l’œuvre elle-même ?

La motivation contrôlée est très court-termiste. Lorsqu'on l'utilise pour avancer, il faut sans cesse remettre des appels à récompense et des menaces de punition dans la boucle. Ce qui conduit à un faible développement personnel et à des objectifs qui stagnent ou qui se répètent. On le voit à deux niveaux dans cette série. D'une part, de façon directe avec les personnages. Pour qu'ils agissent, on leur secoue les mêmes objectifs sous le nez à longueur de temps et ils utilisent les mêmes raisonnements à chaque fois. Individuellement, ils progressent très peu, voire pas du tout selon les personnages et les moments.

D'autre part, c'est vrai pour la construction de l'histoire elle-même. On peut le voir dès le début : les trois personnages partent de la même idée, ce sont trois versions sorties de la même matrice. Les personnages importants ajoutés par la suite, peut-être à l'exception de Damian, reprennent la même base. Certaines idées sont un recyclage évident de précédentes.

L'élan du début de la série est puissant, tout comme peut l'être le démarrage d'un projet mené avec de la motivation contrôlée. Et il s'essouffle, à cause des effets très courts de la motivation contrôlée et du fait qu'elle détruit les motivations qui fonctionnent à long terme. De plus, la motivation contrôlée est un poison pour la créativité. Comme cette motivation gène sans cesse l'exploration d'autres choses que des buts de récompense/punition et qu'elle s'oppose au développement de soi, elle n'est pas propice à l'émergence d'idées diversifiées et flexibles. C'est ce qui fait que les œuvres menées dans ce cadre fonctionnent sur une ou deux idées de base et que leur succès dépend de leur potentiel de recyclage. Parfois, c'est suffisamment déclinable pour que ça nourrisse l’œuvre le temps qu'elle s'achève et ça peut tout à fait fonctionner (Code Geass en est un exemple). D'autres fois ça ne tient pas, par exemple lorsqu'on a tenté de sortir de l'idée qui fonctionnait et qu'alors le manque souplesse dans la créativité se voit (comme dans The Promised Neverland, avec son exceptionnelle saison 1 et sa très médiocre saison 2).

Spy x Family a encore des moyens d'exploiter son idée de départ, ce qui pourra lui permettre de se relancer. À condition qu'elle ne s'endorme pas dans la facilité, comme c'est le cas depuis trop d'épisodes à mon goût.

Que retenir ?

Il n'y a rien de tel pour dégoûter quelqu'un d'apprendre que de braquer son attention sur de la récompense et/ou de la punition. Plus généralement, c'est un bon moyen de maintenir son existence dans des objectifs pauvres et une inquiétude permanente. La solution fantasmée dans ces situations est visible aussi dans la série : être doté d'une compétence exceptionnelle. Le système de récompense-punition tend à faire entrevoir ce cas comme idéal : ah que ce serait bien si j'étais le plus intelligent, la plus forte, etc. Ainsi je décrocherais toujours les récompenses et j'échapperais perpétuellement aux punitions.

La série illustre bien cette impasse. Tant qu'on reste dans ce système motivationnel, il n'y a pas d'issue, peu importe qu'on atteigne le plus haut niveau de compétence possible ou qu'on dispose de pouvoirs surhumains. Car ce n'est pas le résultat le problème, c'est le cadre dans lequel il est produit. C'est notamment visible avec le personnage principal, Twilight, qui semble d'ailleurs représenter l'auteur. On voit que le personnage pense sa vie essentiellement comme quelque chose d'utile. Il perçoit intuitivement qu'il aurait quelque chose de plus enrichissant à vivre en se consacrant à sa famille mais il ne parvient pas à sortir de son cadre de pensée. Logiquement, l’œuvre a constitué un monde à l'image de comment les gens évoluant beaucoup avec de la motivation contrôlée le voient : quelque chose d'étriqué, où la marge de manœuvre pour faire autre chose que ce qu'on fait déjà est faible. Ce qui permet, même quand la réalité change, de se dire perpétuellement qu'on ne peut pas quitter sa façon de faire.

Note : Si ce texte vous a intéressé, vous êtes peut-être curieux-se d'en savoir plus sur la motivation, sur comment on sort de la contrôlée et comment on construit ou nourrit ce qui fonctionne. Ce texte me paraît déjà long, donc je développerai ça ailleurs. Malgré leur grande solidité scientifique et leur intérêt considérable, ces concepts ont été très peu transmis au grand public. Beaucoup de spécialistes eux-mêmes ne les connaissent pas. Donc navré, vous risquez de ne pas trouver grand chose si vous les cherchez. Je tâcherai de développer cela dans d'autres réflexions sur Senscritique. (Mais quand, je ne sais pas, j'ai commencé par celle-là !)

Discocresco
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs animes Seinen et Les meilleurs animes japonais

Créée

le 26 nov. 2023

Critique lue 178 fois

3 j'aime

Discocresco

Écrit par

Critique lue 178 fois

3

D'autres avis sur Spy x Family

Spy x Family
Elysion77
10

Spy x Family, une famille d’espion hilarante ! (+ Part 2)

Spy x Family est un excellent Shōnen/Slice of Life et l'un de mes gros coups de cœur de l'année 2022 ! J'ai entièrement regardé l'animé en VOSTFR sur Crunchyroll, en suivant chaque épisode en...

le 27 mai 2023

2 j'aime

Spy x Family
le-mad-dog
8

Quand l'adaptation explose le matériel original

Le problème avec les animés en deux parties c'est que je ne sais jamais trop quand en écrire une critique, notamment lorsque celles-ci ne sont pas consécutives : c'est arrivé pour No Guns Life ou...

le 19 sept. 2022

2 j'aime

Du même critique

Alba : Un Été en Terre Sauvage
Discocresco
10

Une charmante histoire d'écologie et de découverte des animaux sauvages (5-14ans)

(Je discute du potentiel éducatif (au sens large) des œuvres que je teste. Voir mon profil pour plus d'explications.)Prix sur Steam hors promotion : 16,99€.Quel est le principe de ce jeu ?On joue une...

le 2 mai 2023

2 j'aime

Ricky Zoom
Discocresco
6

Simple mais sympathique (4-6 ans)

(Je discute du potentiel épanouissant et éducatif (au sens large) des œuvres que je teste. Voir mon profil pour plus d'explications.)Quel est le principe de ce dessin animé ?Quatre enfants motos...

le 10 févr. 2024

1 j'aime

Les Schtroumpfs
Discocresco
4

N'a rien à dire

(Je discute du potentiel épanouissant et éducatif (au sens large) des œuvres que je teste. Voir mon profil pour plus d'explications.)Quel est le principe de ce dessin animé ?Ce sont des épisodes de...

le 30 déc. 2023

1 j'aime