(critique datant de 2010)


/!\ WARNING : cet article traite d’événements historiques totalement intéressants qui augmenteront votre culture générale et votre babillage en société.


J’aime parler de ces livres que vous ouvrez un jour et que vous vous empressez de finir comme si votre vie en dépendait. Vous y penser en vous levant, vous y pensez en travaillant, vous y pensez en vous endormant, et vous êtes heureux de vous laisser happer par l’histoire de la première à la dernière ligne. Il y en a des poignées dans l’année, de vraies lectures coup de cœur comme ça. Et quand je pense à ce genre de livre, je pense à Un livre.


Lors de la rentrée littéraire de septembre 2010, et comme chaque année, il n’y en a que pour les mêmes livres et les mêmes auteurs. Citons en quelques-uns par exemple, Michel Houellebecq, Amélie Nothomb, Laurent Gaudé, et tant d’autres. Moi, naturellement, je suis toujours attirée par les auteurs dont personne ne parle, et qui pourtant le mériteraient. Et cette rentrée là mon regard s’est posé sur une très belle couverture d’un livre intitulé Un bucher sous la neige, chez Plon. Nous en avions trois exemplaires dans ma librairie, j’en ai attrapé un et j’ai parcourus rapidement la quatrième de couv’ des yeux. Ecosse, 17ème siècle, massacre du Clan MacDonald, sorcellerie… Hum ça m’intéresse ! Je l’ai laissé quelques semaines dans un coin histoire de faire mon devoir et de lire quelques uns des livres posés en piles branlantes sur la table avant de me faire enfin vraiment plaisir. Et ce fut encore un feu d’artifice, ce roman là.


Mais poussons un peu les présentations. Pour ce faire il faut vous cultiver un peu plus sur l’histoire de l’Écosse. Outre William Wallace, sa grande épée et sa jolie jupette, il s’est passé plein de trucs dans le beau pays des chardons en fleurs. A la fin du XVIIè siècle, un roi catholique régnait dans un pays majoritairement protestant. Il s’agissait du Roi Jacques VII d’Écosse, père de Mary, promise à un certain Guillaume III d’Orange, pour sa part protestant. Tout va bien dans le meilleur des mondes pour l’Écosse et l’Angleterre qui sont persuadés que par défaut le pays redeviendra protestant. C’était sans compter le fils de Jacques qui était à naître. Eh merde. Du coup, Guillaume débarque avec ses soldats anglais, fout une branlée à Jacques, qui se voit obligé de fuir pour survivre. Démarre ainsi une guerre intestine qui durera plus d’un siècle, où les jacobites (pro-Jacques) tenteront de remettre leur Roi sur le trône et feront tout pour destituer Guillaume. Il faut dire que les jacobites sont essentiellement composés de clans écossais des Highlands, majoritairement catholiques. Les écossais des Highlands étaient alliés aux Irlandais et aux Français dans cette lutte, c’est d’ailleurs pour ça que les Écossais nous aiment beaucoup, la France ayant toujours été la première à vouloir les aider à botter le train de ces crâneurs d’Anglais. (Fut même un temps où vous pouviez demander votre nationalité écossaise dans votre mairie, oui oui.) Et c’est dans cette situation que prend place Un bucher sous la neige…


Hiver 1692, Corrag attend d’être conduite au bucher. Le révérend Irlandais Charles Leslie, jacobite, vient lui rendre visite dans la noirceur de son cachot. Quelques jours plus tôt à eu lieu l’un des événements le plus tristement célèbre de l’histoire de l’Ecosse, le massacre du Clan Macdonald à Glencoe. C’est pour cette raison que Corrag, accusée d’avoir provoqué ces horreurs par sorcellerie, se retrouve à attendre la mort…


C’est un roman à deux voix. D’un côté, le récit quelque peu décousu et rustre de Corrag. D’un autre, les lettres que le révérend Leslie envoie à sa femme restée en Irlande pour lui apprendre comment avance son investigation sur le meurtre du clan allié des Macdonald. Pour lui, les sorcières ne méritent aucune considération. Il parle de Corrag comme d’un démon, d’un rebut de l’humanité et d’une chose fruste et dégoutante qui croupit dans la vermine. Pour Corrag, cet homme est le premier depuis le massacre à lui accorder une oreille attentive, et elle va nous conter son histoire, des débuts difficiles de sa vie à la tragédie qui a eu lieu plus tôt cet hiver.


Il est dur de vivre une vie normale lorsque l’on nait dans la peau de Corrag. Sa mère était aussi l’une de ces femmes que les hommes appelaient Sorcière. C’était une très belle femme, ensorcelante par sa beauté et son charisme, qui n’aimait que deux choses : sa fille et la liberté. Mais il est mal vu de vivre seule pour une femme dans un monde comme celui-ci, d’autant plus lorsque l’on est d’une beauté surnaturelle et que l’on aime un peu trop les hommes. Corrag, elle, ressemble à un oisillon maladif. Petite, la voix haut perchée, elle ressemble à une perpétuelle enfant, craintive et douce. Elle est la prunelle des yeux de sa mère, jusqu’à ce que le village dans lequel elle a toujours vécu lui donne la chasse, et que sa mère lui dise de fuir. La fille de sorcière va alors voyager par monts et par vaux, suivre le souffle du vent pour trouver l’endroit auquel elle appartient. Sa mère lui a donné le goût des plantes et les savoirs anciens. Elle est issue d’une lignée de guérisseuses, d’autres diraient qu’elle est née sorcière. Et un jour elle se retrouve à Glencoe. Et elle y trouve sa place, enfin.


