Epopée "rousseauïste" magistrale en saison 1 qui se délite en saison 2

Critique tardive puisque la première saison a été diffusée il y a 4 ans, mais la seconde saison sortant ces temps-ci, l'intérêt sera peut-être ravivé. (La présente critique ne porte que sur la saison 1).

La série est assez fascinante sur plusieurs aspects, mais singulièrement sur son propos qui est à la fois de portée universelle et intimement coréen.

S'agissant du caractère très coréen, le personnage emblématique s'appelle Tagon, dont le nom est trop proche de celui du mythique fondateur de la première entité nationale coréenne, Tan'Gun, pour qu'il s'agisse d'une coïncidence. Tan'Gun serait le fondateur de Gojoseon, premier royaume coréen largement légendaire en 2333 avant JC. Or, Gojoseon ne couvrait pas l'ensemble de la péninsule coréenne, mais seulement sa partie nord, correspondant à peu près à la Corée du Nord actuelle. Lors de la fondation de la Corée du Nord en 1948 et jusque dans les années 60, le culte de Tan'Gun était vivement combattu par les autorités du pays qui considéraient cette sornette mythologique incompatible avec les valeurs d'un état moderne, scientifique et communiste. Mais avec l'évolution délirante du régime en dictature dynastique, le mythe de Tan'Gun a été récupéré et réhabilité par les Kim pour renouveler le sentiment nationaliste (nord-) coréen.

De fait, il semble clair qu'au travers du personnage à l'évolution tragique de Tagon, la série cible l'évolution tragique du voisin nord-coréen. Si on ajoute que le monde de la série est divisé entre Arthdal, au nord, et Iark, au sud, séparés par un no-man's-land matérialisé par une immense falaise noire et un désert de sel impropre à la vie, l'analogie avec la situation coréenne contemporaine est évidente.

La portée universelle s'illustre particulièrement avec l'adhésion manifeste à la théorie du "Bon Sauvage" d'idéalisation de l'homme à l'état de nature popularisée en Europe par Montaigne ou Rousseau qui dit que l'être humain est naturellement bon et enclin à vivre en harmonie avec la nature, mais que cette nature bonne est progressivement altérée par le développement "civilisationnel" (à l'opposé de Hobbes, l'inspirateur du capitalisme et du libéralisme qui professait que, naturellement, "l'homme est un loup pour l'homme"). Les tribus de Iark, et particulièrement les Wahans, incarnent cette thèse, notamment avec les préceptes légués par la fondatrice de la tribu, "la grande louve blanche", qui interdisent la domestication des animaux ou l'agriculture qui conduisent nécessairement à la dégradation de l'humanité.

De fait, la série fait référence aux grandes étapes de l'histoire de l'humanité jusqu'à l'avènement des premières civilisations : le conflit entre les chasseurs-cueilleurs nomades et les agriculteurs sédentaires, avec l'enjeu de la propriété de la terre (mère de tous les vices humains selon Rousseau et Marx), l'extinction des Néanderthaliens ("Neanthals" dans la série) dans la concurrence avec les Sapiens (bien que cette extinction soit plus spécifiquement européenne, inaugurant plusieurs génocides qui sont un peu une spécialité européenne), le génocide des Amérindiens par les conquistadors européens (encore eux) par le biais cynique de l'offrande de textiles infectés de bactéries mortelles (c'est le fameux Tagon qui a cette idée très "civilisée" dans la série), l'émergence et la concurrence des premières religions, l'apparition des premières civilisations industrieuses nécessitant du travail, donc des esclaves...

Les auteurs de la série vont même plus loin en opposant "la Nation", creuset du pouvoir totalitaire et tyrannique basé sur la peur et la soumission, à "la Liberté" des tribus hors Arthdal qui vivent en paix avec leur environnement et les autres.

La mise en scène de cette vision très politique est magistrale, avec des personnages fascinants et archétypiques qui incarnent ces oppositions. Tagon et Taealha sont les figures troubles, redoutables, ambiguës et violentes de "l'état civil" (la civilisation, l'état, la nation...) avides de pouvoir et de puissance, mais dans la paranoïa permanente des trahisons probables, face auxquels leur fragiles idéaux d'être aimés du peuple ne font pas long feu. A l'opposé, Eunseom incarne l'homme à "l'état de nature", le sauvage bon et innocent qui se heurte constamment (mais sans flancher même s'il doute) aux vices de la lâcheté, du mensonge, de l'appropriation... (son innocence "pure" le rend parfois agaçant aux yeux d'un homme "civilisé" comme moi, il fut l'avouer). Et entre les deux, Tanya incarne la transition entre les deux états, l'homme naturellement bon (la femme en l’occurrence) progressivement corrompu par la civilisation qui lui apprend l'avidité, la quête acharnée du pouvoir, la manipulation...

Les acteurs qui incarnent ces personnages sont très charismatiques (notamment celui qui joue Tagon, très impressionnant).

Par ailleurs, les décors sont très beaux, l'architecture de ces cités de l'âge de bronze est très étonnante (pour les vues extérieures, les vues intérieures sont curieusement très modernes).

Bref, je suis conquis.

Edit : saison 2

La 2ème saison est clairement décevante au regard de la première. Autant la genèse de la "civilisation d'Arthdal" était pleine d'inventivité et d'originalité, autant cette saison qui se concentre sur l'affrontement entre les différents protagonistes présentés en saison 1 et ce qu'ils représentent est répétitive et assez banale, déjà vue avec Game of Thrones ou les différents avatars de l’œuvre de Tolkien.

Le changement de certains des acteurs principaux est assez déstabilisant au début, les nouveaux acteurs (surtout le nouvel acteur masculin principal) donnant une coloration nouvelle à leurs personnages qui fait qu'on a du mal à les identifier à ceux de la première saison, mais on s'habitue vite.

Mais surtout, le scenario s'affadit considérablement en se réduisant à un conflit manichéen entre la "gauche" (la démocratie, les valeurs collectives et républicaines) incarnée par Eunseom et surtout Tanya, et la "droite" (l'autoritarisme, l'individualisme, le capitalisme) incarnée par Tagon et Taealha où se succèdent sans discontinuer les attaques, contre-attaques et contre-contre-attaques.

Pire encore, le scénario cède à une facilité particulièrement agaçante renforçant le manichéisme ; alors que le spectateur est invité à partager en long, en large et en travers les préparatifs et stratégies des "gentils" (Eunseom, Tanya, voire Saya), ce que fait Tagon, l'antagoniste négatif de la saison est toujours dissimulé, ce qui fait que ses pièges et manigances ne sont révélés au spectateurs que quand ils tombent sur le coin de la gueule des "gentils". C'est une façon de forcer l'identification du spectateur au camp des "gentils" particulièrement déplaisante (surtout que répéter le "truc" à l'excès rend tout très prévisible.) En plus c'est un gâchis du talent de l'acteur qui incarne Tagon, qui avait parfaitement illustré la complexité du personnage en 1ère saison, et qui est réduit en saison 2 qu'à n'afficher que des rictus satisfaits.

La fin de la saison est particulièrement lamentable, à mille lieux des promesses de la saison 1, certainement pour rester ouverte à une possible saison 3 qui, si elle se fait, sera sans moi.