Shiki
7.3
Shiki

Anime (mangas) Fuji TV (2010)

Dans l’idée, il y a pas mal de points que je trouve très intéressants dans Shiki et qui pourraient en faire un anime respectable. Par exemple, les tous premiers épisodes passent un peu de temps à nous montrer les motivations ou les problèmes de certains personnages. On retient en particulier les deux jeunes qui souhaitent, pour des raisons différentes, quitter ce village situé loin de tout parce que la vie a l’air bien plus intéressante en ville. Il y a aussi le garçon bizarre a l’apparence burlesque qui a je ne-sais-plus quel problème avec sa sœur, et quelques relations amoureuses ou amicales qui se dessinent. En réalité, ce n’est pas le fait de montrer ces problèmes qui est intéressant, mais le fait que, finalement, ils n’ont que peu d’utilité dans la suite de la série. En quoi c’est bien ça ? Il faut bien comprendre que la tragédie qui frappe progressivement le village n’est pas annoncée, elle frappe sans prévenir et ne fait pas partie d’une série d’événements récurrents comme dans Le Sanglot des cigales. Cela signifie qu’avant que le drame ne commence, les habitants mènent une vie normale, qui pourrait sans doute avoir ses propres choses à raconter au spectateur s’il n’y avait pas eu ce drame. Ainsi, le drame annule presque totalement une bonne partie des problèmes soulevés au début, dont on pourrait s’attendre à ce qu’ils soient développés durant le reste de la série, si le récit était plus classique.


Ce que j’en retiens c’est que Shiki n’est pas là pour placer ses personnages dans une mécanique narrative trop contraignante. Donc non, dans Shiki, un élément qui semble important au début n’a pas spécialement de raison de réapparaître plus tard. Dans tous les cas il n’y a pas de règle fixe. Et ça c’est une bonne chose parce que ça évite de placer le drame dans un cadre trop artificiel en vue d’apporter de l’efficacité à la narration. L’approche de cet anime est donc plus réaliste, terre-à-terre. Ces qualificatifs, on continuer à les retrouver si on se penche encore sur l’histoire. Pour citer la critique de Legault, « Shiki n'est pas un anime d'action, ni un thriller [basé sur le mystère et l’enquête] tant on devine vite ce qu'il passe, ni vraiment d'horreur ». Donc Shiki n’est pas totalement un « anime de genre » parce qu’il n’ajoute pas au mythe tous les traitements habituels d’ordre narratif ou esthétique, il s’arrête au mythe pour le placer dans un cadre réaliste, plus proche de nous, et l’étudier avec un regard plus direct. Le résultat c’est que l’histoire n’est pas vraiment dirigée par une intrigue, on est surtout observateurs des changements qui s’opèrent dans un village, sur lequel s’abat un drame, et des réactions des habitants face à ce drame.


On peut encore continuer à analyser les marques de la sobriété dans l’histoire. En bref, on peut citer le fait d’en venir assez rapidement au point de vue des vampires en plus de celui des humains, pour aller dans le sens de la neutralité vis-à-vis des événements. On peut également citer l’humour qui reste présent assez longtemps puisque les problèmes ont l’air marginaux au début et que la vie ne s’arrête pas tout de suite pour le reste du village. Je pense qu’il y a d’autres éléments mais je ne les ai pas en tête. Mais tout ça c’est le concept et en pratique, Shiki, c’est bel et bien un anime que j’aime pas. Parce que son exécution me paraît contre-productive et parce que je peux la décomposer en plusieurs éléments et idées que je trouve contradictoires ou juste ratés, mal faits.


