Better Call Saul
7.8
Better Call Saul

Série AMC (2015)

Six saisons de 63 épisodes, le tout s’étalant sur plus de sept années de diffusion : voilà donc ce qu’aura été Better Call Saul au moment de dresser son bilan juste après la sortie de son dernier épisode le 15 août 2022.
Une très belle longévité pour un spin off donc, surtout qu’il est parvenu à accomplir ce petit exploit de se construire assez rapidement une légitimité – et surtout une identité – face à son imposant grand-frère, j’ai nommé Breaking Bad
…D’aucun irait même jusqu’à dire que ce Better Call Saul serait encore plus intéressant et subtil que son ainé. Rien que ça…


Autant donc le reconnaitre d’entrée : il me semble indéniable que, par ce singulier projet d’avoir voulu construire toute une série autour d’un personnage très secondaire issu de son chef d’œuvre initial, Vince Gilligan a réussi son pari.
Oui, Better Call Saul a su s’imposer comme une œuvre à part. Elle a su s’imposer par et pour elle-même. Mais maintenant que cette série est terminée et que vient le moment du bilan, on peut commencer à s’interroger sur le véritable apport de ce frère cadet…
…Et surtout sur la place qu’il occupe désormais dans l’univers du monde sériel.


En ce qui me concerne, la première prise de contact avec ce Better Call Saul a été plutôt délicate. Alors que l’ombre tutélaire de Walter White obscurcissait tout l’Ouest sériel, le fait de voir ressortir de sa boîte ce petit avocat véreux – ce gimmick farcesque à la limite du personnage – avait des allures de tour de piste supplémentaire forcé.
C’est qu’en plus de ça il a fallu que les auteurs fassent le choix d’inscrire l’intrigue de ce spin off avant celle de Breaking Bad ce qui, à mes yeux, n’augurait vraiment rien de bon.
Parce qu’en effet, d’expérience personnelle, spin off + prequel ne m’est jamais vraiment apparu comme une équation bienheureuse dans le monde de la fiction… Ce n’est pas un hasard si, dans un récit, des éléments narratifs sont laissés dans l’ombre. L’ignorance est souvent la condition du mystère, et le mystère celle de l’investissement du spectateur. Or trop donner à savoir c’est souvent tout remettre à plat ; faire perdre tout relief, un peu à la manière des origin stories de Star Wars.
…Et quand bien même Better Call Saul ne part pas d’aussi bas que la saga rachetée par Mickey, le fait est que – du moins dans un premier temps – la série cadette de Breaking Bad souffre clairement de ce type d’affres-là.


Car, sans être désagréable, la première saison de Better Call Saul peine clairement à trouver sa propre voie et à voler de ses propres ailes.
Dès le premier épisode, le caractère artificiel de l’exercice saute pas mal aux yeux.
Ça commence par un flash-forward en noir et blanc. Saul est en cavale. Il se planque derrière une identité misérable. On suppose (à raison) qu’on est dans foulée de l’intrigue de Breaking Bad et puis – ô surprise – retour en couleur en présence de Saul à ses débuts, sous une autre identité – celle du personnage des origines, sans fard – un certain Jimmy McGill.


Alors certes, la narration de Gilligan reste propre et on se doute bien qu’il va falloir laisser un peu de temps à cette nouvelle saga pour installer ses singularités et ses personnages, mais en attendant que la chose se fasse Better Call Saul vient régulièrement s’embourber dans les facilités avilissantes de la prequel.
Tel un Solo à peine plus subtil, les premiers épisodes passent leur temps à faire de l’ origin story. Là on nous explique la signification de ce pseudo de Saul Goodman. On nous explique par son enfance et son rapport au père pourquoi il a préféré faire partie des roublards plutôt que des gens honnêtes. On nous installe aussi un frère qu’on nous présente comme une déclinaison qui a opté pour une voie plus vertueuse et respectable mais non moins hypocrite ; laquelle s’imposant d’ailleurs à notre héros comme une figure plus castratrice que protectrice.
Et voilà que – par hasard – on rencontre Tuco Salamanca, personnage-clef de la première saison de Breaking Bad, et puis quelques minutes plus tard c’est le futur homme de main de Saul – le mystérieux Mike – avec qui on nous amène à (re)faire la connaissance…


