L'Effondrement
7.5
L'Effondrement

Série Canal+ (2019)

Une série qui défonce les portes fermées du cerveau pour s’installer au cœur du cortex insulaire antérieur d’où émane la conscience, bouleversant la vision virtuelle édulcorée habituelle au profit d’une vision objective basée sur une forte probabilité collapsologiste et permettant à des connexions depuis longtemps rompues de s’établir à nouveau. Il fallait une immersion absolue pour parvenir à ce résultat ; ne pas disposer de la moindre seconde pour réfléchir, être happé par l’écran et perdre le statut de spectateur au profit de celui d’acteur. A l’appui de cette volonté immersive, un format d’un plan séquence par épisode, une réalisation intelligente au service d’un scénario en béton armé, des acteurs/actrices que l’on sent impliqués dans le projet tant il émane d’eux une excellente maitrise de jeu et une originalité assumée très maligne car elle désoriente le spectateur avec une mise en place et un fonctionnement inhabituel pour mieux l’intégrer physiquement dans l’action.

Que se passe-t-il ? C’est très simple, le titre de la série dévoile tout d’entrée de jeu : un effondrement. De quelle nature ? La réponse vient vite dès le premier épisode où l’on comprend qu’il s’agit d’un effondrement économique.

Nous sommes dans un magasin, une grande surface. Le lieu est bien choisi car il nous est familier tout autant qu’il porte l’étendard de la société de consommation. Bien vu. Les clients font leurs courses comme d’habitude, ils ne s’étonnent pas plus que ça du manque de certains produits car les employés les rassurent en invoquant un problème d’approvisionnement passager. Une panne d’électricité plonge le Temple dans le noir durant un court instant. Ça peut arriver, rien de dramatique même si c’est inhabituel. L’électricité ça revient toujours…

Le vendeur que nous suivons depuis le début ne s’inquiète pas d’avantage ; il fait partie des personnes convaincues que rien ne peut entraver le fonctionnement de la Matrice Toute Puissante, il travaille pour payer ses études et compte bien passer ses partiels prochainement. Sa copine, elle, ne partage absolument pas le même avis et s’agace parfois de le voir si confiant en l’avenir même s’il semble la comprendre et valider en partie ses théories alarmistes. Justement, elle vient le voir au magasin pour le convaincre que tout est en train de se casser la gueule, que c’est maintenant et qu’il est temps de partir vers le point de survie convenu. Il est pris de court car il a toujours fait semblant d’adhérer aux théories collapsologistes de sa copine pour lui faire plaisir mais au fond il n’a jamais cru en tout cela. Il hésite alors en évoquant un motif plus ou moins valable et fini par décliner la proposition même s’il est visiblement attaché à sa copine.

Elle, c’est le genre de personne que l’on qualifie de paranoïaque, de survivaliste, d’adepte de la théorie du complot dont il ne faut pas écouter les élucubrations et que la société s’acharne à discréditer, à ridiculiser depuis de nombreuses années. Cette société du mensonge et de la tromperie qui déconsidère les lanceurs d’alerte afin que le peuple ne leur accorde aucun crédit et ne cède pas à la panique, comme ce fut le cas par exemple pour la catastrophe de Tchernobyl ou le gouvernement avait, avec un aplomb surréaliste, déclaré à une population devenue pathologiquement débile que le nuage radioactif n’avait pas pénétré le territoire français.

Elle lui a alors crié qu’il fallait tout plaquer, que ça puait la merde cette histoire, qu’il ne devait pas hésiter, voler des denrées à portée de main et se barrer ! Non, décidément, il refuse d’y croire.

Tout comme la grande majorité de ceux qui lisent ces lignes en ce moment. Ils n’y croient pas non plus et cette série est juste une bonne série d’anticipation qu’ils ont bouffé dans leurs galetouses à pixels comme des goinfres accros à la pâtée télévisuelle. Oui, de petites fissures de réalité dans les consciences par ci par là mais qui se refermeront si vite… Dans ce tas, une poignée seulement savent que cette œuvre n’est pas une œuvre d’anticipation classique mais une œuvre de prédiction objective car cet effondrement a déjà bel et bien commencé depuis plusieurs années. Si, si. N’en déplaise. C’est une réalité. On le ressent peu ou épisodiquement mais pas au point d’avoir peur ou de paniquer car l’édifice des fous s’effrite sans que l’on s’en rende vraiment compte, il pourri de l’intérieur tout en conservant une façade à l’apparence solide. Pourtant, et c’est inéluctable, cette matière rongée dans son intégralité finira par s’écrouler car on ne peut rien contre les lois de la physique. Cette série se regarde comme une mise en situation de ce qui va arriver. Il y aura alors ceux qui ont prévu et ceux qui ne l’ont pas fait. Ceux qui n’ont pas prévu cèderont à la panique et tenteront de s’approprier les produits de première nécessité de ceux qui avaient prévu mais ces derniers disposeront d’armes de dissuasion très efficaces et ils n’hésiteront pas une seconde à les utiliser pour protéger ce qu’ils ont eu l’intelligence d’anticiper.