Déjà on commence par le défaut principal de l’anime : le design des personnages. Il ressemble un peu à un « design classique d’anime » (gros guillemets) mais il est bariolé et fait de coiffures farfelues et d’expressions faciales grotesques. Cet aspect de l’esthétique va à l'encontre de l’approche réaliste de l’histoire, surtout si l’on prend également en compte les quelques gags exagérés. Difficile pour Shiki d’être clair sur ce qu’il cherche à exprimer à travers son visuel, et difficile également de montrer que ce visuel est le reflet des choix narratifs. Le design des vampires ne tranche même pas tant que ça avec celui des humains, il n’est pas beaucoup plus bizarre. Alors on pourrait se dire que ce n’est pas grave, que c’est un artstyle comme un autre et qu’on peut s’y faire, mais ce design est en plus assez aléatoire, lorsqu’il s’agit de placer une bizarrerie dans la coiffure d’un personnage, et hétérogène, puisque certains personnages m’ont un peu fait penser à Ace Attorney (la femme du médecin et la mère) tandis que d’autres, avec leurs visages fins et anguleux, m’ont plutôt rappelé Code Geass, soit deux styles qui ne vont pas ensemble. Je suppose que le design provient du manga, car les illustrations de couverture des romans montrent les décors du village. Pour citer une autre adaptation de roman récente qui est également passée par la case manga, Shinsekai Yori arbore lui aussi un « design classique d’anime » (gros guillemets) auquel s’ajoutent des nuances qui le rendent très reconnaissables. La palette de couleurs est plus réduite, les visages plus simples, et il y a une unité globale dans le design, auxquels les monstres s’intègrent bien, qui rend le style très convaincant. Je ne pense pas que c’est une réalisation impressionnante mais elle fait plein d’efforts. Je parlerai de Parasyte plus loin en raison des similitudes de son histoire avec celle de Shiki, mais en ce qui concerne sa réalisation, qui souffre de faiblesses dans l’ensemble, elle se base tout de même sur un design sobre, ce qui évite de créer une dissonance vis-à-vis de l’ambiance et de parasiter (lol) le visionnage. Comme style qui, dans l’idée, se rapproche de celui de Shiki, il y a celui de Steins;Gate, qui part d’une base stylisée et tend vers un rendu plus sobre tout en gardant des petits éléments exotiques. Je pense que Steins;Gate trouve un bon équilibre.


Au-delà de ça, le visuel est aussi entaché par certains effets de montage vidéo bizarres (ce n’est plus de la vraie mise en scène à ce niveau-là), à base de changements de couleurs et de translation, notamment durant les quelques passages anxiogènes. Les décors sont corrects (mais il s’agit de toute façon de l’aspect le plus réussi en moyenne dans l’animation japonaise). En revanche, j’ai eu cette impression que la réalisation pose mal le cadre. On a comme point de repère le château surplombant le village, il y a des lieux récurrents, mais la brève vue aérienne n’aide pas réellement à bien comprendre comment le village s’agence. On ne voit pas les personnages parcourir de manière claire et sur de grandes distances les lieux. J’avoue cependant que le récit choral rend la tâche difficile, c’est plus simple lorsqu’on a un seul personnage à suivre. Mais pour une histoire qui se déroule dans un village isolé, ça aurait pu être un bon plus pour l’immersion. Pour indiquer les lieux, l’anime a en revanche recours à énormément d’indications écrites à l’écran. Même les lieux que l’on connaît déjà sont précisés encore plusieurs fois. De même, chaque nouveau personnage, aussi insignifiant soit-il, a un nom et une profession qui sont indiqués à l’écran. Et ça me paraît totalement superflu. Ça se tiendrait si l’anime avait une approche de documentaire, mais ce n’est pas le cas (et ça aurait été énorme et super original n’empêche). Les inscriptions sont enfin utilisées pour indiquer la date, et ce plusieurs fois par épisode. Comme pour la notion d’espace, je trouve que l’anime ne pose pas une notion du temps que l’on peut comprendre et ressentir par nous-même, et se repose trop sur ces indications écrites. Encore une fois, ça aurait été bien si l’approche était réellement celle d’un documentaire neutre et distant, ce que l’anime n’est pas.


