"Je sais, vous m'avez demandé de parler des femmes et du roman. Quel rapport, allez-vous me dire, existe-t-il entre ce sujet et une chambre à soi?"


C'est ce que Virginia Woolf tente de démontrer dans ce délicieux essai pamphlétaire, teinté de fiction, qui s'appuie sur différentes conférences qu'elle a données en 1928 dans deux collèges de Cambridge réservés aux jeunes filles. S'il a été écrit en 1929, il trouve toujours une grande résonance aujourd'hui et sa lecture procure un très grand plaisir.


Pour discuter de la place des femmes dans la littérature, l'auteur tente de recenser et d'expliquer ce qui a limité pour les femmes l'accès à l'écriture, notamment les contraintes liées au mariage, à la charge des enfants et du ménage ne laissant pas aux femmes suffisamment de liberté pour écrire et exercer leur esprit. Virginia Woolf dégage ainsi deux conditions essentielles qui permettraient aux femmes d'écrire; ce qui d'après elle devrait devenir de plus en plus possible en 1928. Une femme peut donc écrire si elle dispose d'une chambre à soi fermée à clé pour éviter toute forme de dérangement, ainsi que de 500 livres de rente la mettant à l'abri des nécessités. C'est précisément le cas de l'auteur : Virginia Woolf dispose bien d'une chambre à soi et d'une rente qu'elle a hérité d'une tante.


Un essai à lire pour tous ceux qui s'intéressent à la cause féministe, ou à l'histoire de la pensée et de la littérature, ou tout simplement pour les inconditionnels de Virginia Woolf. On pourrait penser qu'ayant été écrit en 1928, sa lecture n'a qu'un intérêt historique. En effet, certains faits relatés font aujourd'hui partie de l'histoire : les femmes sont désormais responsables et peuvent gérer seules leur argent. Mais cet essai trouve tout de même une forte résonance aujourd'hui, certaines assertions sont malheureusement toujours vraies. Ce qui fait également la force de cet essai c'est que Virginia Woolf est visionnaire et prédit certaines évolutions.


Le tout dans un mélange de poésie et d'humour absolument décapant. Poésie car Virginia Woolf prend la liberté de faire des descriptions de la ville, de l'université tout à fait féerique créant dans l'esprit du lecteur des images magnifiques qui font presque oublier que l'on est en train de lire un essai et on a tout le loisir d'admirer la virtuosité de l'écriture de l'auteur. Humour car Virginia Woolf s'irrite contre ses hommes qui écrivent sur les femmes prétendant les connaître, citant des absurdités qui ne manquent pas de nous faire rire et décrit avec plein d'auto dérision comment elle gribouille sur les cartes de rangement de la bibliothèque ou comment elle n'arrive pas à écrire sur les femmes et le roman.


Si certains constats sont pessimistes, Woolf donne cependant des conseils pleins d'espoir pour les jeunes femmes se destinant à l'écriture, en analysant aussi le travail de l'écrivain et en présentant la chambre à soi comme l'espace secret et de liberté que toute femme doit se préserver pour pouvoir exercer son esprit loin des contingences masculines.


Un livre délicieux à lire absolument.

AugustineSaint-Paul
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le 17 oct. 2016

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