Voici un drama à l'esthétique rare et soignée, en harmonie avec son sujet: le regard du peintre en contemplation devant les paysages et les lumières, la pensée du poète traçant les caractères de ses émotions, la sagesse du philosophe impliqué dans les difficultés de son époque.
Saimdang, surnommée La Mère Sage a bien vécu au XVIe siècle et semble avoir marqué son temps par ses talents de peintre, de poète, de calligraphe mais aussi par sa pensée confucéenne. En effet, n'ayant que des sœurs, elle reçut l'éducation réservée aux garçons. En avance sur son temps, animée d'aspirations étrangères aux femmes dans une société qui leur était fermée, elle a du faire preuve d'une grande fermeté pour arriver à s'imposer.
Le drama est une évocation romancée de sa vie et certainement discutable, mais baigné tout du long dans la contemplation(beaux paysages, montagnes, cerisiers en fleurs, forêts de bambou...) et la concentration intérieure(le pinceau délicat du peintre, la trace de l'encre sinuant sur le papier, le regard attentif...), l'art comme guide et gouvernail permettant de traverser les tourmentes politiques et historiques.
Rarement, j'ai vu dans un drama une image aussi soignée, le cadrage des visages, la clarté fusant à travers les feuillages des bambous ou les fleurs de cerisiers, les ponts ombragés, les à-pics impressionnants des montagnes jusqu'aux étoffes étendues dans le vent. Costumes, décors, scènes de chasse et de combat maitrisées tout autant que les regards et gestes appliqués des calligraphes ou des artisans. La reconstitution est de qualité, les personnages bien construits, suffisamment approfondis et cohérents.
Là où le scénario pèche c'est dans une difficulté d'intégration entre le présent et le récit passé. Ce sont 2 femmes à des époques différentes prises au piège de luttes de pouvoir autour d'une peinture controversée. Dès le 2ème épisode nous sommes plongés dans la jeunesse de Saimdang, quittant la grisaille aride des villes contemporaines pour des paysages de campagne: lumières aux densités irréelles, couleurs éclatantes, insectes et fleurs, peinture, poésie et nature, les images ont la délicatesse des peintures dont l'âme est omniprésente, de sorte que les rares et brefs retours au Séoul contemporain font l'effet d'être tiré en sursaut d'un rêve coloré et lumineux pour devoir recoller à une narration du présent qui n'offre guère de similitude ou de correspondance avec le passé.
Soit, il y a la peinture en fil conducteur et le journal à déchiffrer, mais les intrigues compliquées du présent ne m'ont jamais semblé se couler harmonieusement dans la trame du récit ou s'y intégrer. Mal-à-propos, hachés, trop brefs et intempestifs, on se désintéresse de ces retours qui offrent trop peu de développement, tandis que le passé se perd(surtout au début) dans des longueurs, descriptions par le menu de détails de la vie quotidienne de Saimdang sans grande incidence sur le récit, puis une avalanche de péripéties romanesques(dans la seconde partie) qui prennent définitivement le pas sur le drame contemporain. Mal dosées, l'une et l'autre histoire ne parviennent pas à se répondre à la façon d'un miroir. Une intention qui ne se fait jour qu'à la fin où un épisode presque complet au présent parvient à établir un équilibre des récits et à les lier.
Peut-être aurait-ce du être le parti à adopter dès le début: laisser le passé se développer et revenir plus longuement au présent pour mettre le parallèle en évidence: deux femmes se regardant, l'une l'autre à travers les siècles, semblables par leur passion de l'art, leur obstination dans la recherche de vérité et de justice.
Saimdang traverse une vie de chagrin, drames et renoncement tout en gardant une attitude pleine de dignité, lumineuse et retenue. Par moment un tantinet pesant, le côté mélo: le sort qui s'acharne sur l’héroïne digne, courageuse qui endure ses peines avec abnégation et fait face aux tragédies avec un courage et une générosité exemplaire. J'aurais parfois aimé un sourire sur son visage ou une étincelle de colère dans ses yeux plutôt que cette immuable silhouette de sainte martyre. J'en retiendrais son visage concentré, illuminé, le mouvement de son pinceau, tache absorbée par le papier ou la ligne fine, nette qui s'incurve, merveilleuse maitrise du trait qui prend forme.
Autour de Saimdang, les personnages de sa vie, bien définis et approfondis, ils occupent leur place avec justesse et conviction: l'amour de sa vie, noble et charismatique, le roi tourmenté et abusif, enfants méritants et mari à la naïveté(stupidité) un peu exagérée, et les errants, le peuple et les érudits, les artistes... Drame oblige, aucun n'échappe à une transfiguration romanesque, mais ils sont suffisamment nuancés pour convaincre.
Et par-dessus tout la peinture, la poésie baigne le récit et l'irradie: c'est un régal de découvrir la fabrication du papier, d'assister au cérémonial de la préparation des couleurs disposées dans les bols, de contempler les gestes précis des peintres et des calligraphes et voir surgir du papier, magie visuelle une habile harmonie de lignes et de couleurs.
Un authentique amour de l'art, un respect attentionné des traditions se dégage de ce récit qui transcende le drama et le rend singulier à mes yeux: sa volonté esthétique à copier le regard du peintre, chercher à saisir l'âme et l'harmonie secrète de la nature et des choses a largement supplanté mon intérêt pour un scénario qui ne manque pourtant pas de tenir en haleine.
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boomba
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le 11 juil. 2018

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