Babylon Berlin
7.4
Babylon Berlin

Série Das Erste (2017)

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Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai l’air de me contenter d’atmosphère ?!

Sur le papier, cette série, elle me vendait du rêve…
D’un côté on avait Tom Tykwer – le somptueux réalisateur du Parfum et de Cloud Atlas – et de l’autre on avait l’une des plus belles zones d’ombre de l’Histoire enfin mise en lumière : l’effervescence culturelle du Berlin de l’Entre-deux-guerres.
Moi j’en salivais déjà…


Et histoire de mettre tout le monde à la page – qu’on le sache – mais le Berlin de l’Entre-deux-guerres ne s’arrête pas à l'arrivée au pouvoir du petit moustachu en chemise bien repassée.
Et c’est d’ailleurs dommage qu’un aussi petit homme ait su à ce point éclipser tout un univers pourtant des plus fascinants.
De l’agitation du communisme au lendemain de la Révolution de Novembre 1918 à la position ambiguë d’une armée dont les cadres oscillent entre envie de coup d’Etat et peur de guerre civile ; de l’effervescence culturelle s’exprimant à travers le Bauhaus ou l’art déco à l’émergence d’une scène homosexuelle et d’une culture du corps libre ; tous ces éléments réunis ont fait du Berlin des années 1920-1930 une véritable marmite en pleine ébullition ; un cratère en fusion dont on peine à faire le tour tellement il est immense et profond.


Autant dire que face à un pareil sujet, un Tom Tykwer n’allait pas être de trop et, me concernant, les premiers épisodes m’ont vite convaincu de l’importance de ce personnage pour donner vie à cette période tellement folle.
Qu’il s’agisse des sujets abordés à l’esthétique adoptée, le tout en passant par l’agencement et la mise-en-scène générale de cette série, Tykwer impose très vite sa patte.
C’est dense, cru, agité. Ça bouge de partout mais sans jamais perdre son cap.
Des nuits exaltantes où beaucoup de choses se passent aux mystérieux trains qui se faufilent parmi les lignes ; des quartiers ouvriers austères où on essaye de se raccrocher comme on peut à l’élan économique aux autorités de tous poils qui peinent à trouver leur marque dans ce nouveau monde, tout participe à une gigantesque confusion mais face à laquelle il est difficile de se sentir écrasé.
Car face au tourbillon, la maitrise de Tykwer rassure, tel un guide connaissant parfaitement l’endroit dans lequel il compte nous emmener.
En cela le générique pourrait résumer à lui seul le fonctionnement de cette série. Un déroulement circulaire, régulier et continu ; un déroulement qui permet d’afficher progressivement mais méthodiquement une élégance et art propres à cet objet…
…Mais l’objet a beau être envoutant et captivant, il n’empêche qu’il gagne progressivement en ampleur et monte en tension, jusqu’à ce qu’il explose.
Tel est au fond le programme : on est prêt à accepter de tourner en rond et en rond, mais uniquement parce qu’on sait qu’à un moment donné, tout va péter…


Mais malheureusement, c’est sur ce premier point que Babylon Berlin a commencé à me faire déchanter.
Car si le temps de deux ou trois épisodes j’ai pu me laisser séduire par les belles reconstitutions de l’Alexanderplatz, par les soirées cabaret enivrantes et par les promesses d’intrigues à base d’échanges douteux entre Allemagne et URSS, au bout d’un moment un constat finit par s’imposer : Babylon Berlin peine à tenir le cap, ou plutôt à tenir le rythme.
Car à bien tout prendre, les épisodes et les saisons s’enchainent et révèlent un mal malheureusement trop commun aux séries de cette génération : le syndrome du tunnel narratif.


Se limiter d’ailleurs à la seule saison 1 est en soi une expérience plutôt douloureuse.
Assez rapidement, l’intrigue principale est mise à l’arrêt afin du gagner du temps. Les arcs secondaires se multiplient et patinent péniblement.
Au final on arrête des gens, on les relâche, pour mieux les arrêter à nouveau quelques épisodes plus tard.
On écoute des gens comploter contre d’autres gens qui complotent à leur tour. On ne sait pas grand-chose au point que même les trahisons peinent parfois à impacter…
Alors d’accord, on sent bien que des pions sont déplacés, mais ces derniers semblent faire des va-et-vient juste dans la seule optique de gagner du temps.
Au bout du compte rien ne se passe vraiment et quand la saison 1 se finit on a une étrange impression de surplace qui s’installe. Rien n’est réglé. Rien n’a véritablement avancé…


…puisqu’on reste encore avec cette histoire de train mystérieux sur les bras sans qu’on sache vraiment de quoi il en retourne.


…si bien qu’au bout du compte même la promesse de départ semble s’être délitée.


OK on a bien vu de temps en temps une agitation populaire et des bars remplis à craquer, mais au final rien n’a vraiment fait corps, et surtout le sentiment de cocotte-minute prête à exploser est en définitive plutôt absente.
Comble du comble d’ailleurs, même ce fameux « tu-sais-qui » et ses copains aux brassards bariolés sont désespérément absents. Invisibles.
C’est pourtant en 1929 qu’Hitler commence à se faire connaitre hors de Bavière et que son mouvement se met à recruter un peu partout et notamment à Berlin. Mais dans cette saison 1 rien n’en est dit ni montré, comme s’il s’agissait là d’un sujet tabou.
A la place il faudra juste se contenter d’une vague allusion à la Reichswehr noire, un mouvement d’officiers de l’armée et d’anciens combattants qui aspirent à renverser la République de Weimar. C’est bien peu.