C’est un véritable parc d’attraction ce premier épisode et ç’en deviendrait presque malaisant.
« Sur votre droite le guichet de gardien de parking dans lequel travaillait Mike avant qu’il ne devienne le légendaire homme de main de Breaking Bad. Sur votre gauche vous pourrez surprendre Gonzo et NO-Doze – les deux sous-fifres de Tuco – en plein milieu de leur habitat naturel. N’oubliez pas de donner une pièce pour le guide en sortant du petit train… »
…Et malheureusement le reste de cette première saison peine à se dépêtrer de ce travers-là. Vivant pour l’essentiel sur l’héritage de son ainée, elle peine à vivre d’elle-même et passe la plus grande partie de son temps à combler les vides laissés par Breaking Bad dans l’historique de chacun de ses seconds couteaux ; vides d’ailleurs souvent comblés par ce que j’ai eu du mal à percevoir autrement que par des banalités.


Pourquoi un homme aussi astucieux que Jimmy est devenu ce pathétique magouilleur qu’est Saul Goodman ? Eh bien c’est parce qu’à chaque fois que le bon Jimmy a voulu se montrer honnête, sincère et gentil, on lui a fait à l’envers, nous dit la première saison…
…Mouairf… Attendu.
De même, pourquoi Mike – cet homme pourtant si méthodique et droit – a fini en tant que vil homme de main ? Eh bien c’est parce qu’il lui fallait bien mettre à l’abri du besoin la veuve de son fils ainsi que sa gentille petite-fille…
…Arf… Pas inintéressant mais désespérément classique.
On aurait demandé aux spectateurs ce qu’ils se seraient imaginé de toutes ces « raisons qui ont fait que » avant qu’ils ne voient la série qu’ils auraient sûrement livré des idées similaires.


Tout ça a un côté trop évident. Trop plat. Voire même trop fragmenté.
…Car on a beau nous annoncer une série sur Saul Goodman qu’au final cette première saison passe régulièrement son temps à l’abandonner au profit du reste de la galerie laissée là par Breaking Bad, apportant à l’ensemble un aspect plutôt décousu et entravé par une certaine inertie.
D’ailleurs n’y aurait-il pas Breaking Bad que cette série peinerait à tenir debout. Je n’ose imaginer une spectatrice ou un spectateur qui voudrait juste se lancer là-dedans sans rien connaître de l’univers originel. Qu’en retireraient-ils ?
…Pas grand-chose je pense.


Malgré tout cette première saison est loin d’être un naufrage.
Comme je le rappelais plus haut, la mise-en-scène voulue par Gilligan reste propre et force est de reconnaitre que même à (presque) vide, elle dispose d’un véritable pouvoir d’envoûtement.
Ça prend le temps de poser les choses. Ça prend notamment le temps de porter les regards sur tous ces visages, objets et lieux qui sont à la fois terriblement laids tant ils sont les icônes d’un monde consumériste bête et sans noblesse mais tout en étant en même temps étrangement fascinants de par leur simple existence.
Constater qu’un monde aussi vain puisse tenir et tourner tout seul relèverait presque du miracle ; mais d’un miracle farcesque.


Cet aspect était déjà présent dans Breaking Bad, mais il était souvent éclipsé par la noirceur et le cynisme du cœur d’intrigue.
Or là, en évacuant pour le moment le monde du crime organisé – du moins en le reléguant davantage au second plan – cette première saison de Better Call Saul parvient à offrir une promesse ; celle d’une ouverture vers une déclinaison singulière et intrigante à la fois du ton si particulier qu’avait su installer son ainée.
Cette seule promesse peut déjà suffire à séduire un public. Elle l’avait d’ailleurs déjà fait en son temps. Moi-même j’avoue d’ailleurs qu’à l’époque de sa sortie – bien que peu convaincu par cette première saison – je n’avais clairement pas fermé la porte à la suite.
J’avais notamment en tête que déjà avant lui, Breaking Bad avait eu besoin de deux saisons pour pleinement se lancer et trouver sa voie. J’espérais qu’il en serait de même pour ce Better Call Saul
…Et force fut de constater que ce fut (du moins pour un temps) bien le cas.


