Underground
7.4
Underground

livre de Haruki Murakami (1997)

D'abord, je n'ai pas lu 1q84. J'ai juste acheté ce livre, ayant vaguement le souvenir d'avoir entendu le nom de Murakami. Encore un livre pour ainsi dire ouvert au hasard.
La première impression a été celle d'un léger malaise. Le livre traite d'un sujet grave, celui des attentats de Tokyo, le 20 mars 1995. Ce jour là, des membres de la secte Aum Shinrikyo percent des poches remplies de gaz sarin dans plusieurs rames du métro Tokyoïte. Pour information, le gaz sarin est un gaz toxique, utilisé comme arme chimique, dont la production et la conservation sont interdites depuis 1993. Une vraie saleté donc.

À l'époque où Murakami décide de se lancer dans la rédaction de cet ouvrage, un recueil d'interviews de nombreux des acteurs du drame, les médias japonais on copieusement couvert les événements du métro de Tokyo. Dire que je connais le Murakami romancier serait beaucoup dire puisque je n'ai lu qu' "Underground". Mais je trouve le traitement admirable.

D'abord, Murakami prend la méthode des médias à rebrousse-poil. Les médias se doivent de relater les faits, de condenser l'information, de filtrer les parasites pour extraire la quintessence d'un événement. Combien de fois avons nous lu le nombre de victimes d'une catastrophe, résumé à un chiffre laconique? À ce titre, les chiffres peuvent sembler presque minimes, face aux attentats du 11 septembre par exemple, mais tout l'intérêt du livre, à mon sens, est de parvenir à nous faire saisir qu'on ne peut pas formuler de "classement dans l'horreur".

"Underground" multiplie les points de vue sur une même scène, qui sera décrite dans plusieurs interviews, nous permettant de comprendre à quel point de si nombreux acteurs sont pris dans la même tourmente. Le métro est le lieu où l'ont ressent le mieux cette impression de faire partie d'une immense ruche. C'est la force de l'habitude qui vous pousse, avec des milliers de gens comme vous, à vous insérer dans la société. Et Murakami insiste sur cette multiplicité. Cet aspect permet au lecteur de comprendre le rapport entre l'unicité de chacun et la masse anonyme. Tous sont plongés dans ces moments effroyables où la sécurité du quotidien vole en éclat, mais au final, chaque individu est confiné dans une impressionnante solitude lorsqu'il s'agit de survie. Je trouve cette idée géniale, alors que Murakami se montre particulièrement discret lors des interviews. Il sait qu'il n'a pas grand chose à dire sur le sujet, et en tant qu'auteur qui cherche à comprendre, il fait preuve d'un minimalisme élégant.

Cette multiplicité des points de vue, on la retrouve sur plusieurs échelles, d'abord, de nombreux des usagers du métro ont l'occasion de s'exprimer, mais l'analyse va plus loin. Les médecins de service ce jour là, les proches des victimes, et même des membres de la secte ont l'occasion de s'exprimer. C'est intéressant dans le sens où cela montre une vraie volonté de compréhension de la part de Murakami. Il a l'intelligence de critiquer le manichéisme qu'on supporté les médias classiques en partageant la société japonaise en "nous" et "eux". "Eux" étant les membres de la secte. Alors que ces deux parties de la société sont pourtant presque identiques. Qu'est ce qui pousse ces individus, pourtant issus de la société japonaise, à s'attaquer à des membres innocents de celle-ci avec une telle violence? Où la transformation entre "nous" et "eux" a-t-elle eu lieu?

Est-il, finalement, possible de critiquer ce livre? Que peut-on dire? Peut-on critiquer le style, naturellement aride puisque c'est simplement une multitude de voix racontant ce qui leur est arrivé? Peut-on vraiment s'étonner que les utilisateurs du métro de Tokyo ne prennent pas la peine de nous décrire à quoi il ressemble? Voilà pourquoi ma note n'est pas de 10. Ce n'est pas forcément un livre confortable. Non pas que le style soit volontairement larmoyant, non. Je pense d'ailleurs que les japonais ne sont pas du genre à s'apitoyer sur leur sort de toute manière, mais le ton général du livre est assez pur, il relate simplement les événements sans injecter de pathos pour grossir les effets. Le ton m'a rappelé celui d'Alexandre Soljenitsyne dans cette volonté de décrire une réalité d'une grande dureté, sans tenter à tout prix de faire pleurer le lecteur.

Il est important de souligner que la traduction a été faite par Dominique Letellier, ce que je tenais à mentionner car le livre contient de très nombreuses notes de traduction qui contiennent des informations sur ce qui s'est passé après la publication du texte original. Ces notes de traductions indiquent les ouvrages évoqués dans le livre mais non traduits et donnent des informations complémentaires sur les personnages et les événements ainsi que des liens pour en savoir plus. Ce travail de traduction impressionnant nous permet de bénéficier d'une version française enrichie par rapport à l'oeuvre de base, et je tenais à en parler.
Vetii
8
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Créée

le 21 août 2014

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