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On ne va pas se mentir, on a eu un peu peur à l’annonce de l’adaptation à l’écran du roman de Liu Cixin. Tout d’abord parce qu’il comporte de nombreux passages extrêmement spectaculaires qu’on imaginait difficilement à l’écran, et ensuite à l’inverse parce qu’il contient aussi une dimension psychologique centrale au récit, compliquée à traduire en images. Puis, on a vu le premier trailer, et on a été rassuré sur le côté spectaculaire. 2 minutes 30 de claques visuelles qui laissaient espérer un résultat à la hauteur des espérances.


La première saison est enfin sortie le mois dernier, huit épisodes de longueur variable (de 44 à 63 minutes), avec les créateurs de la série Game of Thrones à la baguette. La moitié du casting est d’ailleurs composée de figures bien connues des fans de George R.R. Martin.


Globalement, cette première saison est plutôt réussie. On en prend plein les yeux à plusieurs reprises : la syzygie évidemment, le canal de Panama, le sophon, le compte à rebours, la Chine de la Révolution Culturelle, notamment, resteront longtemps dans la mémoire des téléspectateurs. Netflix n’a pas lésiné sur les moyens, et ça se voit à l’écran. On est très loin de l’aspect parfois un peu cheap de The Expanse, par exemple, dont les épisodes ont coûté en moyenne sept fois moins cher. On est ici dans le blockbuster qui ne fait pas les choses à moitié, et il faut dire que le récit nécessite souvent des moyens financiers importants pour être correctement transposé à l’écan.


Le casting n’est pas bouleversant mais reste correct. Mentions spéciales pour Alex Sharp qui campe un touchant Will Downing et une très sobre mais diablement efficace Zine Tseng en Ye Wenjie jeune. La bande son de Ramin Djawadi (oui, le mec de la valse de Game of Thrones là, tam dam tadadam tam tadadam) est, elle aussi, efficace sans être vraiment marquante.


En ce qui concerne l’adaptation proprement dite, il y a évidemment beaucoup de simplifications. Certains personnages de la série sont la synthèse de plusieurs personnages du roman, comme souvent dans cet exercice, et le propos est raccourci, vulgarisé, et appauvri. C’est la loi de l’adaptation, et ça l’est encore plus face à un roman aussi touffu et déroutant. Forcément, on regrette que le téléspectateur comprenne très vite ce qui se cache derrière les phénomènes mystérieux et l’enquête policière. On pourra aussi déplorer que cette première saison entame déjà le contenu du second roman de la trilogie. Ça n’était pas nécessaire, et on aurait pu laisser un peu de temps à l’écran pour développer certains aspects.


Car c’est bien là le principal défaut de la série. En voulant s’adresser à un public mondialisé, Netflix a occidentalisé un grand nombre de personnages, a modifié les lieux et les contextes, et a ainsi fait disparaître une bonne partie de ce qui rend ce récit si déroutant pour le lecteur européen. On sent ainsi un glissement dans le propos fondamental de cette histoire : dans le roman, les personnages sont là pour incarner des questionnements fondamentaux, philosophiques et politiques : l’espèce humaine mérite-t-elle de survivre ? Peut-elle se sauver seule ou le salut doit-il venir de l’extérieur ? Est-elle capable de s’unir pour lutter contre un danger existentiel ? Comment survivre en tant qu’espèce si on tourne le dos à la science ? L’être humain peut-il coexister avec d’autres espèces vivantes ? Dans la série, dans un mouvement narratif typiquement occidental, les personnages deviennent le centre le l’histoire, par et pour eux-mêmes. Les questions ici sont plutôt de l’ordre de : Will va-t-il déclarer sa flamme à Jin ? Qui est le père de Vera ? Will va-t-il déclarer cette fois sa flamme à Jin ? Saul et Augustina couchent-ils ensemble ? Will va-t-il enfin déclarer sa flamme à Jin ? Clarence va-t-il trouver comment communiquer avec son fils en pleine crise tardive d’adolescence ? Will va-t-il finalement déclarer sa flamme à Jin ? Jin va-t-elle rompre avec Raj ? Will va-t-il continuer à nous casser les noix et ne pas déclarer sa flamme à Jin ??


Cela réduit considérablement la portée du récit, comme si on observait les événements du roman par le petit bout de la lorgnette. Certains personnages deviennent ainsi des caricatures, Mike Evans, la Ye Wenjie vieille, Tatiana, … Si le livre est avant tout un livre de SF hard science, il est aussi (voire surtout) une œuvre philosophique et politique, et cela est très peu développé dans la série. On simplifie le récit à outrance, en définissant le camp des gentils et le camp des méchants, et on ne s’embarrasse plus de nuances philosophiques et de contradictions politiques. Ye Wenjie appuye sur le bouton parce que les gardes rouges ont été méchants avec son papa (ce qui n’est pas entièrement faux mais c’est quand même plus subtil que ça), Mike Evans est un écolo radical complètement illuminé (là aussi, pas totalement faux mais un peu simpliste), Wade est le chef des gentils, un peu rustre mais le vrai héros de l’Humanité (pas vraiment, en fait) et ainsi de suite…


À trop vouloir rendre cette histoire universelle, simplifier le propos (pas seulement scientifique mais aussi philosophique et politique) et centrer la série sur les personnages, les créateurs sacrifient l’arc pourtant fascinant et très bien construit dans les romans. La fameuse séquence « You are bugs », par exemple, est une simplification outrancière et à l’opposé de la finesse des (rares) échanges entre les Terriens et les Trisolariens (renommés San Ti dans la série, ne me demandez pas pourquoi). C’est un des nombreux exemples qui montrent la transformation en caricature manichéenne d’un propos beaucoup plus subtil. Même en tenant compte des contraintes inhérentes à l’adaptation d’un roman en série, d’autres choix étaient possibles. Et ça risque fort de ne pas s’arranger dans les saisons suivantes, s’il y en a.


https://olidupsite.wordpress.com/2024/04/27/serie-tv-le-probleme-a-trois-corps-saison-1/

OliDup
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le 27 avr. 2024

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