La saison 2, c’est pour moi le moment où cette série se lance vraiment. C’est à partir de là qu’elle dévoile toutes ses forces au point de révéler tout ce dont elle dispose pour enrichir le monde sériel. Pas de révolution par rapport à la saison précédente pourtant, mais juste un réglage savant de curseurs.
Progressivement Better Call Saul parvient à vivre pour elle-même ; loin de l’ombre intimidante de sa grande-sœur. Gardant pour elle une partie du patrimoine familial – en l’occurrence ce regard amusé et cynique sur cette farce qu’est l’Ouest contemporain – elle parvient à le décliner tout autrement en le détachant de la crudité et de la noirceur propre à Breaking Bad.
Dans cette saison 2, pas de trafic de drogue – ou peu – ni d’exécutions sommaires. S’y substituent à ça la simple médiocrité quotidienne ; les mesquineries de cabinet d’avocats et d’entrepreneurs à la recherche du rêve américain.
Au sein de cet étrange théâtre, Jimmy McGill devient ce clown qui agit tel un miroir à peine déformant. Il apparait finalement comme le seul à vraiment prendre conscience de la farce et de la nécessité de donner le change à une société qui ne semble guère être capable de fonctionner autrement.


C’est d’ailleurs aussi cela qui fait de Jimmy un personnage principal bien plus intéressant et subtil que Walter White, la figure centrale de Breaking Bad.
Jimmy et Walter ont pour eux d’être tous deux très intelligents. Cette intelligence, la société ne sait la reconnaitre ni même la gratifier comme il le faut. Tous deux en sont mêmes d’ailleurs réduits à devoir se confronter à des problématiques du quotidien désespérément triviales et profondément injustes à leurs yeux, au point qu’en définitive, ils soient tous deux conduits à user de leur intelligence de la plus vile des manières. Et même si Jimmy finit par être en prise avec les mêmes petites lâchetés que Walter – ce qui en fait un personnage difficilement respectable – il n'en demeure pas moins bien plus aimable que ce bon vieux Docteur White ; plus aimable mais aussi bien plus intéressant…
…Car Jimmy n’est pas dévoré par son hubris, lui. Son esprit de vengeance sociale n’est pas animé par les mêmes enjeux. Quand Walter entend rappeler au monde sa supériorité, Jimmy se satisfait juste de voir tout ce petit monde retomber au même niveau ; de voir tout le monde être rappelé à ce qu’ils sont tous, comme lui : des clowns.


Jimmy, au fond de lui, est un type bien.
Jimmy est un type qu’on a envie de sauver. Jimmy est un type qu’on a envie de voir réussir. Et quand le sort et la bêtise humaine le font chuter, ce n’est pas de la cruauté qui s’en dégage, mais presque toujours une forme de douce mélancolie.
Dans cette série, Jimmy McGill est une sorte d’Arsène Lupin de l’arnaque. Peut-être moins élégant, mais au minimum tout aussi charmant. A la différence de Walter White, on ne lui en voudra pas de réussir ses fourberies, même si au final les mécaniques seront les mêmes.
Face à un monde pathétique, tout acte de bravoure ne pourra que se réduire à une forme de tragique.
Un tragique pince-sans-rire.
La cynique inertie d’une vie à vivre au sein d’un parc d’attractions certes confortable et distrayant mais désespérément peuplé de touristes et de clowns qui en viennent jusqu’à ignorer leurs propres costumes…


