“Que l’importance soit dans ton regard, non dans la chose regardée !”

Citation d'André Gide


Il est devenu normal pour les critiques, et souvent à raison, de mépriser les chansons populaires françaises (on pourrait faire la même remarque au cinéma). Que ce soit le Rap qui est passé de musique populaire (des pauvres) ou on y dénonce les inégalités à musiques populaires (écoutées par tous) qui expose richesse et luxure dans un faux clash contre une personne imaginaire (voilà une personne avec qui je suis globalement d'accord) ou la pop qui se résume souvent à un amour superficiel et aux petits traca de leurs vies d'élites.
Bénabar ne fait pas parti de cette pitoyable minorité bruyante. C'est un chanteur qui toujours su, avec une grande éloquence, parler des détails du quotidien, souvent avec humour et autodérision comme dans les râteaux ou la berceuse. Parfois avec tristesse comme dans Je suis de celles. Surtout que ces émotions que le chanteur nous transmet avec brio ne sont jamais exagérées, Bénabar ne fait finalement que nous transmettre un message parfumé de vécu et d'amour pour la musique. Certains le trouvent ridicule, moi j'y vois l'une des manières les plus humbles, touchantes et respectables de pratiquer son art.


On retrouve également cette approche dans Le Regard, dixième chanson de son album "Inspiré de faits réels", son album ayant fait les pires ventes. Bénabar ne va en aucun cas se positionner comme un connaisseur, un pro de l'amour mais comme un spectateur impuissant, qui essaie de mettre des mots sur une chose qui l'échappe, dont il est impuissant, une chose qui le remplit d'émotion presque contradictoire qu'il essaie ici de nous décrire.
Une autre chose fréquente de l'écriture de Bénabar est de se concentrer sur un détail infime, presque négligeable quand on y pense. pour poser sa base pour une explication voir une dénonciation beaucoup plus gros. On peut dire qu'avec Le Regard Bénabar frappe fort, car souvent quand on parle d'amour on pense souvent à décrire son comportement, ses dires son sourire voir ses formes. Lui, dans un monde ou la sexualité est de plus en plus mise en avant et les grands gestes d'amour son acclamés par tous dans a culture. Il va chercher une chose aussi insignifiante que le regard. Insignifiante? peut être pas tant que ça, après tout comme dit un vieux proverbe: "Les yeux sont le miroir de l'âme." Au delà de tous gestes d'amour, de tous artifices (maquillages ect...) pour chercher une preuve d'amour il faut aller chercher les sentiments d'amour et comme nous le montre si bien Ryan Gosling, c'est bien notre regard et non notre bouche qui exprime au mieux nos pensées, nos yeux que nous ne pouvons contrôler, juste les cacher sous une infime couche de peau appelée paupière. Nos Yeux exprime ce que l'on pense réellement, et c'est donc là qu'il est logique de trouver nos émotions les plus profondes et sincères. On retrouve cette idée que le regard remplace le actes avec "du bout des yeux elles murmurent" "C'est ainsi qu'elles nous font [...] Leur déclaration" ou il remplace la gestuelle et les paroles par ce que ce regard lui fait ressentir.


Si les paroles sont des bijoux de la langue française, il ne faut pas oublier la musique derrière qui est assez révélatrice. On retrouve en effet une mélodie finalement assez simpliste, un violon et un piano. Le violon le temps qui passe, inarrêtable, toujours à la même vitesse et le piano l'amour qui a ses hauts et ses bas. On remarque aussi, dès les 3 premières notes que Bénabar ne voit pas non plus ce regard d'un très bon œil car témoin de son vieillissement, du temps qui passe et de son amour aussi, il nous propose une approche nostalgique, presque mélancolique de la chose.


Car certes on parle d'amour et dans sa forme la plus pure mais on reste avec Bénabar qui n'est pas du genre à se contenter de dire "l'amour c'est bien". Il fait donc de se regard le témoin d'une époque ou il était jeune, ou l'amour qu'il ressentait était beaucoup plus intense. Et là, presque surprenant que cela puissent paraître il revoit se regard, et c'est comme ça que commence la chanson.


