One-Punch Man
7.8
One-Punch Man

Anime (mangas) TV Tokyo (2015)

Alors que dans une production d’animes florissante à en donner le tournis, seule une poignée de titres parvient à tirer son épingle du jeu chaque année, One-Punch Man est sans aucun doute le shônen qui a marqué 2015 de son empreinte. Pourtant, si l'adaptation est somme toute d’assez bonne facture, un succès si retentissant a de quoi laisser perplexe, et pour cause : la formule proposée manque cruellement d’innovation, en dépit de sa tentative de second degré.


Les poncifs du shônen, on les connaît : un héros doté de facultés hors du commun, qui va peu à peu apprendre à les maîtriser face à des ennemis toujours plus redoutables, tout en s’entourant au fil de ses aventures d’alliés sans lesquels il lui serait impossible de progresser. Outre les thématiques récurrentes de passage à l’âge adulte et d’importance de l’entraide, une bonne partie du plaisir coupable du registre repose sur la découverte de pouvoirs de plus en plus impressionnants, de part et d’autre de la ligne de front, jusqu’à parfois basculer sans subtilité dans ce que j’aime à appeler du power porn. Si certains mangas et animes parviennent à s’illustrer véritablement tout en appliquant à la lettre cette recette, du fait par ailleurs de leur qualité d’écriture (Code Geass), de l’originalité de leur univers (Attack on Titan) ou de leur humour (Soul Eater), force est de constater qu’une certaine lassitude s’est emparée du genre.


C’est ici que One-Punch Man intervient : parfaitement conscient de ces lieux communs, il va se permettre de largement ironiser à leur sujet, à l’image de Kill la Kill qui avait sans trop de mal écrasé de son aura l’hiver 2013/2014. Il ne faudrait cependant pas oublier que ce que ces deux satires ont en commun est que, tout en lançant pique sur pique à l’égard des clichés du genre, elles se reposent malgré tout dessus, n’hésitant pas à les exploiter éhontément. Ce degré de complaisance, extrêmement élevé dans Kill la Kill (ce qui, tout en faisant mon plus grand bonheur, avait eu pour effet secondaire de copieusement irriter Maratz), se retrouve en moindre mesure dans One-Punch Man… mais c’est peut-être précisément cette plus grande timidité qui empêche la série de vraiment décoller. En effet, s’il y avait dans les débordements surexcités de Kill la Kill une jouissance jubilatoire, One-Punch Man a un peu plus de peine à se démarquer du genre qu’il critique.


Commençons par nous attaquer à la caractéristique la plus saillante, à savoir le "One-Punch Man" lui-même, à savoir Saitama. L’argument de vente principal de la série réside dans la définition de ce héros doté d’une force phénoménale, mais d’une intelligence toute relative. Si cette faible vivacité d’esprit n’a rien de bien exceptionnel pour un protagoniste de shônen (après tout, Black Star dans Soul Eater ou Natsu dans Fairy Tail ne sont pas connus pour être particulièrement brillants en-dehors de l’arène), elle est ici doublée d’une minimisation de l’ego qui ne manquera pas de rendre le personnage attachant. A ce titre, l’alternance pour Saitama d’un design "standard" et d’un design extrêmement simplifié lui conférant un air franchement stupide rend la démarche tout à fait explicite et ludique (à cela s’ajoute, dans la version française, le choix au doublage d’OrelSan, qui s’est constitué depuis quelques années un style "ado attardé" parfaitement pertinent ici).


Toutefois, si le procédé a certes de quoi faire sourire, il n’en demeure pas moins grossier, et quelques dizaines de minutes suffisent malheureusement à en faire le tour. Il ne s’agit pas en soi d’un problème majeur, puisque rares sont les personnages de shônen à réserver des surprises au-delà des quelques traits de personnalité qui les définissent. Néanmoins, le potentiel comique de la série repose bien trop largement sur cet unique ressort, si bien que l’humour, supposé être l’un des points forts de One-Punch Man, est cruellement prévisible au point de parfois devenir crispant dans son exécution fastidieuse. C’est qu’au final, on ne fait guère ici que systématiser des gags que l’on pouvait déjà croiser au détour d’autres animes, là où dans Kill la Kill, Mako ou Nudist Beach faisaient exploser les compteurs du ridicule en se plaçant toujours un cran au-dessus de ce qui se trouve ailleurs.


D’ailleurs, on note ici une opposition dans les démarches des deux séries : là où, dans Kill la Kill, Matoi Ryûko et ses principaux antagonistes constituaient des personnages relativement "normaux" noyés dans un univers survolté et sans queue ni tête, dans One-Punch Man c’est le héros qui concentre l’essentiel de l’absurdité. Cela, aussi, explique sans doute le ressassement de l’humour, gravitant autour d’une figure unique. Par conséquent, le ton général de cette adaptation est nettement plus sérieux, et prend incidemment beaucoup moins de recul par rapport au genre du shônen. A ce titre, il suffit de décaler le focus du scénario et de le centrer sur Genos, en reléguant Saitama au rang de side-kick comique, pour immédiatement retrouver une narration tout ce qu’il y a de plus banale. Ce simple tour de passe-passe permet de révéler l'artificialité du caractère ironique de l’œuvre, qui demeure très superficiel.


