Pour Sacha, la fin de l’adolescence résonne comme une suite de mots, en apparence dépourvue de sens concret. Tout commence dans une station balnéaire paisible, où la foule anonyme vient prendre les eaux de la Mer Noire, et s’achève dans un amphithéâtre poussiéreux dont les zones obscures abritent des mondes mystérieux en gestation. Entre les deux termes de ce parcours initiatique, la jeune femme doit accomplir une mue douloureuse, guidée par un tuteur omnipotent et omniscient, sous la férule de professeurs dont l’enseignement cryptique cache une réalité ésotérique échappant au commun des mortels.



« Vita nostra brevis est, brevi finietur. »



Récit d’apprentissage, voire de transformation, mâtiné de fantastique, Vita Nostra s’annonce comme le premier opus du triptyque des « Métamorphoses » initié par le couple Diatchenko, dont les éditions de l’Atalante nous promettaient la parution du deuxième volet pendant l’année 2020, du moins avant l’irruption de la covid-19 dans notre quotidien. La quatrième de couverture évoque la « saga d’Harry Potter » et le roman Les Magiciens de Lev Grossman, histoire d’aguicher l’éventuel lecteur. N’ayant lu ni l’un ni l’autre, je ne m’aventurerai pas à confirmer ou contester la validité du parallèle. Confirmons pas contre sans ambages tout le bien exprimé ici ou là sur la blogosphère pour ce roman littéralement bouleversant pour lequel l’intérêt croît à mesure que progresse l’apprentissage de son personnage principal.


Marina et Sergueï Diatchenko proposent une intrigue faussement linéaire, convoquant les ressorts classiques du récit d’apprentissage. On s’attache en effet à l’itinéraire d’Alexandra Samokhina, une jeune fille banale se destinant à des études supérieures dans un institut universitaire de philosophie. Mais, sa route croise celle d’un mystérieux inconnu, vêtu de noir, au regard caché par une paire de lunettes de soleil. Titillée par l’aiguillon d’une peur irrationnelle, elle tombe sous sa coupe, acceptant de rejoindre l’institut des technologies spéciales où il l’a inscrite d’autorité. À partir de cet instant, son destin est scellé et rien ne pourra plus venir interférer dans le processus commencé au bord de la rue Qui-mène-à-la-mer. Sacha va se révéler à elle-même et découvrir la réalité du monde, tel qu’il est en Vérité.


En lisant ces quelques lignes, d’aucuns pourraient juger Vita Nostra guère original. Bien au contraire, l’univers imaginé par le couple Diatchenko est beaucoup plus complexe et angoissant que ne le laisse supposer ses apparences. Au-delà de l’aspect répétitif et absurde des exercices, au-delà du côté coercitif de l’éducation dans les murs de l’Institut, au-delà de l’incompréhension intrinsèque suscitée par un enseignement considéré comme abscons, les épreuves subies par Sacha et ses condisciples nous plongent dans les affres de la crise de l’adolescence, comme on l’appelle pudiquement dans nos contrées. À bien des égards, une période périlleuse du point de vue physiologique comme psychologique, où l’enfant opère une transformation qu’il convoite mais qui également l’effraie car elle ne tolère aucun retour en arrière. Sur ce point, Vita Nostra n’usurpe pas le qualificatif de roman d’apprentissage. Mais, jamais éducation n’a été plus éprouvante, plus viscérale que celle décrite par Marina et Sergueï Diatchenko. Le couple nous fait littéralement vivre de l’intérieur la mue de Sacha pendant ses trois années d’études. Une métamorphose violente, traversée d’émotions excessives, de pulsions créatrices ou destructrices et d’expériences transgressives, au terme de laquelle la jeune adulte pourra se réaliser et trouver enfin sa place dans le monde, se projeter vers l’avenir, libérée de ses peurs. Ou pas.


Roman à l’atmosphère fantastique indéniable, Vita Nostra propose également une vision du monde singulière, débarrassée des artifices de la poudre de merlin-pinpin de la plupart des romans de fantasy. Une vision fondée sur une véritable réflexion philosophique, empruntant ses motifs à l’allégorie de la caverne de Platon, mais nous renvoyant aussi à la faculté démiurgique de l’écrivain, cet inconnu capable de mettre en mots des mondes entiers afin de nous transformer durablement. Ce créateur apte à projeter sur le papier un reflet du monde.


Vita Nostra est donc un roman fascinant qui ne se contente pas de nous bousculer dans notre zone de confort. Bien au contraire, sous couvert d’un roman initiatique travesti en fantasy, il nous renvoie une image complexe et anxiogène de l’adolescence, cette période interlope riche en potentiel et pourtant frappée du sceau de l’incertitude et du mal être. J’avoue maintenant attendre avec grande impatience le deuxième volet de ces « Métamorphoses ».


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leleul
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le 11 juin 2020

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