Et puis arrive cette nuit terrible. Cette nuit ou une trentaine d’hommes, de femmes et d’enfants sont passés par le fil de l’épée de ceux qu’ils pensaient être leurs alliés. Les autres ont fuit vers les montagnes, dans une tempête de neige, et certains sont morts sous la glace, échappant à un destin horrible pour un autre tout aussi cruel.


Que dire, sinon que ce livre est une merveille. Le récit de Corrag est d’une poésie et d’une pureté rare. La manière dont elle décrit sa vie, avec les mots d’une enfant de rien, mais avec les yeux d’une amoureuse de la vie, donne envie de verser des larmes de bonheur.
J’ai visité Glencoe il y a trois ans. J’avais déjà lu un livre sur le sujet, il y a plusieurs années, et avec mes amies nous voulions voir le lieu d’un tournant de l’histoire du pays. Il y avait cette stèle érigée pour la mémoire des morts du massacre. Et l’endroit était si beau, si paisible. Des vallées verdoyantes des Highlands, des lacs brillants sous un pâle soleil, c’était un petit coin de paradis. Bon, un peu trop paumé pour une citadine comme moi, mais quand Corrag vous décrit chaque sentier et chaque courbe de la vallée, vous sentez le vent qui parcourt les bruyères et l’odeur des cheminées des maisons du Glen qui vous chatouille les narines. C’est juste magique. De la sorcellerie, en un sens.


C’est d’ailleurs aussi ce que ressent le révérend Leslie. Premier à condamner la sorcière, le voilà subjugué par l’histoire de cette femme-enfant. Il finit par voir la grâce sous la couche de crasse, et il ne peut finalement s’empêcher de s’attacher à cette femme, victime de l’intolérance et de la cruauté des hommes. Car c’est avant tout un récit de femme. Un récit de femme rejetée, honnie par les hommes, obligée de vivre seule à cause de sa différence. Et fioute que ce récit est BEAU.


J’admire, que dis-je, je loue la plume de Susan Fletcher, auteur de ce sublime roman. Et je n’ai qu’une chose à dire : encore ! On en veut encore !


Bon vous vous demandez tous si c’est bien Corrag qui a massacré les Macdonald. Alors cette histoire étant un fait historique avéré, je vais vous révéler ce qu’il s’est passé lors de cette soirée de février 1692 à Glencoe.


Il faut d’abord savoir que les Macdonald sont donc jacobites jusqu’au bout des ongles, et qu’en 1691, Guillaume exigeait de tous les clans des Highlands ayant participé aux batailles entre jacobites et protestants les années précédentes de venir prêter allégeance à leur souverain actuel en échange de son pardon, ceci avant le 1er janvier 1692.
Les MacIains de Glencoe tardèrent un peu trop à venir prêter allégeance, et le chef du clan se présenta à Fort William le 31 décembre.
Malheureusement il était au mauvais endroit, et devait prêter serment à Inveraray, à trois jours de voyage de Fort William. Ces trois jours de retard scellèrent le destin des Macdonald. Ils avaient prêté allégeance à Guillaume, mais avaient perdu sans le savoir le pardon du Roi. Pensant qu’ils avaient fait pour le mieux, le clan ne se méfia pas lorsqu’une troupe de soldats anglais accompagnés de membres du clan Campbell (pourtant leurs ennemis depuis des générations !) leur demandèrent l’hospitalité durant une tempête de neige de février. Chaque foyer accueillit ainsi un soldat chez lui, lui donna un couchage, le nourrit, lui donna à boire, et tout le monde alla se coucher dans la joie et la bonne humeur. Au petit matin, les soldats de Guillaume sortirent leurs épées du fourreau et massacrèrent sans ménagement tout les Macdonald qu’ils croisèrent. Donc, 38 hommes furent massacrés, et 40 autres périrent dans la tempête. Les Campbell étaient tout fiers, le roi Guillaume considéra qu’il avait accompli une bonne chose, et l’on en parla plus.


Et voilà la belle histoire du massacre de Glencoe. Une chose est sûre, ne jamais faire confiance à un Campbell, et les anglais sont vraiment des fourbes !


Bon, sur-ce j’ai fait ma WikiGuixxx, vous avez appris de belles choses sur un pays injustement non-indépendant, que je vous conseille au passage de visiter hein, et surtout vous allez lire Un bucher sous la neige, parce que.

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le 14 févr. 2022

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GuixLaLibraire

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