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Une jolie petite série légère et feel good, qui, sans renouveler le genre, apporte une certaine fraîcheur grâce à un vernis qui reprend les valeurs très actuelles de l’antiracisme, de la dénonciation de la pression sociale et du féminisme.


Bridgerton est la série de noël par excellence : une série remplie de bienveillance, de bons sentiments et d’amour romantique placée dans un lieu irréel et particulièrement préservé de la dureté du monde.


Le scénario est bien entendu très mince : deux jeunes gens, Daphné et Simon, vont tomber amoureux et devoir affronter leurs angoisses et la société dans laquelle ils vivent. On retrouve les incontournables clichés du genre : la beauté transcendentale des deux tourtereaux, le mépris qui se transforme peu à peu en amour, les fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis (parfois au sens le plus littéral) etc…


ça tombe bien, c’est ce qu’on attend.


L’histoire s’étoffe néanmoins grâce à plusieurs intrigues parallèles portées par des personnages secondaires attachants (big up à la petite soeur de Daphné, Eloïse, qui est très amusante). Mais ces intrigues manquent de profondeur : par exemple, l’amourette du frère de Daphné avec une soprano, ne parvient jamais à prendre ; l’histoire avec la jeune fille enceinte coincée entre sa volonté d’être forte, son amour éperdu pour un absent et la pression sociale placée sur les jeunes filles demeure très superficielle et est même finalement évacuée par un tour de passe passe, ou encore l’amour à sens unique de Pénélope n’est absolument pas développé : on pourrait même dire qu’il ne se passe strictement rien. A tel point qu’on peut se demander si ces intrigues ne sont pas finalement les bases qui serviront d’histoires dans une saison deux… On reste donc sur sa faim et on a du mal à s’y intéresser, dommage.


Mais l’élément le plus salué par la critique concernant Bridgerton est l’angle d’approche proposé : un thème repris de la série “Gossip girl” celui d’une personne mystérieuse qui commente les événements et fait circuler des rumeurs. Ainsi les intrigues sont vues à travers les propos d’une mystérieuse Mrs. Whistledown, qui publie régulièrement une gazette avec tous les ragots de la bonne société anglaise du XIXème siècle et que chacun s’empresse de lire (une sorte de paris match en fait). Pour la petite histoire, le nom de “Whistledown” vient de “whistle”, le “sifflet”, qui lui même a donné la technique de fauconnerie “whistle down the wind”. Quand les faucons étaient utilisés pour la chasse, ils étaient envoyés “up the wind”, contre le vent pour ne pas être flairés par les proies. Au contraire, lors de la fauconnerie de loisir, ils étaient envoyés “down the wind” puisque, pour le coup, le souci d’être flairé ne se posait pas. Par conséquent, le nom de “Whistledown” répond donc à la fois à une notion de loisir, mais aussi par extension à l’expression “whistle down the wind” qui signifie “abandonner quelque chose ou quelqu’un à son sort”, soit au regard de la série, abandonner à son sort les personnes victimes des ragots.


Bon en réalité, ce n’est pas vraiment original, déjà parce que cela existait déjà, mais aussi parce qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’un tour de passe passe pour justifier une voix off relativement présente. Les voix off dans les films ou les séries permettent de faire avancer l’histoire à peu de frais et finalement pourquoi pas. L’astuce de Bridgerton réside donc plus dans le fait de dire que les personnages de la série “entendent” également cette voix à travers la lecture de la gazette que d'un procédé de réalisation en tant que tel. Le principe est donc amusant, mais il n’est pas non plus révolutionnaire.


On l’a donc compris, ni le scénario ni la réalisation ne vont vraiment déroger aux règles des films romantiques marqués par la période de noël. Pourtant, la série fait preuve d’une vraie délicatesse au regard de certains navets que l’on peut voir pendant les fêtes de fin d’année.


Tout d’abord, les acteurs jouent de façon très juste. Des personnages principaux, qui jouent vraiment très bien, aux personnages secondaires dont pas un ne fait une fausse note, leur jeu à tous est très convaincant et c’est suffisamment rare pour être souligné.


Ensuite, les décors et les costumes sont incroyablement bien travaillés. Si certains décors, notamment en plan large font un peu cheap (3D oblige), le reste présente une esthétique très léchée et très originale. Les costumes sont particulièrement réussis et très créatifs. Par exemple chaque famille a son style vestimentaire et son code de couleurs, c’est très divertissant à observer. Le fait de ne pas avoir à répondre à une réalité historique précise a sans doute permis aux costumier-es de disposer de toute la liberté dont ils avaient besoins pour créer des costumes dignes de grandes productions. Ce soin apporté aux vêtements et aux décors donnent ainsi une impression agréable d’un monde cohérent et un peu fantaisiste dans lequel on se laisse transporter avec plaisir. De ce côté là, c’est un vrai chef d’œuvre.


Enfin, cet univers paradoxal a permis d’apporter une certaine liberté d’écriture qui n’aurait pas été possible dans une série historique. Ainsi, il a été possible d’intégrer certains éléments “woke” propre à notre actualité : le roi est marié à une femme de couleur, mettant fin au racisme (oui oui, ça serait apparemment aussi simple que ça), des personnages féminins se rebellent contre le mariage et leur manque de perspectives (mais pas l’actrice principale, faut pas exagérer), la masturbation féminine est évoquée, l’homosexualité également (mais alooooooors très rapidement) etc. C’est agréable de voir que des efforts sont faits en ce sens, mais pour le coup, on dirait que la série tâche d’aborder tous les sujets woke comme autant de cases à cocher, ce qui ne laisse malheureusement pas le temps de développer quoi que ce soit.
Ce traitement superficiel n’est pas non plus une surprise, et donc pas un défaut à proprement parler, puisqu’il s’agit d’une série de fêtes de fin d’année et non pas une série militante. Par conséquent, ces éléments restent finalement assez sympathiques, malgré une vision un peu simpliste.
Il est à noter par contre, que contrairement aux films de noël habituel, soit ces films que l’on regarde souvent en famille, il y a beaucoup scènes de sexe, et pas du sexe fleur bleu, non non, du sexe passionné avec des scènes parfois trèèèès longues. Vous voilà prévenu.


Pour résumer, Bridgerton est une série un peu batarde. Coincée entre comédie (avec le ridicule des soeurs Featherington par exemple), série woke, série policière avec la recherche (peu active) de la personne qui se cache derrière le nom de Whistledown, série dramatique avec tout de même deux morts au compteur (je n’en dis pas plus), série historique sans en être vraiment une et série chorale (mais avec la majorité des histoires, à l’exception de celle de Daphné et Simon, qui restent sous la forme d’avortons), la série Bridgerton se disperse un peu trop pour donner de la profondeur à ses histoires secondaires et c’est bien dommage. Néanmoins, elle réussi le tour de force de donner une cohésion agréable à l’ensemble, avec une empreinte esthétique exceptionnelle.


Si le mélange des genres et la mulitplication des intrigues secondaires n’est donc pas la plus grande réussite de la série, on suivra néanmoins avec plaisir l’histoire de Daphné et Simon, dans ce monde si bienveillant et si impeccable qui est le propre séries des fêtes de fin d’années. Une série idéale donc pour oublier un peu les difficultés de 2020.

Algernone
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le 26 déc. 2020

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