Nouvelle adaptation de la série de livres Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire, cette série produite par Netflix, est une seconde tentative après le film de 2004 qui a échoué à se transformer en franchise.
Délaissant le cinéma, cette autre adaptation prend des partis différents, notamment formels. Tous les livres, treize en tout, malheur oblige, seront adaptés, à raison pour cette première saison au moins de deux épisodes par livre.


Les influences cinématographiques permettent la mise en lumière de l'ambivalence du récit


L'esthétique est essentiellement influencée par Wes Anderson. Couleurs pastels, cadres symétriques et de nombreux travellings horizontaux ou verticaux rendent le monde entourant les orphelins irréel, filtré.
Cette ambiance est cependant constamment contrebalancé par la noirceur de ce qu'on nous raconte, meurtres et autres incendies criminels.
En effet, une autre inspiration est celle de Tim Burton et son ton tragique, influence que l'on retrouve notamment dans certains décors, confectionnés par un collaborateur de Burton, Bo Welch.
La série joue en effet sur le décalage et la dualité des tons, oscillant entre la burlesque comique et un ton plus noir reflété par des décors qui peuvent rapidement passer du pastel au gris terne.
Le danger auquel sont confrontés les Baudelaire est toujours ambivalent lui aussi. Les déguisement ridicules d'Olaf font rire, mais puisque qu'ils fonctionnent à chaque fois sur les adultes, le danger, aussi absurde soit-il, se rapproche tout de même.
Le showrunner, réalisateur des deux films La famille Addams puis Les valeurs de la famille Addams sait trouver l'équilibre entre la noirceur des personnages et du récit et le comique de la forme et des situations, équilibre incarné par le Comte Olaf, dont les plans machiavéliques sont toujours mis en parallèle avec sa stupidité et son côté théâtral et burlesque. Son rôle rappelle d'ailleurs son interprétation du chantant et très réussi Doctor Horrible.


Plongés dans un monde kafkaïen


L'ordre fait place au désordre dès le commencement, du manoir symétrique aux ruines calcinées, Violette, Klaus et Sunny sont immédiatement forcés à pénétrer un monde autrement plus inquiétant.
Les adultes, autrefois synonymes de protection lorsque leurs parents étaient en vie, sont maintenant, soit à la poursuite de leur fortune, soit complètement imperméables aux explications que tentent de leur fournir les enfants.


Barry Sonnenfeld a bien saisi ce contraste :



"Ce que ces bouquins disent, en somme, c’est que tous les adultes sont nuls. Soit ils veulent faire le bien, mais en sont incapables, car ils sont trop gauches, soit ils sont vilains et méchants. Tout simplement. Dans ces romans, ce sont seulement les enfants qui sont compétents et fantastiques. Et les grands merdent tous. Je trouve ça génial."



Comme Alice au pays des merveilles, les enfants tentent à chaque fois de faire confiance aux adultes qui sont sensés les protéger, mais ils sont aussi à chaque fois déçus par leur gaucherie, leur lâcheté et leur incapacité totale à les écouter et à les aider.


C'est en cela que la série tient de Kafka, les personnages sont confrontés à un monde et un système qui n'a de logique que la surface, un monde où les banquiers et les juges ne sont pas garants d'un quelconque ordre.
La scierie illustre parfaitement l'absurdité kafkaïenne de cet univers. L'usine est ici un monde à la logique impénétrable, le système est rigide, incompréhensible et cruel. Les ouvriers n'y sont que des rouages qui comme un seul homme s'écrient "Lucky Smells is our life! Lucky Smells is our home!", payés seulement en bons de réductions sur des produits qu'ils ne peuvent pas acheter puisqu'ils ne reçoivent pas d'argent, comble d'un système basé sur un raisonnement immuable et absurde.


Le spectateur adopte rapidement le point de vue des enfants, et comme eux, il est frustré par ce monde qui défie toute logique. Les adultes, ce sont ici l'administration de Kafka, parfois malveillants, souvent inutiles, toujours stupides, c'est un monde paradoxal reflété par la dualité des tons, par la mise en scène, un monde symétrique mais bancal.


Variation dans la répétition


Une critique souvent faite aux livres est la répétitivité des histoires, et certains se sont demandés si la série parviendrait à éviter cet écueil.
Mais s'est-on demandé si ces répétitions n'étaient pas une partie de ce que cherchait à dire l'auteur.
En effet, comme dans les livres, l'histoire est cyclique: nouveau gardien, Olaf revient, nouveau déguisement, nouvelle tentative de dérober la fortune des enfants.
Mais cette cyclicité montre là encore l'absurdité du monde qui entoure les personnages. La répétition est comme la série, absurde et donc comique, mais aussi tragique et frustrante. Les personnages adultes n'apprennent jamais de leurs erreurs. Nous savons comment chaque arc narratif va se terminer, ce qui joue à la fois du comique de répétition mais aussi de la fatalité du destin des personnage.
Le narrateur est celui qui nous rappelle constamment cette répétitivité, l'histoire sera toujours tragique et ne s'appuie jamais sur le suspense, le spectateur est prévenu très rapidement que Monty et Josephine vont être assassinés.La prévisibilité n'est plus un écueil mais un ressort dramatique. On devient un peu comme M. Snicket qui nous explique très tôt ce qu'est l'ironie dramatique, le sentiment du tragique donc de l'inévitable nous envahit, mais pas seulement.
C'est un nouveau paradoxe : ce qui est tragique fait le comique de l'oeuvre et inversement.

Pierre_Richeux
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le 14 janv. 2017

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Monty Gatz

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