Plus la série insiste sur ces aspects et plus je la trouve habile et pertinente ; sachant transcender le principe du spin off à merveille.
Qu’il s’agisse de la relation entre Jimmy et Chuck, de celle entre Jimmy et Kim, ou bien encore de celle entre Chuck et Howard, toutes sont autant d’éléments totalement décorrélés de Breaking Bad mais qui ne dissolvent pas pour autant cette parenté qui lie les deux séries. Car au-delà de ces deux couloirs bien distincts où chacun vit sa propre vie en parallèle des autres, reste ce théâtre en carton-pâte qu’est Albuquerque…
…Un théâtre commun d’une même farce de médiocrité humaine. Un ADN partagé.
En ce qui me concerne c’est vraiment dans ces moments-là que cette série se transcende au mieux, au point même parfois de savoir se montrer plus subtile que Breaking Bad mais sans pour autant effacer l’intérêt et le mérite portés à son ainée…
…Ç’en est même à tel point qu’avec le recul, j’en vienne jusqu’à me dire que tous les arcs au sujet des Salamanca et de leur trafic de drogue constituent finalement ce qui bride le plus ce spin off, au point presque de considérer qu’ils sont de trop.


Comme tout un symbole dans cette saison 2, il faut attendre l’épisode 7 (sur 10) pour qu’à nouveau l’univers de Jimmy rencontre celui de Nacho et de Mike. Avant ça, Mike et Nacho sont bien amenés à se croiser de temps en temps mais sans jamais venir perturber l’arc de ce bon vieux Jimmy.
Tel un petit-frère ne sachant vraiment s’émanciper de l’aura de son ainé, Better Call Saul ne semble pas parvenir à voler de ses propres ailes. Il faut toujours que le filet de sécurité de l’ origin story soit déployé au cas où ; il faut donner au spectateur du goody Breaking Bad de peur que les turpitudes de Saul ne puissent suffire ; de peur que la médiocrité des petits boutiquiers ne sache compenser l’iconisme des grands bad guys.


Ainsi c’est Don Hector qu’on introduit dans la saison 2, c’est Gustavo Fring qu’on fait redébarquer dans la saison 3, puis ce sont les jumeaux assassins qui font leur apparition dans la saison 4 (après une brève apparition aussi dans la 2…)
Alors certes, leurs arcs ne sont pas honteux et parviennent à développer leur propre source d’intérêt, mais non seulement la cohabitation a souvent quelque-chose d’artificiel tant les deux univers peinent à communiquer entre eux, mais en plus de ça ils sont clairement ceux qui, à mes yeux, annulent tout ce que ce Better Call Saul s’efforce d’installer en tant que proposition singulière.
Parce qu’au fond, qu’apportent de nouveau les présences conjuguées de Gustavo, Hector, Mike, voire même Nacho ? Pour moi rien de plus que ce qu’on pouvait déjà trouver dans Breaking Bad.
Pire, je trouve qu’à trop mettre en lumière le parcours initiatique de ces figures, Better Call Saul entretient la triste mécanique des origin stories : plus la série dévoile et plus elle banalise et dilue.
C’est ce qui explique sûrement pourquoi cette série a fini par émousser mon intérêt dès la saison 4, et n’a fait qu’aggraver son cas en s’étalant aussi longuement dans le temps.


Parce que oui, il a fallu que ce Better Call Saul dure six saisons ; presque sept si on prend en considération le fait que la dernière d’entre elles se soit avérée plus longue et diffusée en deux temps, à plusieurs mois d’écart.
Presque sept putains de saisons quand Breaking Bad n’en durait que cinq ; à l’instar de pratiquement toutes les grandes séries de cette décennie de l’âge d’or.
Au fond, voilà aussi là une caractéristique de cette série qui dit quelque-chose de ce qu’elle est. Une caractéristique qui nous rappelle que ce Better Call Saul est aussi le marqueur de transition d’un âge vers un autre : la transition de la « série-somme » à celle de la « série-flux ».


