Nanaroscope !
7.7
Nanaroscope !

Websérie Arte Creative (2017)

Des zombies nazis dans L’Oise, des cow-boys nains, des clones de Bruce Lee, un blockbuster ougandais sur YouTube… Le nanar a cette odeur de souffre et ce goût de plaisir coupable.


Régis Brochier, co-fondateur du site web Nanarland, réalise une série de dix courts documentaires pour le compte d’Arte creative, Nararoscope. Un festival de mauvais goût, mais aussi un regard décalé sur le cinéma visible ici.


Pour définir le nanar, je vais reprendre la définition qui est faite pour parler de la boîte de production française Eurociné.



« Normalement, tous les cinéastes qui œuvraient dans la série B essayent de tirer partie du minimalisme. La série B est souvent lieu du huis-clos. Et Euro ciné n’a rien retenu de tout ça. C’est ça qui est complètement fou. Ils essaient d’en mettre plein la vue. Ils multiplient les décors, les effets spéciaux, mais ils n’ont absolument pas les moyens de toutes ces ambitions. Le style Euro, c’est cette espèce de naïveté folle à croire que, malgré les carences, ils vont réussir à donner le change. » Christophe Bier, historien du cinéma



Cette absence de doute apparaît dans Le Lac des morts-vivants, une histoire improbable de zombies nazies filmée dans l’Oise. « Le film ne prend jamais en dérision son histoire. Elle s’efforce de la raconter du mieux qu’il peut » (Fausto Fasulo, rédacteur en chef de Mad Movies).


Cette absence de remise en cause provoque des films au concept hallucinant. Notamment, Terror of Tiny Town, un western de 1938.



« C’est un western pur et simple, à un détail près, c’est que le casting est composé de nains, sur des poneys Shetland. Les décors n’ont pas été adaptés à leur taille. Il y a évidemment un saloon où on voit des acteurs qui n’ont même pas besoin de pousser la porte, ils passent dessous. […] Dans Terror of Tiny Town, il y a tous les stéréotypes, tous les poncifs habituels d’un western classique sérieux. » Christophe Bier



Le nanar apparaît vite comme un mélange d’opportunisme et de volonté de faire du cinéma malgré tout. Exemple sur le tournage de Le Lac des morts-vivants : « C’était un film pas terrible, mais au bout du compte, c’était un film. » Michel Malaussena, ancien assistant chez Eurociné. Le tout est un mélange est d’ambition et de bricolage.



« Un jour, la caméra tombe en panne, elle tourne au ralenti. Ça veut dire que si on filme comme ça, le spectateur va voir des images en accéléré. Le patron, Marius Lesoeur, dit : « C’est facile, on n’a qu’à demander aux comédiens de jouer au ralenti. Comme ça, on se retrouvera à une allure normale. » Et c’est ce qu’on a fait. » Michel Malaussena



Cette série documentaire ne se contente pas d’aligner les films kitchs bons à se gausser. Elle offre aussi une histoire du cinéma vue de la marge. Car le nanar n’est que l’enfant illégitime du cinéma à succès. Eurociné a ainsi surfé sur la vague des films d’horreur. L’exemple le plus parlant vient des clones de Bruce Lee. Après sa mort, il ne laisse derrière lui qu’une très courte filmographie à exploiter. Mais la nature du portefeuille ayant horreur du vide, le manque a été comblé par de véritables clones aux noms évocateurs : Bruce Li, Bruce Le, Bruce Lei, Bruce Lai, Bruce Lo, Bruce Leung, Bruce Thai, Bruce Ly. Le comble de l’opportunisme va à la fusion de la coupe au bol, des lunettes de soleil et de la moustache : Bronson Lee. Mais au-delà du ridicule, un « acteur » comme Bruce Le a tourné plus de deux cents films sur cette vague. On apprend aussi au travers du portrait de Jean-Marie Pallardy, auteur des évocateurs l'Amour chez les poids-lourds ou l'Arrière Train sifflera trois fois, que :



« Il y a eu un moment en France où le cinéma le plus vu était le cinéma érotique. » François Cau, journaliste à So Film



Autre illustration avec American Ninja, où Hollywood a décidé de reprendre à sa sauce le ninja japonais traditionnel pour en faire un blanc-bec musclé en pyjama. Puis le concept va être redigéré par des producteurs de Hong Kong qui l'ont copié avec des dizaines d'exemplaires de « films de ninjas américains ». Du travail à la chaîne qui rappelle que oui, le cinéma est aussi une industrie.


