Impassible n'est pas Français

Minichronique est une série française qui passait avant le journal de 20H sur TF1 lors des fêtes de fin d’années dans les années 70 et qui avait de ce fait la particularité de s'étaler sur deux ans ; 76/77 pour la première saison et 77/78 pour la seconde. A l'origine et l'écriture de ses courtes chroniques d'une quinzaine de minutes on retrouve l'immense René Goscinny qui décédera en Novembre 1977 et ne verra donc jamais la diffusion de la seconde saison de son œuvre. Les Minichronique sont des courtes pastilles humoristiques dans lesquels Goscinny s'amuse à croquer les travers et les tracas quotidien d'un français plus petit bourgeois que vraiment moyen. Durant deux fois treize épisodes nous allons donc suivre ce bon Georges Bouchard dans son petit quotidien familiale et professionnel et à travers ses loisirs et ses galères.

Les Minichroniques sont parfois proches des Dingodossiers de Marcel Golib dont Goscinny est également l'auteur, mais ces courtes chroniques sous forme de sketchs semblent également être de lointains ancêtres de toutes ses vidéos Youtube qui épinglent l'absurdité du quotidien et des ses humoristes qui ont fait de la radioscopie de nos comportements en divers situations un inépuisable moteur de comédie. En compagnie de Monsieur Bouchard nous allons donc explorer les bruits agaçants, les petits moments de gênes, de gloire, de médiocrité, de lâcheté ou de honte, les objets récalcitrants, nos maladresses, les voyages en avion ou les croisières , les tracas du bricolage, les soirées ratées ou le comportement des gens qui nous agacent et bien d'autres choses encore.... A la manière d'un Rod Sterling ou d'un Alfred Hitchcock c'est René Goscinny lui même qui est le narrateur et qui introduit tous les épisodes par une courte présentation dans laquelle il apparaît avec une formidable jovialité débonnaire de sale gosse(scinny). Quant au personnage principale monsieur Bouchard interprété par Jean-Claude Arnaud, un acteur sociétaire de la comédie française et essentiellement homme de théâtre, c'est un petit cadre d’entreprise banal, il est marié à Jocelyne avec lequel il a un fils et incarne donc une caricature bienveillante et amusée des petits travers de nos comportements quotidiens dans divers situations qui parleront encore aujourd'hui à beaucoup de monde même si Georges Bouchard avec son costume, ses dîners d'affaires, son grand appartement parisien avec bonne et ses soirées chez son patron n'est pas exactement l'archétype du français moyen moyen. Le personnage (et l'acteur) est un croisement entre la classe un peu aristocratique d'un Jean Rochefort, la maladresse maladive d'un Pierre Richard et la bionomie « franchouillarde » d'un Jean Pierre Marielle.

L'humour de la série reste gentil, bon enfant, amical et bienveillant y compris lorsque René Goscinny croque les comportements des casses pieds qui nous donnent parfois des envies de meurtres ou qu'il s'attaque avec des gants aux femmes (Goscinny a souvent été taxé de misogynie) pour se moquer de leur hypersensibilité, leurs humeurs changeantes et leur réputation de mauvaises conductrices. On rira assez peu mais on s'amusera très souvent surtout lorsque la caricature souvent accompagnée de bruitages de cartoons pousse la logique des emmerdes jusqu'à l'absurde. Tous les épisodes n'ont pas la même saveur mais certains sont toujours aussi drôles et pertinents même 40 ans après leur écriture comme Le Bricolage, Le Déjeuner d'affaires, Les Gaffes, Les Ennemis, La Croisière, L'Itinéraire, Les Mauvaises Soirées , Statistiques ou le formidable Fable Publicitaire dans lequel René Goscinny nous raconte une petite histoire truffée de placements produits et de références à des articles aux noms improbables (Scrotch - Sloup – Schlatz – Stink …) qui font la vie plus belle et nous assure une réussite sociale qui nous entraîne jusqu'à la présidence de la république. Fatalement reflet de son époque dont elle croque le quotidien, Les Minichroniques s’appuiera parfois sur un humour un peu dépassé dans ses références mais qui rappelleront des bons souvenirs aux quinquagénaires comme lorsque dans l'inventaire des objets méchants on parle de la récalcitrante clé de la boîte à sardine ou de la dernière épingle dans la chemise. Dans ce même registre d'humour rendu obsolète par la technologie on s'amusera également des trajets en voiture avec un itinéraire de fortune ou des types agaçants qui restent trop longtemps dans les cabines téléphoniques. Le plaisir de ces Minichroniques résidant également dans le fait de se replonger dans l'ambiance, les couleurs, les odeurs, les objets, les décors et les références qui sont pour moi celle de l'enfance.

La série n'a pas vraiment de continuité linéaire même si elle s'articule autour de Georges Bouchard et de son épouse Jocelyne (Jocelyne Darche) avec des personnages qui reviennent régulièrement et épisodiquement comme son patron Monsieur Duvallon interprété par Yves Brainville. Le fils du couple est parfois totalement absent et n’apparaît qu'au besoin des circonstances thématiques et certains personnages qui reviennent régulièrement changent parfois de personnalité selon les épisodes. C'est le cas de Émile dit Mimile interprété par Nono Zamitt (grand second rôle du cinéma français vu dans Bébert et l'Omnibus – Les Gaspards – Signé Furax – La Belle Américaine – Les Compagnons de la Marguerite) qui est selon les épisodes un ami d'enfance ou de régiment, le mari d'un couple de casse pieds parasites insupportables ou au contraire le mari du couple d'amis fidèles des Bouchard. Au fil des épisodes on aura aussi le plaisir de retrouver dans le rôle de l'épouse de Mimile la comédienne Arlette Didier qui a fait quelques unes des grandes heures de l'émission Au Théâtre ce Soir entre 1966 et 1984 , Jacques Monot un autre immense comédien de second plan qui a tourné pour Truffaut, Molinaro, Lautner, Vadim, Polanski , Visconti, Labro, De Broca ou Pierre Richard (excusez du peu!!) et l'immense Pierre Desproges qui apparaît dans plusieurs épisodes sous les traits d'un homme d'affaire ou d'un curé. On s'amusera aussi à reconnaître lors de courtes apparitions et seconds rôles les comédiens Ronny Coutteure , Paul Mercey (complice de Jean Yanne et immense second rôle), Guy Grosso membre des célèbres Gendarmes , Maurice Auzel ( Une vingtaine de films avec son Ami Jean Paul Belmondo) , Jacques Rispal à la filmographie longue comme le bras (Resnais - Verneuil - Giovanni - Mordilla - Simenon - Blier – Corneau – Malle). Je dois avouer que personnellement j'adore retrouver tous ces visages familiers croisés mille fois, ces acteurs dont on reconnaît la présence et dont on ignore souvent le nom ; il faudra d'ailleurs que je me remette sérieusement à ma liste des éternelles seconds rôles du cinéma français.

Plaisante et amusante cette petite série permet de passer quelques savoureux bon moments en compagnie d'un français râleur, bon vivant, ordinaire, parfois médiocre mais souvent attachant. Les traits du très français Monsieur Bouchard sont tour à tour fins ou un peu plus grossiers mais René Goscinny croque avec malice ses contemporains dans un joli petit exercice de comique d'observation et de situations. On râle, on vit, on est parfois brillant puis ridicules .... Impassible pas français !!