Tout comme il y eut peu de monde pour se réjouir de son renouvellement lorsque l’annonce est tombée (au hasard de la rentrée 2018, lorsque tout le monde se demandait quelles fournitures scolaires il fallait encore acheter à sa progéniture), il y eut peu de monde pour guetter le retour de I’m dying up here en ce joli mois de mai 2018. Et, vous vous en doutez à ce stade de l’introduction, il y eut peu de monde pour regarder le show de Dave Flebotte. Mais ce peu de monde fut pleinement conscient de regarder quelque chose qui n’était pas injustement méconnu, ni même outrageusement ignoré par les critiques, mais de profondément précieux. De regarder un bijou qui brillait discrètement à l’insu du reste du monde et qui mériterait largement une exposition en dehors des cercles d’attention habituels – Westworld, Legion et Handmaid’s Tale pour ne citer qu’eux. Et pourtant, c’est un fait: I’m dying up here ne fait guère l’objet d’autant d’éloges que n’importe laquelle des dernières créations de la chaine HBO. C’est regrettable. Je ne dis pas cela parce qu’elle demeure une série que j’adore (bon un peu, je l’avoue) mais parce que ses qualités intrinsèques (écriture, interprétation, maitrise de la narration) demeurent des atouts réels, et suffisamment évidents, pour quiconque y jetterait un œil au cours de son planning déjà bien rempli.


Soyez-en convaincus: I’m dying up here n’est plus ni moins que le type de série pour lesquelles on regarde et l’on aime les séries. N’allez pas croire pour autant que réussir une saison deux d’une série que personne ne connait est sans doute plus aisé que pour une série sur laquelle la pression médiatique et critique est énorme : s’il y avait bien un show susceptible de se planter, c’était I’m dying up here. Préserver la maitrise d’un ensemble cast, d’un ensemble cast de comédiens de stand up qui plus est, donc avec toutes les logorrhées et saccades de punchlines potentielles que cela pouvait contenir, demeurait sans doute la gageure essentielle de ce retour. Flebotte aurait pu privilégier le rire et la vanne au détriment de la psychologie de ses protagonistes et de la cohérence du récit pour, éventuellement, se perdre en chemin. Le résultat est, contre toutes attentes (si tant est même qu’il y eut une attente au sujet de la série), une réussite sur toute la ligne. Flebotte et ses scénaristes tiennent non seulement les rênes avec une aisance et un rythme progressifs, davantage feuilletonesque, mais s’attardent sur chacun des protagonistes avec un soin, un tact et un regard des plus remarquables. Comble du comble: sur une distribution déjà bien riche, ils se paient le luxe d’en accueillir de nouvelles têtes qui s’installent et prennent leurs marques avec une facilité déconcertante. Le tout sans que le contexte historique vienne encombrer le récit par d’éventuels clichés inhérents de l’époque; nous sommes, rappelons-le, au coeur des années 70 et dans un milieu susceptible d’accumuler un maximum de sexe, de drogue et de rock’n’roll. Autant d’obstacles en latence qui, énoncés tels quels, n’ont l’air de rien mais qui pouvaient légitimement enfoncer dangereusement la série dans le babillage, le parasitage ou la caricature.


En réalité, I’m dying up here fait preuve d’une élégance rare et, de fait, se regarde avec ravissement pour la délicatesse dont elle pare ses héros. Cette année, encore plus que la précédente, les personnages existent parfaitement sans réellement avoir le besoin de cohabiter ensemble. Cette saison redéfinit d’ailleurs la dynamique de la troupe du Goldie’s qui se délite non par clivage ou guerre d’égos (même s’il y a toujours une compétition tacite qui règne entre comiques et/ou acteurs) mais par pure logique. Celle d’une ambition qui, selon les individus et les personnalités, revêt différentes formes d’obstination et les amènent inévitablement à poursuivre leur propre route. Et d’y affronter cahots, démons, contradictions, peurs, émotions et autres adversités existentielles. Certes, il y aura bien une grève faisant mine de les rassembler dans le dernier épisode mais elle ne fera que renforcer l’implosion de toutes ces comètes étincelantes, fragiles, prêtes à se consumer devant une audience de cinq personnes juste pour dériver de leurs trajectoires quotidiennes.


Il y aurait encore beaucoup à écrire au sujet des revers de gloire que la série égraine sous une lumière cruelle et tamisée. A eux seuls, des personnages tels que Cassie, Nick ou encore Ron et Eddie, dessinent si une belle échappée dans ce peloton de fortes têtes qu’ils mériteraient chacun un article à leurs soins. C’est dire, encore une fois, si les héros d’ I’m dying up here demeurent uniformément attachants tout en restant d’une densité unique de caractère. Mention spéciale cependant à celui de Roy Martin, étoile vacillante du stand up, venu aider Goldie (Melissa Leo, encore une fois exceptionnelle) à parfaire l’ouverture d’un nouveau comedy club. Voir l’acteur Brad Garrett, avec sa tête de chien fatigué, ses poches plein les yeux et une voix de fumeur que l’on aurait écrasé en grillant un feu rouge, le savoir criblé de dettes, de remords et de doutes quant son déclin potentiel, est certainement l’une des meilleures performances que vous avez raté en 2018. Tout bonnement. Et si l’on ne s’amusera pas à révéler la fin de cette saison (malheureusement le series finale*), disons que la série offre un doigt d’honneur particulièrement triste à l’expression « Rira bien qui rira le dernier. »

Jeof-Vincent
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le 24 juil. 2019

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