On a dit plus haut que l’approche était quand même terre-à-terre, et qu’elle ne misait pas sur le mystère, entre autre. En réalité même sur ce point-là je trouve l’anime bancal. Comme l’exprime la critique d’ultimafouina, on perçoit tout de même la dissipation rapide du mystère comme étant du vol. Parce que finalement, même si on nous montre rapidement les « coupables », on n’a pas pour autant droit au point de vue complet des vampires. L’intrigue se retrouve donc dans un entre-deux inconfortable : elle en a trop dit pour qu’on puisse encore parler de mystère mais elle n’en a pas encore assez dit pour qu’on soit satisfait et qu’on puisse observer la globalité des événements, avec les intervenants des deux camps. Du côté des vampires, ça met effectivement du temps à venir. Et pendant ce temps, côté humain, l’histoire installe une routine répétitive avec de nouveaux contaminés à chaque épisode et des histoires personnelles liées mais pas très puissantes. Les habitants tournent en rond dans leurs hypothèses et leurs recherches, et les avancées se font au compte-goutte. C’est assez frustrant à regarder, parce qu’il y a cet entrain émotionnel qui n’est pas celui du récit neutre et qui demanderait donc qu’on acquiert les réponses en même temps que les personnages pour mieux les comprendre. La situation se débloque réellement bien après les trois quarts de l’anime, et si j’ai trouvé la fin pas mal, je pense que ça vient surtout du contraste avec le reste de la série qui a passé trop de temps avant d’en venir au fait. Si je réfléchis à ce que l’histoire a donc voulu me montrer, je trouve ça intéressant, dur à avaler, c’est vrai, mais quand même assez limité. Le fin mot de l’histoire se subit d’un coup durant la conclusion et je n’ai pas vraiment de pistes à explorer pour étoffer et nuancer la réflexion, qui se résume en une phrase.


L’humanité peut être capable des exactions les plus sordides quand elle ne prend pas le temps de comprendre l’étranger. Et une phrase de plus quand même : les vampires ne sont pas défendables non plus, en vrai.


A la limite, je n’ai pas regardé les fameux épisodes spéciaux, donc je laisse le bénéfice du doute.


Toutefois, comme exemple d’œuvre au thème central super simple et qui m’a vraiment convaincu, je citerai le jeu vidéo Spec Ops: The Line, qui rentre très vite dans le vif de son sujet, à savoir la réalité de la guerre, enrobe le tout d’une ambiance visuelle et musicale impressionnante, et se sert habilement de son gameplay rudimentaire. Sans doute Texhnolyze peut-il aussi être un super exemple, même si ses autres qualités, qui se rapportent à la construction d’un univers d’anticipation, le fond aussi pencher vers les qualités d’un Shinsekai Yori.


Mais l’anime auquel Shiki m'a le plus fait penser c’est donc Parasyte, qui oppose également deux espèces et qui met notre morale à l’épreuve, avec une approche plus scientifique. L’avantage de Parasyte, c’est de nous amener à comparer les deux espèces tout au long de l’histoire, et d’explorer les évolutions psychologiques qui surviennent lorsqu’on se situe pile entre les deux. D’ailleurs les parasites sont très différents des humains. C’est justement le dernier problème que j’ai avec Shiki : au fond les vampires et les humains sont trop similaires, les différences sont plutôt de l’ordre de la nuance arbitraire (le régime alimentaire, et les trucs de vampires évidemment). Même si c’est justifié, et que je ne pense donc pas que c’est un réel défaut (ça l'est d'après moi dans le manga Tokyo Ghoul) c’est simplement un point qui m’éloigne personnellement de l’intérêt de l’histoire.


Pour conclure en vrac, je dirai que j’ai quand même bien aimé le médecin et la lolita gothique interprétée par Aoi Yuuki, aussi bien pour ce qu’ils sont en tant que personnages que pour leur design (eh oui, les exceptions). La musique a pas mal de morceaux excellents, j’aime beaucoup le dramatisme et la tristesse qui s’en dégagent. Les quelques fois que j’ai zappé sur Naruto Shippuden à la télé ça avait ces sonorités et j’aimais bien, donc content d’avoir regardé un anime avec le même compositeur.


Fin de critique abrupte.




Note : concernant le « design classique d’anime », d’après moi il n’y en a pas, c’est plutôt un continuum de designs relativement proches mais qui se démarquent par leurs nuances et qu’on ne peut pas séparer catégoriquement des designs plus réalistes ou relevant d’autres influences, parce que la limite n’est jamais nette. Aussi, les gros guillemets indiquent l’approximation volontaire, pour simplifier le propos.

Enemia
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le 21 mars 2017

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