Cosmos est désignée depuis maintenant quelque temps comme la grande série de vulgarisation scientifique contemporaine. Pour moi, elle est le symbole d'un des grands enjeux de notre époque : comment vulgariser un domaine en le rendant ludique sans tomber dans le racolage spectaculaire ? Quel équilibre maintenir entre les deux ?


Cette série, c'est probablement le cas d'école du mauvais dosage. Tout est pensé pour maintenir le spectateur éveillé, pour ne pas qu'il se "prenne la tête", comme le veut cette terrible expression de la novlangue. Dans ce cas, quoi de mieux que de singer les codes du principal système de représentation contemporain, le plus spectaculaire, le plus divertissant, et peut-être aujourd'hui le plus universel ? Hollywood.


Voilà donc ce que donne la vulgarisation scientifique une fois passé au moule de ce système codifié à l'extrême : musique orchestrale omniprésente pour sursignifier ce qui est déjà présent à l'image (les passages de mélos où Neil Tyson, sorte de super-égo scientifique, nous raconte la larme à l’œil comment il a rencontré l'astronome de ses rêves en sont particulièrement représentatifs), "effets spéciaux" spectaculaires qui construisent un mini-récit de science-fiction (comme s'il fallait forcément que le présentateur voyage dans un vaisseau spatial pour rendre l'exploration du cosmos intéressante...), la mise en histoire de la vie du "héros principal" (encore une fois la construction d'un égo pour accrocher le spectateur, quitte à romancer voire inventer un passé mythique), ou encore la simplification de tout discours au profit d'une bouillie univoque, qui voudrait que la science prévaut sur tous les autres domaines (ce qui entraîne souvent un regard profondément condescendant sur les cultures antérieures, malgré la fausse tentative de les vulgariser). Les passages pseudo-historiques en dessin-animé, tellement orientés dans la glorification des grands noms de la science qu'ils ressembleraient presque à de la propagande, peinent à relever le niveau.


Pourtant, loin de moi l'idée de cracher sur tous les aspects de la série. D'un point de vue purement informatif, elle a le mérite de traiter énormément de domaines scientifiques (biologie, astrophysique, physique quantique etc.) en les rassemblant dans un même système au lieu d'en faire la séparation. De plus, l'infographie 3D permet de se représenter l’irreprésentable, comme un simple atome. De ce fait, la science est enfin visuelle et non plus abstraite, ce qui est un outil de compréhension non-négligeable (sans être novateur, la science s'est très vite emparée de ces technologies qu'elle a elle-même créé). C'est dans ces moments que l'image acquiert une véritable utilité dans Cosmos, et n'est plus le simple véhicule d'un spectaculaire Hollywoodien. On apprendra donc énormément de choses à n'en pas douter, mais il faudra pour ça subir les nombreuses séquences inutiles et peu inventives de la série.


La science, pour pouvoir vraiment répandre son savoir sur le plus grand nombre sans faire du racolage, a besoin d'une forme cinématographique qui lui est propre. Elle doit sortir des codes préfabriqués qui ne font que l'alourdir dans son objectif. Elle a tous les outils modernes qui y arriver : infographie 3D, réalité virtuelle, jeu-vidéo etc. Reste à savoir à quel moment elle en prendra conscience, et arrivera à s'émanciper, en créant un nouveau système de représentation. Cosmos a au moins le mérite d'en donner quelques pistes.

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le 23 janv. 2018

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