Via Mala
8.1
Via Mala

livre de John Knittel ()

John Knittel décrit merveilleusement la montagne, ses pics enneigés, ses forêts sombres et humides au sol couvert de mousse d'une épaisseur de plusieurs centimètres, ses torrents tumultueux, le fracas de ses cascades assourdissantes que les habitants de la scierie Lauretz n'entendent même plus. L'austérité de la Via Mala, la brutalité du père, la crainte des siens... Knittel se révèle un maître qui me fait penser à Giono et à son immense talent de conteur. Knittel me fait vivre l'âpre montagne comme Giono me plonge dans sa Provence natale. La montagne de Ramuz n'est également pas bien loin.

C'est dans cette atmosphère tout à la fois pesante, oppressante et envoutante que survivent Niclaus, Anna, Sylvélie, Mannli et leur mère. Lauretz, le père vit dans la vallée, dans une maisonnette où il a installé sa maitresse et leurs deux enfants. Il ne monte à Yeff que pour surveiller et tyranniser sa famille. « Ca ne pourra durer toujours ainsi » est le leitmotiv qui revient sans cesse sur leurs lèvres. Mais on sent que cette petite phrase est une ritournelle qui a déjà bien vécu et pourrait encore durer longtemps, tant leur terreur est grande. Mais le destin sait parfois se montrer accommodant : La conduite adultère de Jonas Lauretz, son ivrognerie, ses blasphèmes finissent par exaspérer les autorités qui le condamnent à quatre mois de prison. Sa famille goûte alors pour la première fois à la liberté.

Et effectivement, cela n'a pas duré. Après un nouveau coup particulièrement mauvais, les deux aînés ont décidé de réagir et d'éliminer le problème. Eliminer le "vieux" comme ils l'appellent. Mais tuer est dur et malgré leur détermination, leurs mains tremblent. L'assassinat est sordide et l'agonie du père est terrible : à l'approche de la mort, la peur le rattrape et il cherche en vain du secours. La première partie du livre s'achève avec la tyrannie paternelle.

La seconde s'ouvre sur la ville de Lanzberg où Sylvélie s'est enfuit après avoir appris la terrible vérité commise en son absence. Elle travaille dans une brasserie et est courtisée par Andi, fils du riche châtelain local. Le jeune homme est atypique et n'a rien du comportement hautain que pourrait lui donner son argent. Au contraire, il n'aime pas l'argent (peut-être justement parce qu'il n'en manque pas). Le ton est bien plus léger, parfois même badin. Il y a enfin un peu de soleil, un peu de douceur, un peu d'amour. Ca permet de souffler. Un répit bref car le hasard veut que le dossier judiciaire ouvert à la disparition de Jonas Lauretz atterrisse dans les mains d'Andi. En sa qualité de principal juge d'instruction de Lanzberg, il doit vérifier les dossiers du juge Bonatch qui vient de mourir brusquement.

La troisième partie renoue avec les ténèbres. Andi mène l'enquête afin de découvrir que sa femme et sa famille persistent à lui cacher. Il aime sa femme mais aime aussi la vérité, la justice et croit profondément en les lis de son pays dont il s'estime le garant. Le lecteur se demande sérieusement laquelle de sa passion sera la plus forte et écrasera l'autre. On aimerait que le livre s'achève sur un happy end, mais Knittel est tout à fait capable de sacrifier ses personnages à la fin qu'il aura choisi. Pour les Lauretz, la peur et les tourments reviennent.

L'écriture est très classique, les phrases souvent longues pour un style la plupart du temps narratif. Mais Knittel sait varier les plaisirs et alterne avec quelques dialogues et un compte-rendu de justice : celui de l'interrogatoire de Sylvélie par le juge Bonatch. Ces ruptures sont très agréables et donne du rythme à l'ensemble. Je regrette néanmoins que certains personnages soient un peu trop caricaturaux : Sylvélie incarne la perfection de la première à la dernière phrase, son bourreau de père le mal et Andi la justice. Andi, néanmoins évolue au fil des chapitres : le choix cornélien qu'il doit faire lui permet de gagner en maturité.

Un très beau livre qui reste pour moi l'un de mes coups de cœur.
BibliOrnitho
10
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le 25 juin 2012

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