Saison 1 :
Si "Downton Abbey" était américain, il faut bien dire qu'on ne le regarderait même pas : un scénario qui abuse des ressorts du soap "classique", une mise en scène insipide qui dessert souvent le récit, une absence de "profondeur" consternante, alors que nombres de thèmes ici traités se prêteraient si bien à de vraies ambitions (la société qui mue, le poids des rituels, les mensonges et les faux semblants, la prise de conscience politique... tiens, ce sont des sujets que James Ivory a d'ailleurs travaillés, et pas mal du tout, dans ses meilleurs films !), la prépondérance absolue donnée au travail du décorateur... le diagnostic est affligeant... Pourtant, quelque chose nous séduit encore au fond du gouffre : la tradition Austenienne, même dégradée, qu'on fantasme derrière la platitude des situations, notre fascination irrépressible pour les mœurs incompréhensibles de cette noblesse anglaise qui commençait à agoniser en ce début de siècle, le bonheur de la langue anglaise et de tous ces accents pittoresques... et Maggie Smith, certes pas toujours très bien servie par un rôle d'emblée caricatural, mais qui triomphe sur la fin de cette première saison avec son talent inouï... Du coup, la ménagère de 50 ans qui sommeille en nous réagit de la façon pavlovienne aux pièges rudimentaires que lui tend "Downton Abbey", et saute à pieds joints dedans ! [Critique écrite en Mars 2015]
Saison 2 :
Habile saison 2, qui fait remonter notre considération pour cette série so british, et tellement conventionnelle : les malheurs apportés par la première guerre mondiale (et par l'épidémie de grippe espagnole qui s'ensuivit et fit encore plus de victimes) sont un excellent ressort scénaristique, et permettent à "Downton Abbey" d'échapper à la malédiction de l'éternelle répétition des mini-scandales et des mini-"intrigues de cour" qui caractérisaient la première saison. Avec l'irruption de l'horreur de la guerre et de ses conséquences sur une société anglaise qui ne sera plus tout-à-fait la même après 14-18 (on est témoin ici de l'émancipation des jeunes femmes de l'aristocratie, et, même si les clichés abondent, tout cela fait joliment sens...), les scénaristes de "Downton Abbey" ont eu du grain à moudre, et nous ont livré 9 épisodes (8 épisodes "standard" et un super-épisode de Noël, de 1 h 30) stimulants, qui bouclent proprement la plupart des fils narratifs lancés durant la première saison. Si l'on peut regretter certaines négligences (l'apparition du rescapé du Titanic n'a finalement aucun impact sur le cours de l'histoire, par exemple), ou certaines évolutions de personnages pas forcément très crédibles (les deux super-méchants de la première saison semblent cette fois curieusement anodins...), force est d'admettre que "Downton Abbey" fonctionne désormais bien, et qu'on se sent enclins à poursuivre cette aventure, aussi lénifiante soit-elle. [Critique écrite en Septembre 2015]
Saison 3 :
Terrible descente aux enfers de "Downton Abbey" avec cette troisième saison d'une tiédeur consternante. Intrigues bâclées (la libération miraculeuse de Bates, la nouvelle carrière d'Edith), évolution incohérente des personnages (on doit désormais plaindre Thomas pour le rejet dont il est victime, Tom évolue sans logique de sa rébellion irlandaise aigüe au conformisme anglais le plus tranquille), coups de théâtre systématiques donc qui n'en sont plus (voilà qu'on liquide les personnages principaux comme dans "Game of Thrones", allons bon !), affadissement dramatique du personnage jusque là central de Sir Robert... franchement le travail de scénaristes laisse à désirer cette fois, et malgré la qualité de l'interprétation (Maggie Smith en tête, comme toujours) et le savoir faire de la mise en scène, "Downton Abbey" est devenu un objet soporifique, voire franchement irritant par moment. Quand on pense au potentiel dramatique que recèle cette période de l'histoire qui voit la fin de cette société aristocratique d'un autre temps, condamnée à muter ou à disparaître, et qu'on réalise le peu que "Downton Abbey" en fait, on se dit que le gâchis est impardonnable. [Critique écrite en Novembre 2015]
Saison 4 :
