Blue Eye Samurai
7.8
Blue Eye Samurai

Dessin animé (cartoons) Netflix (2023)

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Blue eye samurai : comment déguiser la misogynie en féminisme

*************** ZONE SANS SPOILERS ***************

Je viens de finir le dernier animé de Netflix que j’ai regardé 50% parce que j’aime la culture japonaise et 50% pour le doublage de George Takei. Il s’agit d’une histoire de samourai dans le Japon du 17e siècle. ATTENTION ! C’est un animé pour adultes seulement. Le sang coule à flot, les gens se font découper en morceaux, il y a des scènes de sexe explicites.

Version courte pour les personnes pressées :

L’animé présente un Japon très réaliste et très documenté. Il y a beaucoup de scènes pittoresques montrant les paysages, le mode de vie et la culture Japonaise de l’époque. Les fans seront comblés. Les fans de combat au sabre aussi. L’animation est soignée. Mais l’histoire tente de se faire passer pour féministe alors que l’idéologie est au final parfaitement répugnante de misogynie. Après une époque de la télé où les femmes étaient présentées de manière décomplexée comme des objets de décoration ou des sex toys, nous sommes entré.e.s dans une époque où les scénaristes essaient de nous enfumer en faisant du féministe washing. Pas sûr que ce soit mieux.

Version longue : prenez je vous prie une tasse de thé et des biscuits.

********** VOUS ENTREZ DANS LE ROYAUME DES SPOILERS **********

Commençons par les côtés que j’ai appréciés.

Certains personnages sont sympathiques (surtout Ringo en vrai gentil et optimiste forcené) et amènent des représentations peu vues dans les fictions (transgenres, handicapés).

L’animation est très soignée même si ça reste de la 3D et donc beaucoup plus froid et artificiel que du traditionnel.

La description du Japon de l’époque Edo est incroyablement précise et documentée. L’histoire nous emmène dans de beaux paysages, des villes en bois, des palais. Elle nous montre du théâtre de marionnettes traditionnelles, des armures de samouraï, des sandales en osier, des sabres, la cérémonie du thé, des kimono superbes, des sakura… C’est à se demander ce qui manque.

L’histoire est classique mais je l’ai suivie avec plaisir.

On en arrive à ce qui m’a vraiment énervée : l’enfumage idéologique.

Je passerai rapidement sur les nombreuses incohérences scénaristiques : les personnages qui changent radicalement d’opinion sans raison montrée, un homme hétéro qui a une érection avec Mizu sans savoir qu’elle est une femme de naissance, un fabricant de nouilles qui sait écrire, la princesse Akemi qui sait s'habiller seule, Mizu blessée gravement qui boite quand ça l'arrange et court sinon... je pourrais continuer comme ça pendant des heures.

Cette série se pose comme féministe et, sur la toile, beaucoup de gens semblent le croire mais si on gratte un peu, on voit vite que c’est une tromperie.

Analysons le personnage principal, Mizu, le samouraï métis. Dans un monde où les femmes semblent devoir choisir entre être violées quotidiennement par un mari qu’elles n’ont pas choisi ou se prostituer, Mizu propose un troisième choix : vivre habillée en homme. Mizu a apparemment rejeté son genre de naissance et vit libre de ses choix, en marge des normes de genre. Mizu peut donc être considéré comme un personnage transgenre. D’ailleurs, le binder qu’il porte pour dissimuler sa poitrine et le foulard pour cacher l’absence de pomme d’Adam sont des signaux forts dans ce sens. C’est un personnage puissant, courageux et déterminé, ce qui est bel et bon.

Là où ça se gâte, c’est quand les auteurs lui rappellent sa juste place de femelle dans l’épisode 5, et cette place, c’est dans la cuisine, pour mijoter le repas d’un mari. Sa vengeance, le but de sa vie ? Oubliée. Le binder ? Jeté aux orties pour épouser soudainement un inconnu. Sa froideur, sa volonté farouche ? Mizu est maintenant douce et comblée,enfin heureuse dans le meilleur rôle que le patriarcat peut offrir à une femme : être une épouse. Et pour vous en convaincre, l’histoire vous la montre sourire pour la première fois. Après tout, faire de la soupe est bien plus important que de tuer les hommes blancs qui ont violé sa mère et fait d’elle-même une métisse considérée comme un monstre. Cet épisode vient dynamiter tout le personnage. Et pour quoi ? Rien du tout. A la fin de l’épisode, l’histoire reprend comme avant, comme si rien ne s’était passé. Cette incohérence majeure d’écriture du personnage vient servir la misogynie du propos : le meilleur endroit pour une femme, c’est la cuisine.

De surcroit, cet épisode peut être interprété comme montrant une détransition (le fait de revenir à son genre de naissance après une transition). Et le fait que le personnage semble enfin heureux pour la première fois peut être lu comme un message transphobe : on ne peut s’épanouir que dans son genre de naissance.

Analysons à présent le second personnage principal : Akemi, la princesse gâtée. Elle veut être libre de ses choix, libre d’aimer qui elle veut. Pour cela, elle est prête à s’enfuir, à vivre dans la pauvreté, à se prostituer même pour être maîtresse de son destin et ne pas être livrée à un mari étranger. Tout cela est bel et bon.

Mais encore une fois, l’histoire va se charger de lui rappeler où est sa place de femme. Elle est trahie par une femme, rattrapée par les hommes de son père et contrainte de se marier au fils du shogun, d’accepter son destin et de se soumettre au patriarcat triomphant. Seki, le serviteur qui l’a élevée, ne la soutient ni ne la réconforte. Au contraire, il lui explique que c’est bien pour elle. Et madame Kaji, la tenancière du bordel, achèvera de la convaincre de la belle opportunité d’enpouvoirement que représente ce mariage. Une opportunité de quoi me direz-vous ? D’être prisonnière d’un palais et violée tous les jours par un étranger. Cela ne me convainc guère mais ça convainc Akemi. Elle accepte le mariage, couche avec l’étranger mais, ne vous inquiétez pas pour elle, elle y prend plaisir. L’histoire, qui n’a aucune honte, vous le montre longuement à l’écran. Et, fin en apothéose, quand Seki lui offre finalement sa liberté et que Taigen lui tend la main, elle choisit contre toute logique de rejoindre sa prison. Son amour pour Taigen ? Oublié. Son rêve de liberté ? Les miettes de pouvoir qu’elle pourra arracher lui suffiront. L’histoire nous explique que les femmes ne doivent pas combattre le système qui les asservit mais l'accepter et essayer d'en tirer le parti qu'elles peuvent. Vive le sexisme.

De plus, le scénario fait subir les pires outrages aux personnages de femmes, d’une manière qui confine au voyeurisme.

Encore une fois, une fiction fait mine de donner des bonbons aux femmes en leur offrant des personnages principaux de femmes fortes, en leur faisant croire au respect, pour mieux reprendre les bonbons et faire triompher le patriarcat. Quelle arnaque !

Alors, ne nous laissons pas enfumer. Il ne suffit pas de montrer des personnages de femmes badass pour être féministe. Encore faut-il que les idées suivent et qu'on ne renvoie pas les personnages à leur cuisine en montrant qu'en vrai, elles adorent ça.

Estellanara
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le 10 déc. 2023

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Estellanara

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