Au début des années 2000, un nouveau modèle avait fini par s’imposer auprès des chaînes à péage états-uniennes. A une époque où le prix dans les salles augmentait à la même vitesse que se développait la qualité et la démocratisation des home cinema dans les foyers, un nouveau marché était en train de se créer : celui constitué par ces cinéphiles restés cloitrés et qui étaient prêts à payer un abonnement pour du cinéma feuilletonnant de qualité.
HBO fut la première à lancer les hostilités, tâtonnant d’abord avec Oz comme avec Les Soprano, puis parvenant progressivement à imposer un standard : la série en cinq saisons.


Cinq saisons maximum pour éviter les carences habituelles des séries produites les décennies précédentes. Cinq saisons pour autant d’actes dans le développement de l’intrigue. Un schéma quinaire prévu à l’avance pour permettre un vrai développement anticipé des personnages, un vrai cheminement dans l’intrigue et le propos, et surtout une vraie conclusion afin de clôturer l’œuvre de telle manière à ce qu’elle préserve une cohérence, une identité, une unicité.
The Wire, Six Feet Under, The Leftovers : trois bijoux de HBO à avoir su respecter ce standard d’exigence : pas plus de cinq saisons pour que ça reste bon. Toutes les autres à être allés au-delà ont toujours fini par s’égarer : je citais à l’instant Oz et Soprano mais on pourrait aussi évoquer True Blood ou bien encore tout simplement Game of Thrones.
En dehors de HBO le constat est le même : toute série qui s’est montrée trop gourmande et s’est pensée pour tenir dans la durée a fini par tôt ou tard perdre le fil : Lost, Dexter, Walking Dead, Californication
Vince Gilligan a su avoir la prévoyance nécessaire pour Breaking Bad. Malheureusement il n’a pas su faire de même pour ce Better Call Saul.


Car oui, Better Call Saul est bien le marqueur temporel dans l’histoire des séries.
S’étalant de 2015 à 2022, la seconde création sérielle de Gilligan s’étend davantage sur l’ère des standards Netflix que sur l’ère des standards HBO.
…Et ça se sent.


Ça se sent notamment dans le parcours personnel de son personnage principal : Saul / Jimmy.
Dès la fin de la saison 3, l’acte de la grande bascule était déjà posé.


Je parle bien sûr de la mort de Chuck, causée en grande partie par l’acharnement de Jimmy à vouloir faire redescendre son frère de son piédestal factice.


Dès le début de la saison 4, ç’en est fini de la grande mue de Maître McGill. La pente le long de laquelle Slippin’ Jimmy va irrémédiablement glisser jusqu’à Saul Goodman est toute tracée. Pas de quoi s’étaler. Eventuellement un acte pour voir le personnage se débattre en chutant, puis un dernier pour procéder à l’inexorable résurrection ; celle du Jimmy des débuts, plus cynique et désabusé que jamais… Mais non.
Au lieu des deux actes supplémentaires nécessaires et attendus, Better Call Saul ira jusqu’à trois-et-demi. 33 épisodes au lieu de 20. Et c’est clairement trop.


Prendre ces trente épisodes en se focalisant sur Jimmy c’est constater un incroyable sur-place.


Trente épisodes durant lesquels Jimmy déprime, puis se retrouve suspendu, puis se laisse aller à quelques petits trafics (saison 4), avant de commencer à constituer son identité d’avocat pour malfrat (saison 5) ; constitution qui s’étale en longueur sur les saisons 6.1 et 6.2, reproduisant les mêmes arcs que ceux de la saison suivante : bisbilles avec Howard, menace planante de Lalo, relation toxique entre Saul et Kim…


Et pour combler le vide laissé par Saul, Gilligan et Gould ont donc fait le choix de compenser en laissant les arcs secondaires prendre le relais. Mais sur ce point-là aussi, la série se met clairement à ronronner.
Ça ronronne d’autant plus qu’aucun risque n’est pris par l’intrigue ; se contentant de passer par toutes les étapes attendues de fan service.
Alors certes, ça peut être sympa pour l’adorateur de Breaking Bad de voir des éléments de son univers adoré se constituer sous ses yeux mais sauf que :
1) ça ne génère jamais de tension ni de mystère, vu qu’on connait Breaking Bad et qu’on a donc une petite idée de ce qui va aboutir et de ce qui va disparaitre…
2) …mais surtout ça s’étale souvent sur des trucs dont, au final, on n’a franchement pas grand-chose à foutre.


