Zombillénium

En ce mardi 16 janvier, comme beaucoup, j’ai appris la mort de Dolores O’Riordan. Et comme beaucoup, j’ai eu en tête sa voix profonde et puissante dans Zombie, le grand hit de son groupe The Cranberries.

Une occasion, en forme d’hommage, pour s’intéresser à ce morceau apparu sur l'album No Need to Argue en 1994 qui parle, selon Dolores O'Riordan, de « the Irish fight for independence that seems to last forever ». A l’image de Yeats, Heaney et U2, le groupe affirme avoir écrit ce morceau pour être une « song for peace, peace among England and Ireland » (Songfacts).

Cette chanson se situe dans un contexte historique lourd et sanglant, qui peut aujourd’hui sembler bien lointain pour les plus jeunes. La chanson a été écrite durant la tournée anglaise Cranberries' English Tour en 1993, suite aux attentats de Warrington, le 20 mars de la même année, perpétrés par l'Armée républicaine irlandaise provisoire (IRA), qui revendique l'indépendance de l'Irlande du Nord depuis les années 1960. Deux morts (Jonathan Ball, trois ans, et Tim Parry, douze ans) et quatre-vingt-seize blessés sont à déplorer. L’événement marque profondément l’opinion publique, ainsi que Dolores O’Riordan et son groupe.

« Je me rappelle qu’à ce moment-là, il y avait beaucoup de bombes qui explosaient à Londres, les troubles étaient violents. Ces bombes explosaient dans n’importe quels endroits, ça aurait pu tomber sur n’importe qui. » Dolores O’Riordan en 2008 (Propos retranscrits par Ouest France)

Zombie peut être pris comme une chanson sur les guerres en général et sur les populations qui en subissent les funestes conséquences. Sauf que la chanson se situe dans un contexte et géographique très précis, comme le souligne la chanteuse dès le
le second couplet  : « It’s the same old theme / Since nineteen-sixteen ».

Dolores O’Riordan y fait référence à l’insurrection de Pâques 1916, parfois appelées les « Pâques sanglantes », un chapitre marquant de l’histoire irlandaise. Des membres de l’Irish Citizen Army et de l’Irish Volunteers Force prirent d’assaut des bâtiments stratégique de Dublin, puis ont déclaré la création de la République Irlandaise. Mais l’insurrection fut un échec, tant sur le plan militaire que sur le plan politique. Et la répression fut particulièrement sanglante. Au terme de six jours de combats, 400 morts (dont 318 civils) et 2 614 blessés (dont 2 217 civils) sont dénombrés.

Au-delà de son succès critique et commercial, le morceau a vécu une polémique inattendue. Bien qu’écrit en 1993, il n’est sorti qu’en 1994, année de signature du cessez-le-feu entre les deux camps. Le groupe a été accusé de mettre de l’huile sur le feu.

« Il est difficile de faire une chanson là-dessus, mais quand tu es jeune, tu ne réfléchis pas deux fois avant d’agir, tu te saisis de la chose et tu le fais. En devenant plus âgé, tu développes une certaine peur, tu appréhendes plus les choses. Mais quand tu es jeune, tu n’as peur de rien. » Dolores O’Riordan en 2008

Outre le fond, la forme de Zombie est aussi intéressante. Le morceau apparaît comme une incartade grunge dans une discographie plus portée sur les ballades pop.

« Nous étions très occupés à cette époque, on travaillait toute la journée. Cette chanson m’est venue quand nous étions à Limerick [sud-ouest de l’Irlande], je l’ai d’abord écrite en m’accompagnant simplement d’une guitare acoustique, tard le soir. Je me rappelle être dans mon appartement, trouver le refrain, qui était très accrocheur, qui sonnait comme un hymne. Je l’ai donc amené à une répétition, et j’ai pris la guitare électrique. J’ai enclenché la distorsion, et j’ai dit à Ferg [Fergal Lawler, batteur du groupe] : « Peut-être que tu pourrais battre le rythme très fort… » Même en étant écrite en acoustique, cette chanson est devenue un gros rock. » Dolores O’Riordan dans le magazine Team Rock

Si cette chanson a marqué les esprits, c’est aussi grâce aux images de son clip, sorti en 1995 et réalisée par Samuel Bayer. La vidéo met en parallèle des images documentaires de soldats britanniques en patrouille en Irlande du Nord et des séquences plus iconiques, avec une Dolores O'Riordan couverte de peinture dorée et entourée d'enfants. Cette scène rappelant le martyre de saint Sébastien.

Je reprendrais pour conclure la formule très juste de Stéphane Davet, dans Le Monde : « Baigné de guitares saturées, son chant de Madone gaélique, alternant notes cristallines, yodels et rugissements rauques, avait incarné, en 1994, la douleur et l’indignation suscitées par les victimes du conflit nord-irlandais, dans une chanson, Zombie, devenue un tube planétaire, transformant au passage son groupe, The Cranberries, en l’une des formations pop rock les plus populaires des années 1990. »

---- Les paroles

Another head hangs lowly

Child is slowly taken

And the violence caused such silence

Who are we mistaken

But you see it's not me

It's not my family

In your head, in your

Head they are fighting

With their tanks and their bombs

And their bombs and their guns

In your head,

In your head they are cryin'

In your head, in your head

Zombie, zombie, zombie

Hey, hey

What's in your head, in your head

Zombie, zombie, zombie

Another mother's breakin'

Heart is taking over

When the violence causes silence

We must be mistaken

It's the same old theme since nineteen-sixteen

In your head,

In your head they're still fightin'

With their tanks and their bombs

And their bombs and their guns

In your head, in your head they are dyin'

In your head, in your head

Zombie, zombie, zombie

Hey, hey

What's in your head, in your head

Zombie, zombie, zombie

---- Les sources

Songfacts

Wikipédia

Ouest France

RTL

Le Monde