Mieux Vaut un Late Tiède qu'Un Pisse Froid

Le Late est un exercice typiquement américain sur lequel pas mal de frenchies se sont déjà cassés les dents ; parmi les victimes on compte notamment Arthur, Mustapha El Atrassi , Kevin Razy ou Hanouna qui n'ont jamais réussis à imposer leur propre version du format. L'annonce d'un Late Show avec Alain Chabat était donc un projet casse gueule mais aussi l'un des trucs les plus excitant proposé par le télévision depuis l'apparition du journal du hard. Grand fan du chef de Les Nuls, il est certain que Alain Chabat possédait ce flegme classe et comique pour porter un tel projet au firmament à condition peut être de lui laisser le temps de s'installer. Torpillé par de mauvaises audiences et des critiques aussi mesquines qu'assassines, il est peu probables que ce Late Show, pourtant plus belle réussite du genre, ne dépasse finalement ces dix premières émissions certes bancales mais très attachantes.

Le Late Avec Alain Chabat se plie donc à toutes les règles du Late à l'américaine avec groupe live, ouverture de rideau, petit monologue introductif, invités de prestiges qui se prêtent aux jeux de sketchs au sein d'une interview classique, petits jeux stupides avec les hôtes du show, invités musicaux, du stand-up, un canapé, un bureau et une fausse fenêtre sur la nuit parisienne.

Le principal défaut que je ferais à ce Late Avec Alain Chabat est sans doute de se retrouver un peu trop figé dans son écriture et l'absence de direct. Les dix émissions enregistrées bien en amont de leur diffusion et trop écrites se privent ainsi et malheureusement de toute la spontanéité du live et de toute possibilité d’interagir avec l'actualité. Certes le registre d'humour de Chabat n'a jamais été celui d'un chroniqueur acerbe de l'actualité mais cet aspect qui n'est pas le plus négligeable d'un bon Late Show à l'américaine comme celui de Jimmy Fallon manque un peu ici. Même si le Late tacle souvent l'actualité globale du moment et plus particulièrement le Qatar et la coupe du monde, c'est un peu mince pour être vraiment convaincant. L'aspect très écrit du show donne aussi parfois la sensation que l'émission entière est un immense sketch semi-parodique et un peu bancal d'un Late show à l'américaine, un sentiment décuplé lorsque les invités ne semblent pas tout à fait à l'aise à jouer le jeu de leur propre rôle. Même si dans l'ensemble tout reste amusant certaines situations aux coutures trop voyantes ne sonnent pas tout à fait justes comme le vrai/faux clash entre Jamel Debouze, Orelsan et son frère Clément autour du plagiat du format du documentaire Jamel En Vrai. Le fait d'avoir enregistré au préalable les dix émissions condamne aussi Chabat à une absence de recul et une incapacité à rectifier certaines choses qui marchent à l'évidence moins bien que d'autres. Un Late est une émission qui s'installe dans le temps, qui se forge au fil des émissions, qui apprend de ses erreurs, qui corrige ses maladresses, qui appuie sur ses points forts pour trouver doucement la formule magique. Avec dix petites émissions enregistrées et l'absence de tout avis du public (hormis celui présent), difficile de fignoler quoi que ce soit dans le temps.

La très probable fin de ce Late Show Avec Alain Chabat après dix numéros est d'autant plus triste que les promesses étaient belles et que ces dix premiers numéros regorgent aussi de très très bon moments. Pour commencer je vais citer en vrac et vite fait deux trois trucs qui fonctionnent parfaitement comme le groupe les Laters, les numéros de danses qui pour le coup sont très originaux dans un Late (du moins il me semble) et la qualité et la variété des invités musicaux (Orelsan, Angèle, Daho, Catherine Ringer, Disisz, Matthieu Chedid). J'aime beaucoup les pseudos-questions au public qui introduisent le show et qui sont en fait des courts happenings de comédie avec des personnalités venus faire la blague pour cinq minutes. C'est assez ludique et sympathique de ne jamais savoir qui va apparaître à l'écran pour le plaisir d'un bon mot et à ce registre je dois avouer que le "Je suis des mineurs" de Maurice Barthélémy me fait encore rire rien qu'à l'évoquer. Ensuite on ne va pas se mentir le niveau de l'émission dépend pour beaucoup de l'invité, de sa complicité avec Chabat et de sa capacité d’insuffler un peu de vie et d'improvisations dans des entretiens écrits comme des dialogues. Sur ce registre Gerard Darmon, Edouard Bear, Laurent Laffite, Jêrome Commandeur, Guillaume Canet ou Marina Foïs font des merveilles alors que d'autres semblent un peu plus empêtrés comme Léa Drucker, Stéfi Celma, Monica Belluci ou Angèle. Certains invités réussissent même à être super drôle tant ils sont à fond et premier degré dans leur rôle improbable comme Benoît Magimel excellent en VRP de produits inutiles qui vont nous changer la vie. Le Late Avec Alain Chabat est donc truffé de très bons moments dans lesquels on retrouve avec délice l'humour absurde et lunaire d'Alain Chabat et on retrouvera aussi avec bonheur quelques fausses pubs très drôles comme les médecins sans fronts, le jeu shi fou mi, le baby foot climatisé et peut être ma préféré avec le jeu Godwin à mettre sur votre liste de Schindler de Noël. L'émission autour de Guillaume Canet et le prochain Astérix est par exemple une petite merveille d'auto-dérision pour Chabat. Les séquences enregistrés comme l'interview du pneu de Rubber, l'annonce faites à Jamel chez lui de sa participation au late sont là aussi de vrais moments de plaisir et d'humour. Petite déception en revanche sur les petits jeux qui ne sont pas fous même si j'aime bien celui avec les répliques de films en langues étrangères à retrouver. Par contre immense Big-Up pour avoir ressuscité le Burger Quizz le temps d'une émission avec cette question mythique : " En bon français doit on dire Marlène Schiappa ou Marlène ne chia pas " . Et puis franchement niveau casting juste venu pour faire les cons ce Late envoie grave du pâté. Et rien que pour la vanne Qatar Equateur Qatar Equateur ohé ohé , je suis définitivement client

