"La terreur et la vertu" (1964). Nous avons ici tout simplement la meilleure adaptation de la révolution française en film ! Rien que ça !

Il m' aura fallu de nombreuses années avant de tomber par hasard sur cette pépite issue de l'émission "La caméra explore le temps", datant de l'époque de l'ORTF. Avant cela j'avais navigué de déceptions en déceptions tant les productions existantes sur cette thématique étaient soit très médiocres, soit caricaturales ou diabolisant la figure de Robespierre (mention très honorable tout de même au "Danton" d'Andrzej Wajda qui reste malgré son parti pris discutable une solide proposition cinématographique sur le sujet)...

Oubliez Game of thrones et ses millions de dollars ! Vous voilà embarqué au travers de deux épisodes consacrés à Danton et Robespierre dans les luttes fratricides que ce sont livrés les montagnards jusqu'au 9 thermidor et la mort de l'Incorruptible". Certes c'est de la télévision, les décors sont minimalistes et la mise en scène proche du théâtre. Les séquences d'actions telles que les mouvements populaires ou les mises à mort par exemple, se situent hors champ. N'empêche ! Le texte, les dialogues et le scénario du réalisateur Stellio Lorenzi, accompagné de l'historien Alain Decaux sont une réussite totale qui arrive, tout en proposant au spectateur un récit haletant, à restituer avec clarté la complexité des enjeux de cette période trouble où la jeune république est assiégée de toutes parts.

Le cœur du film repose sur les dialogues et plus particulièrement sur les échanges entre les différents protagonistes de la révolution. Passant du Comité de salut public à la Convention ou bien encore le Club des jacobins, nous assistons ainsi aux débats houleux entre les révolutionnaires jouant chacun à leur tour leur partition dans cette lutte à mort pour le pouvoir.

L'écriture nous fait ressentir admirablement la tension qui émane de ces échanges (venant de citations ou de vrais discours) portés à incandescence ou une accusation, une sentence malheureuse, une idée, peuvent avoir des conséquences désastreuses et mener à l'échafaud.

Mais l'écriture ne serait rien sans l'interprétation excellente de l'ensemble des acteurs du film, second rôle compris. Le jeu à l'instar de la réalisation est théâtral mais ce qui pourrait être un défaut est ici très adapté au propos du film, puisqu'il s'agit de relater concrètement une lutte, un rapport de force qui se matérialise avant tout par le discours et par le verbe.

Chaque personnage affiche ainsi ses convictions et tente d'emporter l'adhésion du plus grand nombre, usant de multiples figures rhétoriques habilement écrites et mises en scène. L'on pense parfois en écoutant les tirades d'un Danton (Interprété par un très convaincant Jacques Ferrière) ou d'un Hébert à ses mots de Shakespeare dans Mac Beth: « La vie n'est qu'une ombre en marche, un pauvre acteur / Qui s'agite pendant une heure sur la scène / Et alors on ne l'entend plus ; c'est un récit / Conté par un idiot, plein de son et furie, / Ne signifiant rien. »

Et puis il y a Robespierre. C'est lui le cœur battant du film, lui qui lui donne son titre et concentre toute l'attention. Distant, émouvant, seul, populaire, pathétique, grand, possédé, déchiré, irritant, idéaliste, juste, aimé et trahi...Tout cela à la fois. Jean Negroni campe magnifiquement ce Robespierre là, tout en nuances, tout en humanité, tout en tragédie. On est loin de la légende noire qui s'est imposée au grand public à partir des années 80 jusqu'à nos jours. Suivant les travaux de l'historien Albert Mathiez, Alain Decaux et Stellio Lorenzi nous restitue l'image d'un Robespierre idéaliste, pris entre les factions, entre le peuple et les propriétaires, dénonçant les massacres des envoyés en missions (et notamment de Fouché qui avec d'autres causera sa perte) puis accusé du titre infâme de dictateur jusqu'au drame. Qu'il est profondément touchant cet être à l'idéal si haut, trop haut pour les hommes de son temps. N'oublions pas enfin le Saint Just campé avec grâce par Denis Manuel qui insuffle au personnage une douce et lumineuse mélancolie, notamment dans la poignante dernière scène du film qui annonce la fin de la république sociale à travers le regard perdu de l'archange de la révolution, se sachant condamné, sur la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 24 juin 1793 et son article 35: "Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs."

Le film se clôt alors par un débat entre deux historiens, André Castelot (Dantoniste et producteur de la série) et Alain Decaux, sur la figure controversé de Robespierre. Alain Decaux, partisan de Robespierre sans nier ses parts d'ombre, étant de mon point de vue bien supérieur à son contradicteur dans ce débat (qui étonne aujourd’hui par la mesure, le respect mutuel et l'écoute réciproque des débatteurs), justifiant par là le parti pris de cette série de deux films.

Deux films qui honorent le media télévisuel à une époque où l'on se prenait encore à croire en sa vocation d'éducation populaire et ou l'on faisait confiance à l'intelligence du spectateur en lui proposant une réflexion historique exigeante et bouleversante à la fois.

Ou quand la télévision se faisait vertu au service du plus grand nombre.

Gazzara
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Créée

le 4 avr. 2024

Modifiée

le 9 avr. 2024

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