Donc, fin du premier épisode qui se déroule trois jours après le début de l’effondrement (J+3) et on enchaine avec le second qui, lui, prend comme cadre une station-service cinq jours après le début du merdier (J+5). Un deuxième épisode peut être encore plus immersif, nerveux, ou l’on sent l’haleine putride de la violence envelopper l’ensemble des personnages sans que rien ne puisse les raisonner. Nous aussi, derrières nos écrans, nous savons que ça va mal se terminer au point que l’on peut déjà commander des cercueils. Mince, il n’y en a plus. Tout le monde veut du carburant et tout le monde commence à s’énerver. Fini l’empathie, la politesse, le respect des lois et de la hiérarchie. Fini les femmes et les enfants d’abord. Fini la veuve et l’orphelin. Rien à foutre. Chacun sa gueule. Rien à claquer des autres. C’est comme ça. Ca fait longtemps que c’est comme ça et ce n’est pas le premier éboulement auquel nous faisons face même si celui-ci pourrait être le dernier. Enfin, pour l’instant, nos bipèdes décérébrés sont sur le point de s’entretuer pour quelques litres de Sainte Essence. Un coup de feu éclate d’ailleurs. Une personne s’effondre. Ce n’est pas possible ! Si, évidement. Nous le savions depuis le début. Parce que nous nous serions comportés d’une façon analogue ?

Un deuxième épisode remarquable d’autant plus que les créateurs ont visé en plein dans le mille car des évènements similaires en tout point se sont déroulés quelques temps plus tard dans la vie réelle, comme par exemple cette agression ultra violente qui s’est produite en Haute-Savoie le 09/10/2022 dans une station-service à Saint-Julien-en-Genevois, dans un contexte de pénurie de carburant, alors que les automobilistes se ruent sur les pompes à essence disposant encore de stock. Un automobiliste de 20 ans n’aurait pas supporté qu’on lui passe devant. Hors de lui, il aurait poignardé à au moins six reprises le père de famille de 33 ans sous les yeux de ses deux enfants assis à l’arrière de la voiture. La victime, très grièvement blessée, est aujourd’hui hors de danger. Le suspect, jusqu’alors inconnu des services de police, a été arrêté et placé en détention provisoire après avoir essayé de prendre la fuite. Il est accusé de tentative de meurtre.[Midi Libre]

Et allez, c’est trop bien, on enchaine le troisième épisode parce que ça marche, c’est de la bonne série, on veut savoir. Le plus cohérent serait une aggravation des problèmes en situant l’action un peu plus loin dans le futur. Aucune déception de ce côté-là, la série empreinte cette voie pour les sept premiers épisodes et franchement, merci. C’est ce qu’il fallait faire. Le huitième et ultime épisode, quant à lui, revient aux prémices de l’effondrement, cinq jours avant. Certains personnages apparaissent dans plusieurs épisodes mais il faudra être attentif car l’on pourrait ne pas le remarquer de prime abord tant, tout comme les personnages, nous sommes pris par l’urgence des évènements.

Un bémol cependant : le dernier épisode moins maitrisé, de qualité inférieure au reste mais ce reste est tellement bon que cela relativise ce constat.

Une série d’une grande qualité.

Une série qui fait peur et c’est totalement intentionnel d’après l'un des membres du collectif Les Parasites qui a déclaré : « Nous assumons parfaitement d’avoir choisi la peur et misé sur un tel scénario pour faire réagir les gens, c’est assumé ».

Fiction ou prédiction objective ?

Effondrement ou pas effondrement ?

Et si l’Effondrement causant progressivement la mort des êtres humains jusqu’à l'extinction finale était salutaire pour les autres espèces vivantes de cette planète ?

Créée

le 30 nov. 2023

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Lo_Della

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