Après une troisième saison en demi teinte, cette quatrième saison de la grande série populaire "Downton Abbey" nous réconcilie un peu avec les charmes de l'aristocratie anglaise déclinante. Plus légère, plus amusante, cette saison culmine d'ailleurs dans un épisode final de 1h30 (l'épisode dit "de Noël") de pur plaisir, invitant un Paul Giamatti aussi brillant qu'à l'habitude à enrichir le casting déjà amélioré par une nouvelle apparition caustique de Shirley McLaine, et se permettant en outre une charmante intrigue "policière" dans le cadre de la monarchie. Tout n'est néanmoins pas aussi brillant dans la saison, puisque si on se laissera accrocher par les deux intrigues "dramatiques" de la saison, le viol d'un personnage féminin central et le châtiment qui s'ensuivra, et la mystérieuse disparition d'un séducteur en Allemagne aux conséquences désastreuses, on ne pourra que se sentir fatigué par les éternelles histoires - les scénaristes semblent bégayer - des prétendants de la belle Mary. Rien de nouveau à "Downton Abbey", mais un programme plus que correctement rempli cette fois, sur un contexte politico-social de démembrement des grandes propriétés qui se révèle assez intéressant. Ah, et comme à chaque fois, célébrons sans honte la grande Maggie Smith qui domine l'ensemble du cast de sa prestance impériale. Elle reste la meilleure raison de regarder "Downton Abbey". [Critique écrite en Mai 2016]
Saison 5 :
Cette cinquième saison de "Downton Abbey" est celle de la rupture, puisqu'on y voit la quasi totalité du clan Grantham succomber aux sirènes de la modernité qui menace leur monde depuis la fin de la première guerre mondiale : Mary assume complètement sa liberté sexuelle (en tant que femme, le droit d'essayer au lit un prétendant avant d'aller plus loin...), le départ aux USA sera une affirmation d'indépendance retrouvée pour Tom - qui est devenu au fil du temps l'un des personnages les plus sympathiques de la famille -, le mariage de Rose avec un juif occasionne bien des remous mais pas forcément du côté Grantham, qui acceptent finalement assez facilement - même sous le sceau du secret - l'enfant d'Edith, tandis que même la fabuleuse Lady Violet révèle un grand secret amoureux qui achève de l'élever au pinacle des personnages les plus charismatiques de la série TV moderne. Même du côté des domestiques, les choses bougent (enfin), les carcans explosent, encore que plus difficilement que chez les maîtres, ce qui est un faux paradoxe, les esclaves étant traditionnellement plus effrayés encore par un renversement de l'ordre établi. L'excellente astuce (même si elle est peut-être un peu systématique) des scénaristes de "Downton Abbey" pour justifier ce séisme, c'est de confronter le clan à des intolérances plus enracinées, plus haïssables que les leurs, à des conflits qui leur feront réaliser que "les lignes ont bel et bien bougé", dans la société britannique mais surtout dans leurs cœurs. Finalement, les seuls points noirs de cette belle saison sont le marasme incohérent de l'intrigue policière autour de Mr et Mrs Bates, et un épisode de Noël excessivement consensuel et sucré, qui ne rend pas justice à l'intelligence de ce qui a précédé. [Critique écrite en 2016]
Saison 6 :
Pour le dernier tour de piste de la famille Grantham avant que "Downton Abbey" ne ferme ses portes, Julian Fellowes et son équipe ont pris un parti forcément criticable, celui de la générosité tant envers leurs personnages que leur public, puisque les 9 épisodes de cette sixième et dernière saison sont une suite quasiment ininterrompue de bonnes nouvelles et de bons sentiments : même les personnages détestables tels Mr. Barrow, ou simplement irritants (il y en a beaucoup, avouons-le) auront ici leur chance de rédemption, et pourront disparaître en nous laissant un bon souvenir. Le problème de cette approche "feel good" à tout prix est que les épisodes ont tendance à ronronner, et à laisser ensuite une vague sensation d'écoeurement devant tant de sucre. Seule exception à la règle, dans l'avant dernier épisode, le coup de poignard de Lady Mary dans le dos de sa soeur méprisée, qui laisse un temps espérer un final abrasif, où la belle Mary se figerait pour l'éternité dans ce nouveau rôle de salope intégrale, ce qui aurait quand même eu un certain panache, non ? Mais évidemment, il faudra bien réconcilier tout à la fin ce joli monde, et conclure dans un sourire général - et des larmes abondantes d'émotion, quand même - que la famille Grantham et leurs serviteurs ont su évoluer au fil de ce premier tiers du vingtième siècle, et donc survivre à l'effondrement progressif d'une société condamnée à muter en profondeur pour survivre. Et c'est bien là la leçon la plus importante de cette série (de la série toute entière) un peu trop plaisante, un peu trop consensuelle : un progressisme "à l'anglaise", positif et finalement ambitieux face aux défis que le monde nous lance sans cesse. Une leçon plus pertinente de jour en jour en notre époque troublée où les politiciens vendent l'illusion que tout peut rester - pour toujours - comme avant, ce mensonge immonde que "Downton Abbey" s'est ingénié à démonter avec un indéniable talent. [Critique écrite en 2016]