Parce que bon, on en parle de l’arc Werner ?
Toute une saison (la 4) construite autour d’un enjeu : Gus va-t-il parvenir à construire son propre labo secret de meth sans se faire éliminer par les Salamanca ?
…Non mais… Vous être sérieux ?
Eh oh… On a vu Breaking Bad hein !
Oui on sait que le labo va être construit.
Oui on sait que Gus s’en sortira.
Et puis oui aussi, on se doute bien que Werner ne va pas faire long feu…
…Que du prévisible s’étalant sur dix longs épisodes.
Qu’est-ce que ça a réellement apporté au schmilblick au final ? Alors oui, ça a été l’occasion de voir à quel point Gus avait le sang et le cœur froids… Mais ça on le savait déjà.
Oui aussi, ça a aussi permis de montrer que Mike avait bon cœur mais qu’il savait faire ce qui s’imposait quand quelqu’un qu’il apprécie pourtant se met à merder… Mais là encore, on le savait déjà.
Que de la redite. Du ronronnement. Et là je ne parle que de la saison 4.


Alors après, il est vrai que la série tente bien d’amener des éléments nouveaux…


(Lalo)


…Mais, là encore, l’effet prequel annihile une bonne partie de l’effet.


Puisqu’on n’a pas vu Lalo dans Breaking Bad, on se doute bien qu’il ne va pas faire long feu lui non plus.



En fait c’est triste à dire, mais je trouve que cette série est un petit peu à l’image de son personnage principal : peinant à se trouver à ses débuts, restant dans l’ombre pesante de son grand-frère, puis trouvant son élan et son identité avant de sombrer à nouveau ; retombant là d’où elle était partie, le cynisme et l’aigreur en plus.
C’est en tout cas clairement comme ça que j’ai vécu les saisons 5 et 6.1 ; comme des saisons sombrant à nouveau dans ses travers initiaux ; passant à côté de tout ce qui fait sa singularité, son charme, et j’ai presque envie de dire sa pertinence.


Sans cet étalement et cette dilution finale, j’aurais sûrement pu crier au chef d’œuvre. Cette série aurait clairement pu faire partie de celle que je me remate de temps en temps, à quelques années d’intervalle…
…Seulement voilà, déjà avec ces seules saisons 5 et 6.1, mon appréciation de l’objet s’en est forcément retrouvé altéré.
Et si je suis malgré tout resté attaché presque jusqu’au bout à cette esthétique, cette atmosphère et ce ton inimitables (il suffit de me faire entendre les quelques notes des génériques de début et de fin pour que soudain tout un univers fleurisse dans mon esprit) – expliquant par ailleurs ma note plus que positive – j’aurais pu néanmoins aller plus haut s’il n’y avait pas eu ce dernier fragment de saison ; ces six (tristes) épisodes finaux.


Bah oui, j’ai beau l’avoir mis entre parenthèse que j’assume et j’affirme néanmoins ce qualificatif : la fin de ce Better Call Saul je l’ai trouvée désespérément triste. Et pas « triste » au sens de « c’est triste ce qui leur arrive », mais plutôt triste dans le sens : « c’est triste qu’une série avec tant de qualités se vautre comme ça sur sa sortie. »
Pour être franc : j’ai souffert. Vraiment.
Rien ne va.
La série tombe dans tous les pièges.


D’abord c’est prévisible. On sent qu’il faut boucler tous les arcs.
On sent aussi qu’il faut renouer avec l’esprit cru et choc du final Breaking Bad. (Alors qu’en fait non, il ne fallait pas forcément…)
Le problème c’est que le scénario manque clairement d’inspiration et annonce à coups de gros phares comment il entend boucler tout ça.