Mais lorsqu'elles nous adressent
Sans le vouloir d'ailleurs
Ce regard qui transperce
On en sait la valeur
Parce qu'il leur échappe
Parle de lui-même
Et parce qu'il ne frappe
Que celui qu'elles aiment

Le refrain, que l'on entendra que deux fois, l'une au début l'autre à la fin. On retrouve ici l'idée du regard plus puissant que les mots, quelques chose qu'on ne peut pas maîtriser. Mais il le dit d'un terme presque incrédule. Le "On en sait la valeur" sonne presque faux, en désaccord avec la voix du Chanteur. Il ne croit plus à ce regard depuis qu'il s'enlise dans sa routine, depuis qu'il vieillit.


On l'avait déjà vu,
Ce regard qu'on convoite
Souvent au début
Nettement moins par la suite
Il s'était fait rare,
C'est sûrement de notre faute
Et on ne veut pas le savoir
S'il fut donné à un autre

Bénabar plonge maintenant dans la nostalgie, il critique encore une fois ce qu'il est devenu. Remettant ce regard en question, disant même qu'il peut être donné à un autre. Que maintenant leur relation n'est plus sincère presque inutile, il dit lui même qu'il ne convoite plus cet amour avant si cher à ses yeux.


Célébrons son retour
Il ne fait que passer
Raison de plus alors
Pour en profiter
L'œil est un dépotoir,
On voit tellement d'saleté
Quand on reçoit ce regard
Que les yeux soient loués

Cette nostalgie va le pousser à repenser à ses bons moments, qu'il célèbre et qu'il a envie de célébrer. En espérant que ce regard aussi il pourra le célébrer. Il va ensuite comparer ce regard à ce qu'il vit actuellement, trouvant sale et morne sa vie actuel, par les embrouilles et le temps qui passent. la seule chose qui le motive encore c'est ce regard, allant même à le comparer à la foi qu'il éprouverait pour un dieu.


Parce qu'on le voit moins
Parce que les couples s'installent
Faut dire qu'on est loin
D'être l'homme idéal
L'espace d'un instant,
C'est ainsi qu'elles nous font
Dans l'espace en suspens
Leur déclaration

A qui la faute de son malheur ? La routine ? la vieillesse ? nan c'est de sa faute à lui qui a délaissé son amour pour ses anciens rêves de jeunes, refusant de vieillir. Mais tout n'est pas perdu, car par ce regard elle lui donne une nouvelle chance, il peut y croire, il doit y croire.


Et du bout des yeux
Elles murmurent que même si
Elles méritaient mieux
C'est nous qu'elles ont choisis
Malgré c'qu'on est devenus
L'usure et tout ça
Et les malentendus
Elles ne regrettent pas leur choix

Il comprend tout que même si il l'a abandonné elle espère toujours de revoir l'homme qu'elle l'aime et qu'elle l'aimera toujours vieillir avec elle, malgré les disputes malgré le temps qui passe


C'est même le contraire
Elles t'aiment, c'est comme ça
D'un battement de paupière
Pour une fois, tu la crois
C'est la pure vérité
Comme deux et deux font quatre
Nature et spontanée
Comme on bâille au théâtre

Son amour est plus fort que le temps qui l'a forgé, ça sonne maintenant comme une évidence, comme deux et deux ferait quatre. Pour finir, il utilise le terme "bâiller" car prémisse du sommeil, de la mort, symbole ici du vieillissement que notre héros accepte.


Maintenant c'est d'une voix sûr qu'il clame haut et fort ce refrain qui le fait renaître, c'est même d'une voix satisfaite qu'il s'essouffle dans les derniers vers.



Mais lorsqu'elles nous adressent Sans le vouloir d'ailleurs Ce regard
qui transperce On en sait la valeur Parce qu'il leur échappe Parle de
lui-même Et parce qu'il ne frappe Que celui qu'elles aiment



Est-ce que Bénabar vient d'affirmer que l'amour est plus fort que tout, que c'est la plus belle chose au monde? Non, il vient d'affirmer qu'un simple regard d'amour pur et sincère, est capable de nous faire accepter cette chose inacceptable qu'est le temps. Qu'à défaut d'être invincible il demeure éternel. Et ça c'est du génie, de la poésie génialissime offrant l'un des plus beaux sentiments. Et ça c'est Bénabar l'un des plus grands poètes du nouveau millénaire.



Avec "Le regard" Bénabar nous livre sans nul doute sa plus grande et personnelle chanson. Aucuns artifices, aucuns mensonges, aucunes exagérations. Juste le talent pur et dur d'un homme heureux.


Lordlyonor
10
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le 9 juin 2020

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Lordlyonor

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