La véritable limite de One-Punch Man, cependant, c’est qu’une fois expédié son second degré, il offre au premier degré un divertissement parfaitement paresseux. Pour adresser encore une fois la comparaison avec Kill la Kill, là où la production de Trigger, en se vautrant perpétuellement dans ses excès, procurait une décharge ininterrompue d’adrénaline, celle de Madhouse recèle au final bien peu d’originalité. On ne trouve pas même de plaisir à découvrir les pouvoirs des antagonistes et des autres héros, qui se résument peu ou prou à : taper, trancher, incendier ou lancer. Pourtant, peut-être que des capacités plus sophistiquées auraient participé à créer un décalage plus grand, et donc plus comique, avec le style de combat minimaliste de Saitama. Au lieu de cela, l’essentiel de l’anime est passé à regarder distraitement des combattants supposés de haut niveau donner des coups d’épée dans l’eau tout en trouvant divers prétextes pour retarder l’arrivée de celui qui mettra fin à l’affrontement d’un risible coup de poing.


Sans doute est-ce un tantinet ironique, puisque le système de classement très précis au sein de l’Association des Héros apparaît comme une boutade à l’encontre de ces personnages de shônen sans cesse obsédés par la volonté de devenir plus puissants que leurs pairs, mais c’est précisément à partir du moment où Saitama y adhère que son histoire devient un peu plus captivante à suivre, parce que canalisée vers un objectif tangible. Jusqu’alors, les combats erratiques que menaient le protagoniste peinaient à intéresser du fait de leur absence d’enjeux. Être un héros « pour le fun » ne l’est finalement pas tant pour le spectateur, ce qui permet de s’apercevoir que certains clichés des animes ne le sont pas pour rien : après tout, dans la fiction comme dans la réalité, la présence d’une aune à laquelle se mesurer est essentielle pour ne pas basculer dans une anomie désespérante. Qui eût cru que, même dans un shônen, le nihilisme guette ?


La particularité de One-Punch Man est qu’ici cette échelle est totalement déconnectée de la réalité des facultés du héros, ce qui a pour double effet de dénoncer l’absurdité de ce classement (et par analogie, de beaucoup de ceux qui sont employés pour catégoriser les individus dans la "vraie vie"), et de réinstaurer un sentiment de progression dans la vie d’un personnage dont la force physique est si développée qu’il ne rencontre plus sur son chemin d’ennemi à sa taille. Avoir atteint, déjà, le point le plus haut, et n’avoir plus de progression significative à espérer… on aurait des angoisses existentielles à moins que ça. Si ce découragement semble la clef de voûte de la psychologie de Saitama, il serait, en revanche, d’un intérêt limité narrativement parlant, et One-Punch Man ne saurait en définitive se passer du lieu commun de la compétition, qui injecte une dimension ludique.


En somme, la série laisse un sentiment assez paradoxal, car on n’est jamais vraiment sûr du pied sur lequel elle danse. Il est parfois difficile de faire la part des choses entre second degré, code assumé et poncif pour lequel on n’a tout simplement pas trouvé d’alternative convaincante. Encore une fois, Kill la Kill s’en tirait mieux face à cette question car son côté excessivement déluré en faisait un divertissement hors du commun quel que soit le niveau d’ironie qu’on consentait à lui prêter. En revanche, pris au premier degré, One-Punch Man manque cruellement d’aspérités qui lui permettraient de retenir l’attention au milieu d’un marché saturé de combats épiques ; tandis que sa critique se fait trop superficielle pour permettre à la démarche d’être réellement prise au sérieux. A trop capitaliser sur une seule idée, il se montre tout simplement décevant.


Pour autant, One-Punch Man n’est pas une mauvaise série. Sa version comics n'a sans doute pas volé son succès, et il serait très surprenant de la part du studio Madhouse, qui a collaboré avec d’immenses noms tel que Kon Satoshi et Hosoda Mamoru, de se planter complètement au moment de l'adaptation. Non, le reproche que l’on peut faire à One-Punch Man est simplement d’être beaucoup trop générique, mais non pas raté. En outre, si un certain sentiment d’insatisfaction demeure du fait d’un trop grand nombre de pistes laissées inexplorées (essentiellement au niveau des personnages secondaires), on peut légitimement espérer que la seconde saison saura s’en saisir pour redynamiser l’ensemble. On a du mal, à ce stade, à s’imaginer une réelle revitalisation, mais après tout pourquoi ne pas laisser à l’anime le bénéfice du doute ? Aucun doute qu’il a su conquérir son public, même si je n’en fais pas partie : peut-être cela lui confèrera-t-il le petit surplus de confiance qui lui manquait pour prendre plus de risques ?

Shania_Wolf
6
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Créée

le 28 mars 2017

Critique lue 700 fois

7 j'aime

Lila Gaius

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7

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