Tiens tiens, Gus vient dans son labo secret et décide de planquer un flingue sous cette chenille de pelleteuse plusieurs épisodes avant la fin… ROLOLOH !!! JE ME DEMANDE BIEN COMMENT SON OPPOSITION AVEC LALO VA BIEN POUVOIR SE FINIR !!!


Pire que ça, c’est aussi pas mal forcé.
Certaines fermetures d’arc sont clairement pensées pour produire le même effet que le légendaire épisode 14 de la saison 5 de Breaking Bad, mais le problème c’est que la série semble avoir oublié au passage qu’elle n’était pas vraiment construite comme sa sœur ainée, ce qui rend parfois ses pirouettes un brin artificielles…


Car oui, ce qui a fait que l’exécution de Hank a fonctionné du tonnerre dans Breaking Bad, c’est qu’elle est inattendue. Inattendue dans son ressort d’abord mais aussi et surtout inattendue dans son issue. Parce qu’en effet, Walter White a toujours réussi à retourner les situations jusqu’à présent, de la même manière que Hank est toujours parvenu à faire le geste nécessaire pour survivre, même face aux pires menaces… On pense forcément que l’un parviendra à sauver l’autre, à débloquer la situation, à remettre une pièce dans la machine… Mais là Walter est pris au dépourvu. Hank est coincé. C’est le choc. La mécanique s’enraille. C’est le vrai début de la fin. La spirale de l’effondrement…
…Mais rien de tout ça pour la chute de Nacho. (Puisque c’était à cet arc que je faisais en fait référence en dehors de la bande spoiler.)


Concernant la situation de Nacho en cette fin de série, il n’y a pas de mécanique envisageable derrière un possible retournement de dernière minute. On sait que Gus est intraitable. On sait que Nacho ne sera pas de la partie dans Breaking Bad donc Nacho est obligé de mourir. Il ne peut scénaristiquement ni se débarrasser de Gus, ni se débarrasser des jumeaux, ni se débarrasser d’Hector. Sa mort est donc une évidence, et malheureusement la tentative opérée par Gilligan et Gould pour l’iconiser tombe à l’eau et tout ça pour une question de timing.
Nacho décide de se rendre à Gus pour protéger son père ? Franchement, pourquoi pas. Les Salamanca comme Gus auraient pu s’en prendre à ce pauvre bonhomme pour forcer le loup à sortir de sa tanière, donc Nacho préfère rendre service à Gus contre Salamanca afin que Gus assure la protection de son père, notamment contre les Salamanca. Soit…
…Mais pourquoi attendre si longtemps avant de fomenter ce plan ?
…Pourquoi une saison entière de fuite avant de se dire « ah mais tiens, ils pourraient s’en prendre à mon père ! »
…D’ailleurs pourquoi Gus ou les Salamanca ne pensent pas plus tôt à s’en prendre au père de Nacho pour l’obliger à se rendre ?
Tout ça tombe un peu comme un cheveu sur la soupe et c’est bien dommage.


Mais le pire du pire avec ce final, c’est surtout qu’il va contribuer à totalement saborder la tentative qu’a opéré ce Better Call Saul à se constituer en tant que série disposant de sa propre existence et de sa propre identité.


En introduction de ce (long) billet, j’interrogeais la place que ce Better Call Saul allait occuper dans le monde des séries maintenant que ce spin off était désormais clôturé.
J’entendais aussi bien me positionner parmi celles et ceux qui débattent depuis longtemps pour savoir si ce Better Call Saul est meilleur ou pas que son ainé.
Par rapport à ces deux points j’ai déjà eu l’occasion d’exprimer mon point de vue et il me semble important de le rappeler au moment de conclure mon propos.
A mes yeux, c’est toujours quand cette série a pris la peine de voler de ses propres ailes et selon son propre ton qu’elle a été la meilleure et la plus à même de se poser comme une pièce maitresse du monde sérielle. Et à l’inverse, c’est à chaque fois qu’elle s’est remise à ronronner comme un petit train touristique pour fans de Breaking Bad qu’elle s’est mise à perdre selon moi l’essentiel de sa force et de son intérêt.
Or, ces derniers épisodes ne sont clairement pas des épisodes de Better Call Saul. Ce sont des épisodes de Breaking Bad.
…Qui plus est de mauvais épisodes de Breaking Bad, et c’est là tout le problème.


