Romuald

Quand je me gratte la tête, je pense que la goutte d’eau, le putain de suppositoire, c’est l’arrivée inopinée d’un Président de la République friand de cordons bleus sur les airs d’autoroute, un qui devrait mettre un peu d’autotune dans sa gorge, Oedipien en diable, le genre qui supporte les arabes dans son premier cercle quand ils sont gays ou s’ils s’appellent Alexandre, un type pas méchant-méchant mais définitivement con-con.
Du coup j’avais décidé de quitter la civilisation.

J’en pouvais plus de l’oxygène, du ciel et des oiseaux. J’en avais ma claque de tout le tralala, du pas cadencé, de danser la chenille, de bosser en Amazonie, il fallait que je marque une pause.

J’ai remis la main sur ma liste de souhaits, celle que j’avais faite quand j’étais un p’tit mort. C’était pas un classement, un truc de môme plutôt, un pense-bête, une liste de courses de la vie, pour pas oublier.
Avant les pièges à loup.

En 1 j’avais marqué : à un moment de mon existence, retourner sur la Lune (y’a pas!) et y rester pour de bon.
En 2, manger au McDo tous les jours.
En 3, apprendre à écrire en lettres capitales et, ce, en pissant.
En 4, avoir la même coupe de veuch que Mel Gibson dans L’Arme Fatale.
En 5, apprendre à danser en souriant, comme les Whispers quand ils chantent "And The Beat Goes On".
En 6, m’acheter une veste en velours bronze, un marron d'après mitraillette sauce andalouse et cultiver mon casque capillaire pour être trop beau à l’âge adulte, malgré un héritage génétique de bas-étage.
En 7, parler au Vieux, là-haut sur son cumulonimbus, qui, un beau jour, tiens-le toi pour dit, fera l’état des lieux, comme Don Camillo.
En 8, m’acheter des santiags en peau de Ray Liotta.
En 9, si ça existe pas, les faire faire.
En 10, devenir Belge pour pouvoir être roi.
En 11, arrêter de faire caca, comme Elvis Presley.
En 12, du coup, exploser comme Elvis Presley.
En 13, demander à Fred Astaire s’il veut pas m’apprendre quelques passes.
En 14, essayer de pas me moquer, rapport à son visage qu’est quand même rigolo.
En 15, avoir la moustache car les nanas, elles adorent. Ça les chatouille.
En 16, un jour, écrire l’histoire vraie d’AbdelOuarid Belkacem, mon illustre ancêtre, le premier et seul cow-boy kabyle connu pour avoir été l’inventeur du derrick de pétrole. Arrêté et pendu pour avoir utilisée sa bistouquette comme sonde.
En 17, me faire pousser une paire de couilles, en cas de problème.
En 18, apprendre à courir en arrière super vite.
En 19, apprendre comment on dit « je t’aime » en kabyle.
En 20, me faire tatouer à la base du cou « Rillettes Power ».

A part, le casque capillaire du 6, j’avais tout fait.
Ça m’a fichu un coup. Surtout qu’ici, sur la Lune on sait tout des nouveautés terrestres. On a un peu de retard bien sûr, mais bien moins qu’entre la France et la Belgique.
J’étais là, pépère, sur mon satellite et il y a cette pub turque, pas très catholique donc, sur mon tube cathodique qui disait, en substance, que si tu viens à Istanbul, on te colle tes poils de fion sur la caboche; comme ça, de nouveau tu es présentable.

Je me suis dit « Romuald – ouais, en ce moment, quand je me parle à moi-même, je m’appelle Romuald, t’occupes –, il te suffit de faire un bond au pays des c cédille à tire-larigot, de trouver un kebab qui fait aussi clinique, de régler une bonne fois pour toute cette histoire de cheveux à laquelle tu tenais tant enfant, et que le Tout-Puissant, ce Petit Chenapan, sous prétexte que tu L’appelles « Frérot » ou « Ma Couille » s’est ingénié à rayer de ton crâne alors que ta trentaine terrestre s’annonçait, cet horizon devenu morne soudain, l’infertilité capillaire, ces restes trop fins pour survivre à cette pollution décidément aveugle. Va Romuald, petit papillon chauve, va retrouver ta prestance d’antan et l’indécence de ta nouvelle chevelure en poils de cul. »

En quittant Istanbul, moi et ma nouvelle coupe de bogosse bien qu’un brin odorante, on s’est arrêtés comme stoppés par un mur invisible, la stupeur.
Mais si j’ai mis une putain de croix devant tous les points de ma liste d’enfant, si déjà j’ai tout accompli alors qu’il me reste tout ce temps, c’est trop con.
Il faut que je fasse une nouvelle liste !!!

Du coup, j’ai décidé de revenir.

La bise.