Mais fort heureusement, à ce sujet-là, la saison 2 parvient à sensiblement rattraper le coche.
…ou pour être plus précis c’est surtout la seconde moitié de cette saison qui active enfin les choses.
Les enjeux apparaissent enfin clairement. Les cartes se dévoilent. Des acteurs-clefs font leur apparition comme Hindenburg ou bien encore les premiers SA.
Et si l’attente fut longue, au final la manière de procéder se révèle des plus pertinentes au point de laisser à un moment donné émerger un espoir.


Je tiens d’ailleurs à tirer mon chapeau dans cette façon qu’a eu la série de faire débarquer les SA presque par hasard au milieu du chaos général.
On ne les voit pas venir. C’est limite s’ils ne sont pas un problème secondaire au regard de tout ce merdier. Et surtout j’apprécie particulièrement le fait que la série insinue cette idée qu’au fond, les gars qui ont dupés Greta, étaient des communistes qui ont fini par rallier la cause nazie.
Même si en soi la chose n’est pas dite, la confusion du moment autorise l’hypothèse et signifie habilement les fortes porosités qui apparaissent entre les différentes mouvances révolutionnaires de l’époque.


A noter d’ailleurs que la montée en puissance de la Reichswehr noire apporte un beau climax final à cette saison 2 ; un climax d’autant plus efficace d’ailleurs qu’il met en lumière une organisation bien réelle et influente de l’époque mais qu’on a fini par oublier.


…Et sur point aussi, je tiens aussi à tirer mon chapeau. Car quand bien même l’opération Prangertag est-elle fictive qu’elle illustre néanmoins assez pertinemment l’état d’esprit de l’époque, surtout quand on se rappelle des évènements antérieurs et eux bien réels comme ont pu l’être par exemple de le Putsch manqué de Kapp ou bien même celui de Bavière auquel avait participé Hitler.



Seulement voilà, malgré ces qualités certaines, la saison 2 n’efface clairement pas toutes les limites de cette Babylon Berlin.
D’abord quelques épisodes ne suffisent pas à faire oublier le fait que l’intrigue ait patiné pendant une saison et demie, surtout qu’à bien tout prendre, les deux premières saisons auraient pu / dû être fusionnées en une seule saison de huit à dix épisodes.
D’ailleurs le début de la saison 3 rappelle très vite à cette lacune. Sitôt cette troisième séquelle est-elle lancée qu’on se rend compte que le soufflé est déjà retombé ; qu’un arc est clos et qu’un nouveau doit être lancé.
Et même si le crise de 1929 est tout de suite introduite comme étant le nouveau moteur de cette troisième saison, les mauvaises habitudes du cycle précédent sont à nouveaux reprises et l’intrigue s’enlise à nouveau.


Même au niveau de la forme la série est loin d’être irréprochable durant son second souffle. Car si le climax final de saison 2 était globalement bien inspiré, il n’a pas manqué non plus de charrier avec lui des clichés scénaristiques pas très flatteurs.


Je pense notamment à la noyade de Charlotte totalement abusée, ou bien encore à cette poursuite finale sur les toits d’un train aussi laide que pathétique.


De tels choix relativisent dès lors fortement tout le charme que cette série s’est toujours pourtant efforcée de dégager et sur lequel elle a manifestement cherché à se reposer le plus possible.


Parce que oui – on ne va pas se mentir – on sent bien qu’en tout et pour tout, Babylon Berlin entend surtout s’appuyer sur ça : sur son charme.
…Ou devrais-je dire sur son atmosphère.
Et si d’un côté je ne peux effectivement pas renier le fait que ce charme est bien réel et qu’en cela la série laisse une marque dans les esprits, de l’autre j’aurais tendance à dire que – me concernant – ce charme n’a rien de suffisant pour faire de Babylon Berlin une grande série…
…Voire pour en faire ne serait-ce qu’une série regardable.


Car oui, il se trouve que, pour ma part je ne suis même pas allé jusqu’au bout des trois saisons à ce jour (août 2021) disponibles de Babylon Berlin.
J’ai arrêté en cours de route. Se bouffer des heures de digression tout en n’ayant que cette atmosphère pour seule canot de sauvetage, pour moi ce n’est clairement pas assez.
Autant avec un vrai sens de l’intrigue et peut-être même avec davantage d’irrévérence et d’audace, l’atmosphère de Babylon Berlin aurait été un fabuleux écrin pour une série qui, du coup, s’en serait trouvée métamorphosée, mais malheureusement ce n’est pas le cas.


Regarder Babylon Berlin c’est tristement se rappeler de l’époque dans laquelle nous nous trouvons.
On est à la fin de la décennie 2010, ce qui veut dire qu’on est davantage dans l’ère Netflix que dans l’ère HBO…
…Ce qui veut dire qu’on est aussi plus proche de Dark que de Rome.
Et c’est dommage pour le coup…
…Dommage qu’une série faisant référence à de grandes capitales d’empire n’ait pas poussé l’audace jusqu’au bout d’assumer la grande fresque historique sachant aborder avec grandeur, éclat et fracas l’une des périodes les plus riches et les plus agitées de l’Histoire…


…Dommage qu’à la place Babylon Berlin se contente donc de si peu.
Car à refuser les codes de l’âge d’or des séries, son destin semble dès lors tristement scellé.
A se modeler selon les convenances des âges sombres, l’œuvre de Tom Tykwer est appelée à vite sombrer dans l’oubli…
…Et à disparaitre parmi les pages les plus oubliables et oubliées de l’Histoire.

Créée

le 27 août 2021

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