Il est de ces coïncidences que seuls les lecteurs assidus peuvent parfois savourer et celle dont je parle ici consiste à avoir lu "Un pays à l'aube" alors qu'en parallèle, dans le monde réel, se déroulait en France la "crise" dite des gilets jaunes. Sachant qu'en outre, l'action du bouquin débute il y a exactement cent ans de ça, à l'automne 2018 donc. Bon, comme disait Sarko (comme il me semble loin dans le passé, celui-là), faut pas se mentir, et Boston n'est pas Paris et certaines choses ont changé en un siècle.


Oui, d'accord. Mais dans "Un pays à l'aube", il est tout de même question d'injustices sociales, de répression et de violence policière, de misère, d'émeutes sauvagement réprimées, des conditions de travail dans la police, de politiciens pas très francs du collier, de grèves, de terrorisme, de syndicats et de revendications liées au pouvoir d'achat. Ca fait quand beaucoup de points communs avec ce que l'on observe en France depuis quelques semaines. Avec en plus le racisme bien sûr, mais qui là est pour le coup abordé sous un angle typiquement étasunien, difficilement transposable. Attention, le racisme existe en France, mais la condition des noirs aux Etats-Unis, c'est quand même quelque chose d'unique en son genre. Et il est aussi question dans ce bouquin de la condition des femmes, pour laquelle, même si on est encore très loin d'être au top, on ne peut que se réjouir que les choses aient évolué plutôt favorablement en cent ans.


Bref, vous l'aurez compris, il s'agit d'une grande fresque sociale, qui s'étale sur un peu plus d'une année et trouve sa source dans des faits historiques (la grève de la police de Boston en 1919). Centrée autour de deux personnages masculins, un flic blanc et un ouvrier noir. Qui vont connaître au cours de cette période de curieux retournements de destin. Et dont les femmes vont jouer un rôle très important. Et apparaît parfois dans la narration, tel un chœur de tragédie grecque, le joueur de base-ball Babe Ruth, témoin jouisseur et désabusé d'événements qui le dépassent mais dont il perçoit par moment les tenants et aboutissants depuis sa position sociale, plutôt privilégiée, et qui ne sera jamais remise en cause.


Tout cela fait d'"Un pays à l'aube" un très bon roman, plus historique que policier à vrai dire. C'est aussi un très long roman (près de mille pages), mais Lehane parvient à maintenir un rythme soutenu et à éviter l'écueil des longueurs, que l'on trouve parfois dans des pavés de cette taille. Au bémol de près des parties de base-ball, très détaillées et de fait indigestes pour la plupart des lecteurs européens. Et, pour boucler la boucle, c'est un bouquin qui s'avère en définitive d'une actualité assez criante...

Marcus31
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le 20 déc. 2018

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