A travers le nanar, cette série documentaire ne raconte pas que cette historiette du cinéma. Elle nous parle aussi de notre relation au cinéma aujourd’hui et de ses nouveaux outils. L’histoire de Samouraï Cop en est presque touchante quand on découvre cette résurrection via YouTube de Matt Hannon. D’ailleurs, le ton général de Nanaroscope n’est pas méchamment moqueur, il y apparaît une tendresse pour ce cinéma bis. Le documentaire prévient toutefois sur les risques d’Internet, car si le web starifie des gens comme Matt Hannon, il peut aussi détruire des personnes comme Uwe Boll (ce qui est en partie mérité).



« La nanarophilie fonctionne par son dialogue avec le cinéma en général. Alors que si elle ne le fait pas, ce n’est plus un amour du cinéma, c’est un amour de YouTube, un amour du fragment. » Simon Laperriere, co-auteur de « L’éloge de la nanaropholie »



Le documentaire s’attache ainsi à parler de la manière dont est fait le cinéma aujourd’hui. Cet amour du cinéma se retrouve dans l’histoire de Wakaliwood et de Who Killed Captain Alex ?. Car, même si le résultat est mauvais, il y a une passion et une débrouillardise chez ces Ougandais qui forcent le respect.


A l’inverse, le dernier épisode de Nanaroscope m’a particulièrement interpellé, quand il est question du méta-nanar. Explications tout d’abord :



« Le nanar, c’est le rendez-vous manqué avec le spectateur. Le méta-nanar, c’est le rendez-vous volontairement manqué. A partir des années 80, il y a des studios comme Trauma qui vont, en tenant compte du succès de salles de cinéma comme les Grindhouse où des spectateurs vont se ruer vers la salle pour voir des mauvais films dans le but de s’en moquer, tenter de capitaliser sur ce succès-là en faisant des comédies comme Toxic avenger qui vont accumuler les blagues de bas étage. On sent que tout est calculé, chronométré de sorte à ce qu’on peut voir les scènes non pas comme des échecs, mais comme des gags très ludiques. Et si on rit, ce n’est pas tant que parce que la blague est drôle, mais parce qu’on est dans le coup avec le réalisateur. » Simon Laperriere



L’illustration est faite avec de Dude Bro Party Massacre II.



« On voulait faire un bon film qui reprendrait les thèmes et les codes des films pourris. On a filmé avec une très bonne caméra [une Red] puis on a transféré les images sur une vieille VHS pour un aspect baveux. » Kelsey Gunn, actrice et scénariste de Dude Bro Party Massacre II



Et là, j’avoue que j’ai vu rouge. Cela revient à utiliser une Porsche pour faire des auto-tamponneuses. A mélanger un whisky écossais 18 ans d’âge avec un coca Leader Price. A utiliser le dernier Nikon pour faire des selfies… (bref, vous avez compris l’idée) D’un côté, on a des pauvres gars qui se creusent la tête pour fabriquer une mitraillette avec des casseroles et des bouts de bois, et de l’autre des petits bourgeois suréquipés qui font volontairement de la merde.



« Si les gens se disent que c’est nul, que l’image est affreuse, que les acteurs jouent mal et pensent qu’on est vraiment mauvais, alors on s’est plantés. » Kelsey Gunn



Ok, là, je suis vraiment en colère.



« Ce qui est quand même intéressant avec le méta-nanar, c’est que le méta-nanar ne réussit pas forcément à être méta. Donc, d’une certaine façon, le méta-nanar peut devenir nanar lui-même. On pourrait dire qu’il arrive à une sorte de lecture au 3e degré où là, on sait qu’on regarde un film qui tente volontairement d’être mauvais, mais n’en demeure pas moins qu’il est légitimement mauvais, et le résultat est nanar. » Simon Laperriere



Et moi, j’ai besoin d’une méta-aspirine.

Caledodub
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le 13 janv. 2017

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