Skins
6.9
Skins

Série E4 (2007)

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On n'est pas sérieux quand on a 17 ans

Skins est une série inégale, et ce dès la première saison. Certains personnages sont plus attachants que d'autres, et certains même ont un rôle clairement fonctionnel (comme dans la première génération Sketch, l'irritante méchante de service qui n'est là, à mon avis, que pour créer artificiellement des rebondissements, ou le complètement oubliable psy psychopathe de la seconde génération qui fait basculer la 4e saison dans le ridicule). La série fait très souvent preuve d'invraisemblance (exagération des situations dramatiques jusqu'à l'outrance), propose des scènes d'un grotesque souvent maladroit, et montre un portrait parfois caricatural, voire racoleur (sexe, drogue et fête tous les soirs) de la jeunesse des années 2000. Mais c'est aussi une série qui a beaucoup de beaux moments, des moments de vérités très touchants portés par un message simple et bienveillant, et pas si naïf, car assez lucide. La série parvient même plusieurs fois à éviter de plonger tête baissée dans la mièvrerie et à conserver une part énigmatique, à tel point qu'il n'est pas abusif de parler par moments de poésie, avec des passages contemplatifs vraiment réussis et une capacité à ne pas céder trop facilement à des explications redondantes. Bref, une habileté, dans certaines scènes du moins, à dépeindre des situations réalistes avec subtilité (en dépit de moments plus grossiers), à se mettre à l'écoute de ses personnages, à prendre le temps de les regarder, à laisser jaillir progressivement l'émotion, et à ne pas clore trop vite le sens devant l'ambiguïté.


Le gros point fort de la série par rapport à la majorité des choses qu'on nous donne à voir aujourd'hui c'est qu'elle n'est pas lisse. Tous ses acteurs ne sont pas beaux (loin de là), ils vivent souvent dans la crasse (derniers restes de l'esthétique grunge des 90's), et sont au mieux de la middle class (vivant dans de toutes petites maisons avec des salons presque aussi grands que leurs cages d'escalier), ont des parents qui font des boulots simples (le père d'Anwar conducteur de taxi, le père de Maxxie maçon, la mère d'Emily et Katie esthéticienne etc.) voire sont même visiblement pauvres (Maxxie qui vit dans un grand ensemble, Thomas qui vit dans un squat lorsqu'il immigre du Congo). On a une variété de visages, d'origines, de caractères, et c'est certainement une des principales forces de la série, qui est d'ailleurs au cœur même de son concept (avec le principe de passer de la peau, la "skin", d'un personnage à un autre suivant les épisodes), mais qui se révèle par moment aussi sa faiblesse en consacrant trop de temps au destin moins passionnant de personnages secondaires quand on a envie de savoir la suite de l'intrigue principale. Toutefois, la série peut là aussi nous surprendre en parvenant à nous émouvoir de personnages dont on n'attendait rien a priori. Il est assez évident que l'on aurait voulu voir plus souvent Tony, Michelle, Sid, Cassie dans la première génération, Effy, Cook et Freddie, dans la seconde, qui sont les personnalités les plus fortes du show, mais il arrive que certaines intrigues secondaires nous touchent (certains moments avec Anwar, Chris, Jal et Maxxie pour la première génération, certains moments avec JJ, Emily, Naomie, ou Thomas pour la seconde) et l'on ne prend que plus de plaisir à retrouver les personnages que l'on préfère en sachant que les passages où ils sont à l'écran sont rares et donc précieux.


En dehors des grands problèmes existentiels et sociaux qui traversent la vie d'un adolescent, l'essentiel tourne ici autour de l'amour et il est rafraîchissant de voir une série qui arrive à prendre les sentiments des jeunes à ce point au sérieux, sans les prendre de haut, ni tomber dans la niaiserie : Skins réussit à représenter de façon très juste la force des premiers amours, leur maladresse, leur débordement d'émotions, leur vitalité, leur idéalisme, autant que leur caractère éphémère et leur tragique fragilité, d'autant plus quand ils sont mêlés au grand tumulte de contextes familiaux et sociaux chaotiques, voire absurdes.


