Au-delà des murs
6.6
Au-delà des murs

Série Arte (2016)

(Depuis le temps que je la repousse il va bien falloir que je me décide à franchir le pas de ma première critique... Un, deux, trois, c'est parti !)


Quand j'y réfléchis il est rare qu'un film ou qu'une série fantastique ou horrifique m'enthousiasme vraiment, me prenne aux tripes, m'étonne, me touche, que j'aie envie d'en parler autour de moi, voire même que me vienne autre chose qu'un commentaire équivalent à "Ouais ça va, c'était sympa". Peut-être parce que je suis blasée, ou parce que les codes du genre sont trop éculés et repris inlassablement, ou parce que je suis une psychopathe sans aucune capacité à l'empathie, ou encore un ver de terre. (Merci Sens Critique de m'accorder un badge "Ver de terre" le cas échéant, et ne me dites pas qu'il est très répandu.) Et là, avec Au-delà des murs, alors que je ne m'attendais à rien de particulier, le miracle a eu lieu : je me suis sentie impliquée avec les personnages, j'ai eu envie qu'ils s'en sortent, je me suis dessiné les traces de mes ongles sur les paumes en crispant les poings, j'ai ressenti de l'émotion après m'être un peu attachée et identifiée, le tout pour un petit paquet de raisons.


D'emblée l'ambiance m'a happée, dès le générique j'étais alléchée et déjà influencée, j'ai trouvé que le choix de "The Curse" d'Agnès Obel était tellement plus approprié qu'une musique pompière ou racoleuse de série américaine, la douceur et la mélancolie de cette complainte au piano assorties d'images allusives de papiers peints, énigmatiques, sans âge, m'ont beaucoup plus donné envie de voir la suite que pléthore de zombies ou de tueurs armés sur fond de musique hystérique.
L'action est assez basique et pourrait tenir au dos d'un ticket de caisse : Lisa, une jeune femme assez timide et renfermée, qui a du mal à se lier avec les gens qui l'entourent, hérite mystérieusement d'une maison léguée par un inconnu, et va se retrouver enfermée à l'intérieur. Elle n'y sera pas seule, puisque s'y trouve aussi enfermé depuis très longtemps un jeune homme, Julien, mais aussi les Autres. Il s'agira alors pour les deux personnages principaux d'échapper aux Autres, représentant ceux qu'il ne faut pas devenir, incarnations de leurs fantômes et regrets, et de trouver la sortie de cette maison labyrinthique où les notions de temps et d'espace n'existent plus comme à l'extérieur. Pourtant, pour moi, cela a fonctionné parfaitement, à plusieurs moments je me suis projetée dans l'action, tout élémentaire qu'elle puisse être.


Les personnages ne sont ni de purs prétextes complètement creux, ni excessivement développés selon moi. Les traits de leurs personnalités sont exposés, ainsi que les éléments de leur passé qui les hantent, afin qu'ils aient une profondeur, mais cela ne prend pas non plus toute la place. Ils sont loin des stéréotypes américains et cela fait du bien : Lisa ressemble à une femme normale (même si elle fracasse les murs quand elle entend des bruits bizarres et part dans des couloirs glauques toute seule au lieu d'aller se planquer sous son lit comme vous et moi), dans la bonne moyenne mais pas dessinée à la palette graphique avec des seins géants juste là pour faire joli et pour justifier la location de lunettes en carton (coucou Texas Chainsaw 3D), Julien n'est pas vilain mais ce n'est pas Action Man, l'on fait face à des personnages qui gèrent carrément mieux que nous mais qui restent crédibles.
Pas de grosses démonstrations de badasserie un peu ridicule, pas de hurlements à tout bout de champ ou de sang qui gicle sur les murs avec des morceaux d'abats (le premier qui a "Waterloo" ou "Dancing Queen" dans la tête a perdu), pas de super idée pour sauver le monde qui ne tient pas la route, dans cette mini série de trois épisodes l'action avance avec les personnages, et le fantastique fonctionne avec le psychologique et le symbolique. Les décors sont saisissants, la bande son ménage des silences ou des bruitages légers, sans barouf énorme pour nous signaler que hey c'est là qu'il faut avoir les miquettes, le rythme parfois assez lent permet de s'imprégner de l'atmosphère de la maison, de la découvrir presque comme dans un jeu vidéo, d'avoir l'impression de se déplacer de pièce en pièce, de se sentir pris dans un jeu et d'avoir envie de se retourner au cas où un Autre serait dans notre dos dans la vraie vie... Les personnages se déplacent par exemple avec une lampe à huile, ce qui évoque évidemment un objet essentiel de n'importe quel inventaire de jeu d'horreur, contribuant à la dimension participative pour tout spectateur qui a déjà joué à des jeux où la lumière assure la survie des personnages au milieu d'univers hostiles. J'ai vraiment vécu les trois épisodes, avalés d'affilée, comme une partie d'un jeu, glanant des indices, essayant de comprendre pourquoi "j'étais là", réfléchissant à comment résoudre telle situation, me disant que moi j'aurais fait ci ou n'aurais pas fait ça. Pour moi qui suis dispersée, qui ai tendance à regarder un film tout en lisant un chapitre de livre, grignotant un truc, notant quelques idées et pensant à quelle chanson j'écouterai après, il est assez exceptionnel que je sois ventousée à mon écran les yeux écarquillés, or là je suis bien restée trois quarts d'heure mal installée à l'arrache sur mon parquet, sur le qui-vive, pour ne pas risquer de perdre trois secondes d'images, ne pas sortir de ma bulle de tension, ne pas risquer d'ébrécher l'illusion fictionnelle. Les différents décors


(dans la maison, dans la forêt, dans la cabane où Lisa rencontre la petite fille qu'elle cherche à rattraper)


fonctionnent comme différents niveaux d'un jeu, mais finalement l'on ne peut jamais être sûr de s'il y a effectivement une progression ou non, de si les personnages sont sortis de la maison, ou si le décor extérieur est encore un leurre, un nouvel enfermement.
J'ai aimé


l'intrication du paradoxe temporel et de l'histoire,


la relation entre les deux personnages principaux, la question des choix, des regrets, des souvenirs, de la culpabilité, mêlée à des motifs religieux, et si à la fin un élément peut éventuellement paraître incohérent j'ai trouvé qu'il conférait aussi un caractère indécidable au récit, donnait un éclairage différent sur l'histoire en laissant une possibilité de garder un peu ouverte la fin. Fin que je n'avais d'ailleurs pas vue venir, tant je regardais pour une fois les épisodes en immersion et sans chercher vraiment à "aller lire la dernière page", que d'autres personnes ont apparemment trouvée attendue et mélodramatique, mais qui m'a surprise, émue, et laissé un peu le cœur gros et la gorge nouée pour la soirée et un peu après d'une mélancolie de fiction pas désagréable, avec une légère impression d'avoir quitté des amis après avoir partagé des aventures.


Alors bien sûr tout n'est pas parfait, je pourrais pinailler en revoyant la série sur tel passage un peu long, tel moment où une action était un peu exagérée, mais dans l'ensemble, une série d'horreur qui me tient en haleine et en place 2h40 sans que je m'évade mentalement ailleurs ou que j'entame autre chose, que je trouve originale, pas cliché, qui utilise des éléments typiques du genre mais sans les remâcher tels quels, qui est belle plutôt que gore tout en restant inquiétante, qui me fait vibrer, que j'aurais envie de revoir, je dis OUI.

Meowsotis
9
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le 20 oct. 2016

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Meowsotis

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