Un bouleversant chef d'œuvre aux différents degrés de lecture possibles...

Alors oui évidemment, quand on voit ces deux petits épisodes de même pas deux minutes chacun on est tenté d'afficher une certaine complaisance à l'égard de Pierre Emmanuel Barré et de mettre "10/10" sans même réfléchir pour ironiser sur le minimalisme ridicule qui consiste à prendre deux petites langoustes et à leur faire dire des bêtises dans un jardin au lieu de les mélanger avec une bonne mayonnaise comme il se doit! Les nombreuses excellentes notes qu'a reçu cette "série" pourraient être perçues comme un certain sarcasme à l'égard de la puérilité de notre cher Pierre Emmanuel Barré.


Et si...et si cette mini-série (volontairement scandaleusement orthographiée) était effectivement un authentique chef d'œuvre méconnu ? Je m'explique. Si on prend de la distance par rapport à la dimension minimaliste du contenu (Pierre Emmanuel Barré qui se contente de faire bouger les petites langoustes avec ses mains et de les filmer de manière parfois désastreuse) on peut apprécier une profondeur thématique qui n'apparaît pas nécessairement au premier visionnage. Commençons par l'épisode où Barré pose intelligemment le décors en reprenant en arrière fond sonore le mythique "Pour que tu m'aimes encore" de Céline Dion...on devine facilement à cela, à l'accent employé et à diverses expressions de Barré que l'action se situe au Québec. Jean-Goustine fume et...soudainement l'insouciance laisse place à l'inquiétude la plus vive : petites causes, grandes conséquences, l'arbre derrière lui prend feu. Comme par hasard il s'agit d'un sapin...manière de dire de façon poétique et allégorique que...ça sent le sapin? Le cadre de réflexion devient alors existentialiste et on comprend ainsi que Pierre Emmanuel Barré dénonce ici la cupidité et la lâcheté du genre humain lorsque, Jean Goustine, plutôt que de faire face aux conséquences de son acte terrible s'empresse de rejoindre l'aéroport en voiture puis prend un avion qui se crache presque instantanément tandis que l'arbre termine sa combustion. "C'est la fin" s'exclame le narrateur. Que faut-il comprendre par là? Que l'Homme en saccageant en toute insouciance (dans un premier temps) son petit monde et en se refusant à assumer les conséquences de ses actes ne pourra échapper à son funeste destin ou que son destin finira par le rattraper de même que le poids de ses responsabilités? Fuir l'inéluctable et faire montre d'une insouciance dangereuse ne peut que conduire l'humanité à sa disparition...en ces temps plus que jamais troublés rappeler un tel fait a du sens et une grande pertinence!


Pour ce qui est du deuxième épisode c'est la violence et l'hypocrisie du peuple américain qui sont dénoncés de la plus habile des façons. Mais cette fois-ci l'émotion est à son comble : le pauvre indien est interrompu dans sa danse de la pluie par le cow-boy goustine qui s'exclame non sans une certaine folie : "Je vais te tuer...avec mon grand fusil!!!". La scène est terrible...poignante...cathartique même en la réexaminant attentivement. Non seulement l'indien n'a rien fait au cow-boy mais en plus on comprend assez vite que cette haine du cow-boy est sans fondement...après avoir descendu l'indien il ne cesse de hurler "ENCULE"!!! Cette manière viscérale de montrer à l'indien décédé qu'il désapprouve ses pratiques sexuelles et culturelles différentes des siennes nous renvoie à la notion d'ethnocentrisme..."Alors on fait moins sa maligne hein??? Enculé d'indien!!!" est la façon dont le cow-boy a d'interpréter comme de la provocation ce qui n'est qu'une coutume allant de soi pour l'indien : invoquer la pluie en dansant. Cet aveuglement, cette incompréhension et cette cruauté du cow-boy sont, par ailleurs, renforcés par l'immense fusil derrière lequel se tient ce dernier au moment de tuer l'indien : la taille de son arme est excessivement démesurée par rapport à la petite langouste qui se tient derrière, manière de dire que l'Amérique possède un pouvoir de nuisance et une force disproportionnée par rapport à la petite conscience haineuse qui se situe derrière elle...c'est glaçant! La dimension satirique de cet épisode transparaît de plus belle lorsque le cow-boy goustine s'exclame "maintenant je vais me doucher"...manière de rappeler le puritanisme hypocrite des américains qui estiment devoir se "laver" de leurs péchés après les avoir accomplis en espérant que cela "nettoie" la souillure de leur âme.


Mais pour le spectateur impartial que nous sommes cela ne fait aucun doute...Jean Goustine ne pourra accéder la rédemption... ni en saccageant sa planète et en fuyant sa responsabilité, ni en détruisant celui qui exprime une culture et une altérité qu'il ne comprend pas. Ce n'est pas une petite "connerie" de deux minutes mais un véritable chef d'œuvre qui en très peu de temps condense énormément de choses qui donnent à penser et font passer un message autant moralisateur qu'humaniste.


Intemporel tout simplement.


L'épisode 1 : https://www.youtube.com/watch?v=8C0RljFPArI


L'épisode 2 : https://www.youtube.com/watch?v=ew6WGS7poJU

Venomesque
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le 14 févr. 2022

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