Dommage que la seconde génération qui commençait si bien, avec la si belle et fascinante Effy jouée par la merveilleuse Kaya Scodelario, et le trio amoureux sympathique qu'elle forme avec Freddie et Cook (dont les caractères opposés s'avèrent assez bien pensés), finisse avec un si mauvais scénario de série b et voit sa fin précipitée sans raison apparente. Problème de budget ? Menaces de déprogrammation ? C'est le sort fréquent de beaucoup de séries télés, surtout à cette époque là où elles n'étaient pas encore autant considérées qu'aujourd'hui (ce qui explique aussi l'inégalité des épisodes, avec la multiplication des réalisateurs et scénaristes...).


Devant cette fin de saison 4 ridicule et frustrante, je n'ai pas pris la peine de voir la troisième génération qui est de toute façon assez unanimement mal considérée (j'y jetterai peut-être un œil un jour par curiosité, si l'envie m'en prend, mais je ne suis pas pressé, surtout si c'est pour être encore déçu). Mais j'ai tout de même tenu à voir la 7e saison par attachement pour les personnages des deux premières générations, étant donné qu'elle voit le retour quelques années plus tard d'Effy, Cassie et Cook dans leur début de vies d'adultes, et je ne regrette absolument pas, car cette suite inattendue est incontestablement une réussite. Plus sombre que les saisons précédentes, plus mélancolique (plus adulte sans-doute), avec tout de même encore quelques inégalités et facilités d'écriture (la maladie de Naomie m'a semblé vraiment racoleuse), mais de véritables moments de grâce (l'affection d'Effy pour un Geek maladroit, les indécisions très humaines et les rêveries pleines de douceur de Cassie, la lutte pour la survie de Cook - toujours sur le fil) et un réalisme, une finesse des sentiments, avec des drames esquissés sans lourdeur dont la résolution est souvent habilement laissée en suspens, qui donnent un tout à mon sens plus subtil, moins grossier que les premières saisons (bien qu'aussi sans-doute moins divertissant au sens premier du terme). En fait, j'ai vécu cette saison comme trois films indépendants de très bonne qualité qui pourraient se suffire à eux-mêmes. Dans tous les cas, c'est un vrai plaisir de pouvoir suivre encore un peu l'existence de trois des personnages les plus captivants de la série.


Enfin, et surtout, une des grandes forces de la série est, évidemment, d'avoir su parler avec autant de justesse du mal-être adolescent, qui est aussi le mal-être des jeunes adultes en général (comme nous le montre bien la saison 7), l'errance, la difficulté à faire face au monde, à assumer ses sentiments, à s'affirmer, à savoir qui l'on est, à trouver sa voie, à surmonter les épreuves de la vie... Epreuves qui se manifestent souvent, au cours des épisodes, dans ce qui pourrait arriver de plus tragique et dur dans la vie d'un adolescent, la série n'hésitant pas à montrer à l'écran des dépressions, des tentatives de suicide, des attaques de panique, la grossesse d'une lycéenne (avec toutes les inquiétudes matérielles qu'elle engendre, et l'interrogation sur un éventuel avortement), une fille anorexique, une schizophrène, les abus de la drogue et de l'alcool (heureusement, sans moralisation), la difficulté d'assumer son orientation sexuelle face à l'homophobie, des parents absents, fous ou eux-mêmes dépressifs, des morts, des galères d'emploi ou de logement, des accidents graves et des traumatismes dont les personnages ont du mal à se remettre mais qu'ils parviennent tout de même à surmonter par la force de l'amour et de l'amitié, ce qui est un message très positif. Finalement, c'est avant tout l'humanité de ces personnages qui nous touche, leur vulnérabilité. On sort de tous ces épisodes avec le sentiment que la vie est dure, mais qu'elle est faite de beaux moments, qu'il y a dans la contemplation, l'amitié, l'amour, la fuite vers un ailleurs (porte de sortie privilégiée par Cassie et Effy face aux difficultés quand elles leurs semblent insurmontables), une possibilité permanente d'habiter le monde et d'aimer la vie.


En conclusion, bien qu'elle soit, comme je l'ai déjà dit, parfois inégale, cette série reste pour moi essentielle car elle montre les sentiments d'une jeunesse qui, à peu de chose près existe encore dix ans après, avec une vérité et une lucidité que je n'ai encore vu nulle part ailleurs dans aucune autre série.

LabyrinthMan
7
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le 11 déc. 2021

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