Pour terminer je voudrais revenir sur les critiques virulentes faites à l'encontre de l'émission notamment par Cyril Hanouna. Non pas que j'accorde la moindre importance à l'avis d'un individu qui a le bon goût de fêter ses records d'audiences effectués sur la mort d'un gamine en dansant la samba avec une plume dans le cul ou qui se permet de juger que Alain Chabat n'est pas drôle, lui dont le plus grand fait comique reste d'envoyer du chocolat à la face de ses chroniqueurs, d'ajouter des couilles sur des visages lors de montages vidéos, de mettre des nouilles dans le slip de ses chroniqueurs ou de s'être balader à poil dans la rue à l'époque ou il cachetonnait encore pour Comédie. L'émission coûterait donc trop cher pour ce qu'elle est (??). Peut être ? Personnellement n'étant pas producteur, investisseur ni comptable je dois admettre que je m'en bats royalement les couilles de ce type d'argument, je ne regarde jamais un film, une série, une émission avec l'esprit du Juste Prix. Le budget peut bien sûr rentrer en ligne de compte critique lorsque par exemple un film pété de thunes livre des FX tout moisis ou au contraire nous faire relativiser une déception lorsque un film s'est tourné avec trois euros et trente deux centimes, mais globalement peu m'importe le coût d'un objet culturel tant que le résultat est plaisant. Ensuite l'émission serait un gros flop pour TF1 au niveau des audiences et donc sur le registre des retours sur investissements. Les chiffres parlent sans doute en faveur du gourou Hanouna mais là encore se pose la question de la légitimité du succès et du rapport entre qualité et succès public. Dans un soucis plus populiste que populaire certains semblent encore penser qu'un succès fait tout entier la qualité d'une œuvre et pourtant. Le meilleur film de l'année au box office est il le meilleur film de l'année tout court ? Le plus gros vendeur d'albums est il le meilleur artiste musical ? Arte, pauvre en audiences est elle moins bonne qualitativement que la plus lamentable des télé réalité ? Les trois millions et demi de ventes de La Danse des Canards en fait elle une chanson plus respectable qu'un titre de Jacques Brel ? Bienvenu chez les chtis est t-il un film quatre fois supérieur au Pacte des Loups ? Là encore ce ne sont que des considérations comptables qui n'ont rien à voir avec la qualité et le niveau de l'émission en elle même. Et puis coup de grâce, Alain Chabat ne serait plus qu'un comique pas drôle et dépassé qui ne feraient plus rire que quelques intellos bobos. Désolé mais ça sent un peu plus le coup de pute aigri que l'analyse objective. Il faut savoir qu'en dehors de ses admirateurs serviles qui viennent régulièrement lui lustrer les boules de leurs langues avides de la reconnaissance du maître, Hanouna déteste toutes celles et ceux qui ont eu l’outrecuidance de le critiquer un jour, ce qui pousse le bougre à plus volontiers encenser le dernier film de merde des Chevaliers du Fiel ou des Bodins qu'une émission présenté par Alain Chabat . Il en sera de même pour Jean Paul Rouves, Patrick Timsit, Nicolas Bedos ou les humoristes de France Inter que le trublion du paf conchie régulièrement et sans le moindre discernement. Quant à la prétendument insulte de comique intello, elle sonne presque comme un compliment venant d'un abruti mégalomane qui se croit représentant du peuple au titre de ses deux millions de spectateurs d'un pays qui compte 67 millions d'habitants.

Bref, Le Late Avec Alain Chabat n'aura jamais le temps d'atteindre sa pleine maturité et c'est bien dommage car l'embryon était franchement prometteur. Tout était loin d'être génial mais franchement niveau humour cathodique Chabat reste une valeurs sûre.