La genèse de la série House of Cards est intimement liée à celle de Netflix. Elle marque en effet l’entrée de la plateforme de diffusion dans la production de séries et de films : ce que les plateformes appellent aujourd’hui le « contenu ».
Pour sa première série originale, elle devait frapper un grand coup, aussi le choix des luttes de pouvoir au plus haut sommet de l’état américain comme sujet était la promesse d’intrigues passionnantes ; un choix susceptible d’attirer la plus grande audience possible, c’est-à-dire de nouveaux abonnés à Netflix.
La tâche d’adapter la série britannique du même nom a été confiée à Beau Willimon. Le tour de force de Netflix aura néanmoins été de s’attacher la réputation d’un acteur aussi connu que Kevin Spacey et d’un cinéaste aussi talentueux que David Fincher.
La seule présence de ce dernier derrière la caméra ne suffit pas à expliquer le succès de la série. Bien que le style visuel du réalisateur, impliqué uniquement dans la première saison, infuse l’esthétique de l’ensemble de la série, le succès d’House of Cards à ses débuts tient à son scénario.
Ce qui frappe d’emblée dans son écriture c’est le désir de réalisme. Outre la tension créée par les intrigues politiques elles-mêmes, le visionnage provoque un certain vertige par l’impression de plausibilité. Une partie de notre esprit sait que l’œuvre est une fiction, mais, sans vouloir entrer dans le conspirationnisme, une autre se doute que des manœuvres similaires aient pu exister en politique.
L’immersion émotionnelle doit également beaucoup à l’atmosphère de la série. J’ai déjà parlé de David Fincher. Ce dernier ne se contente pas de servir de caution artistique au projet puisqu’il a réalisé les 2 premiers épisodes et qu’il donne le « la » pour le reste de la série. L’esthétique d'House of Cards est donc l’héritière de celle que le réalisateur a développé depuis Se7en jusqu’à Gone Girl en passant par Panic Room et Zodiac, notamment.
Enfin, il ne faudrait pas oublier l’importance de la distribution des rôles dans la réussite de la série. Le scénario aux ramifications tentaculaires permet le développement d’une galerie de personnages très large. A ce titre les 2 premières saisons sont exemplaires : Kate Mara dans le rôle de Zoe Barnes, Mahershala Ali dans le rôle de Remy Danton et Michael Kelly dans le rôle de Doug Stamper brillent particulièrement par la vraisemblance qu’ils apportent à leur personnage. Je tiens également à souligner l’incroyable performance de Robin Wright qui maintient tout au long des 6 saisons l’apparence impeccable de Claire Underwood, à tel point qu’il m’apparaît difficile aujourd’hui de dissocier son visage de son personnage. Pour finir, il faut absolument mentionner la présence de Kevin Spacey dans le rôle principal. Sa performance est un sans-faute : il incarne Frank Underwood de la manière la plus parfaite. Son caractère impitoyable et sa présence suscitent autant l’effroi que la stupéfaction. Ironie du sort, les révélations sur la vie de cet acteur, qui eurent lieu en plein tournage des dernières saisons, ont malheureusement terni sa postérité et ont fait réévaluer sa performance moins comme un rôle de composition qu’une inspiration de ses propres habitudes.
House of Cards a indéniablement tenu un rôle essentiel dans l’engouement qui a accompagné le lancement de la plateforme en Europe et lors de son arrivée en France en 2014. Les 2 premières saisons sorties en 2013 et 2014 sont absolument magistrales. La 3e saison apportait la promesse d’un renouvellement de l’intrigue avec l’apparition de nouveaux enjeux. C’est à partir de la 4e saison que l’exécution semble pâtir. On observe alors un ralentissement de l’histoire et des intrigues de plus en plus extravagantes. Le visionnage devient peu à peu fastidieux. Il m’a semblé devoir traverser la 5e saison comme un chemin de croix, à l’exception peut-être des 2 derniers épisodes qui se révèlent plus intéressants. C’est à ce moment, en 2017, que les révélations d’agressions sexuelles ont retardé l’achèvement de la série. La 6e et dernière saison diffusée en 2019 marque un regrettable recul qualitatif : scénario capillotracté aux enjeux sous-développés, interprétation peu mémorable et sans nuance, les créateurs semblent vouloir renier les saisons précédentes par l’abandon de l’esthétique développée jusque-là et précipite la fin au bout de 8 épisodes, laissant au spectateur un arrière-goût d’inachevé.
En somme, après un début exemplaire, et comme c’est malheureusement souvent le cas dans l’histoire de la télévision, la série a eu du mal à finir en beauté. Il est regrettable que cette conclusion insatisfaisante vienne ternir le jugement sur une œuvre qui demeure de qualité.