C’est bien simple, arrivé à l’antépénultième épisode de cette saison finale, si vous n’avez pas vu Breaking Bad c’est fini pour vous.
L’intrigue se décide d’opérer un énorme saut dans le temps pour raccrocher à la conclusion de Saul au sein de la série-mère. Pas d’explication. Pas de transition. Rien. On part du principe que tu connais tes classiques religieusement.
Ici on te met du Walter. Ici on te met du Jessie.
Ça va faire plaisir aux fans de voir des personnages propres à la série-mère discuter avec des personnages propres à la série-fille, mais pour tous les autres ça ne produit que des moments vides de sens, totalement creux, narrativement inopérants au regard de ce qu’est Better Call Saul en tant que série à part entière.


Cette discussion Kim / Jessie devant la porte du cabinet de Saul… Mais rololoh quoi !


Et tout ça se termine au bout du compte par un long râle en noir et blanc. Un râle qui aboutit par une scène qui accumule à elle seule toutes les tares de cette dernière saison.
Diluée. Prévisible. Forcée… Et surtout totalement vide d’enjeu.
Ça tombe là, comme ça. Quand j’ai vu l’écran noir et le générique de fin défiler, j’ai juste eu envie de hausser les épaules et dire : « ouais bon voilà quoi… Osef comme pour tout le reste en fait… »


Franchement, ça me fait chier que la série m’ait laissé là-dessus.
Ça me fait chier qu’elle m’est laissée avec cette idée qu’au fond, elle n’avait pas (ou plus) la prétention d’être la série qu’elle aurait pu être.
Better Call Saul cette série à part. Cette série à part entière.
Pas un satellite de Breaking Bad, mais un deuxième soleil. Deux séries se regardant d’égale à égale au sein d’un même univers, chacun ayant son ton, son regard et son discours propres.
Mais non.
Comme je le disais déjà plus haut, il aura fallu que jusqu’au bout, cette série soit à l’image de son personnage principal. Jamais elle ne parviendra à couper le cordon.
Trop de respect. Trop d’admiration. Trop de peur.


A l’image de ce bon vieux Jimmy, Better Call Saul sait être une série malicieuse, constamment alerte, et surtout toujours lucide sur le regard porté sur cet Ouest farcesque. De telles qualités ne peuvent que la rendre sympathique – aimable même – c’est certain…
Seulement voilà, malgré ces qualités indéniables il y a les rechutes régulières. Il y a ce besoin permanent de se justifier, de se raccrocher à la figure tutélaire et ombrageuse du frère, au point d’oublier de vivre pour soi-même.
Better Call Saul aurait pu être une série selon les standards HBO de la décennie passée. Elle l’est d’ailleurs à de très nombreux instants…
…Mais au final, elle ne saura s’empêcher de sombrer dans les standards de la série Netflix.


Alors oui, c’est vrai, à sa façon Better Call Saul aura su marquer de son empreinte le monde de la série. On ne pourra pas lui retirer ça.
Quelques notes de génériques et ce sera toujours le sourire et la nostalgie qui l’emporteront, ça c’est certain.
Mais dommage donc. Dommage que Better Call Saul n’ait pas su être plus que ça. Une série dont on est déjà nostalgique alors que son visionnage n’est pas encore fini.
Une série dont le sourire est certes présent mais tout en restant à chaque fois amer.
Une semi-occasion manquée…
Un petit-frère resté petit…
…Un spin-off en manque d’effet.
…Une prequel qui n’a pas su imposer son propre narratif.
Triste.

lhomme-grenouille
7

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le 9 déc. 2022

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le 20 sept. 2019

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Avatar - La Voie de l'eau
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le 14 déc. 2022

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