L'un des meilleurs livres rencontrés cette année. Je l'ai lu il y a six mois et j'en garde encore une forte impression. Je ne connaissais pas du tout James Salter, même de réputation et c'est une chronique de Marina Rollman, la suissesse de France Inter, qui me l'a signalé. Salter écrit son roman en 1975 mais il fait commencer cette mini saga familiale à la toute fin des années 50. Il nous fera partager la vie d'une famille américaine, aisée et cultivée, sur deux décennies. "Light years" n'est pas bondé d'événements ou de d'aventures. Il s'agit plutôt d'une quête que chacun entreprend à la recherche du sens, du combat de chacun contre la mortalité et la fin qui vient. Roman assez sombre par moments, "Un bonheur parfait" prend le contre-pied de son titre français, et c'est tant mieux.


Les héros de ce beau roman ne sont pas confrontés à l'innommable, au crime, à la pauvreté, au désespoir. Protégés par un style de vie élégant et aisé, où se croisent moultes artistes et intellectuels (parfois réels) , les drames qu'ils rencontrent seront ceux qui nous menacent tous, la maladie, le doute, la solitude et aussi la venue de cette vieillesse qu'ils redoutent et dont ils scrutent les signes avant-coureurs. Salter nous fait certes vivre l'intimité dorée de ses personnages, de soirées entre amis cultivés en Noëls magiques avec leurs enfants, de sorties rupestres en voyages à l'étranger. Cette existence riche et équilibrée est bien sûr menacée et l'art de Salter consiste à laisser doucement s'élargir des fissures dans ce bal doré.


L'adultère, la volonté de se définir comme un individu hors du couple, le libertinage presque (on parle ici des années 60 et 70 après tout) vont miner le couple standard des années 50, vont éroder les liens qui paraissent indestructibles Le mari, Viri, va découvrir ses faiblesses, en une très bonne analyse des " character flaws", tandis que sa femme Nedra va découvrir sa liberté et son indépendance. Leurs enfants, que l'on rencontre tout petits, vont aussi connaitre leur propre développement. Ce livre est un parcours et on comprend qu'il s'étale sur de nombreuses années. Les personnages annexes, amis et artistes, connaissent eux-aussi des aléas dont personne n'est à l'abri.


"Light Years" est curieusement parcouru de références à la culture française, sans doute des clins d’œil à l'expérience réelle de Salter. Mais celui-ci nous entraîne aussi chez des Britanniques et le livre s'attardera (trop) longuement en Italie. On a presque le sentiment un peu de voir un résumé des films de Woody Allen.
Le style de cet auteur est vraiment ébouriffant et la lecture (en anglais) est un régal. On vole de paragraphe en paragraphe , toujours saisi par une image, par une série de phrases courtes, presque scandées. Au hasard:



Morning. The earliest light. The sky is pale above the trees, pure, more mysterious than ever, a sky to dizzy the feddayeen, to end the astronomers's night. In it, dim as coins on a beach, two stars...



On pourrait reprocher à Salter d'avoir choisi un milieu très particulier, un poil trop self- indulgent, mais les angoisses qu'il inflige à ses personnages n'en sont que plus vives, et magnifiquement présentées. L'oeuvre de démolition n'en est que plus poignante, tout en restant universelle, je trouve.


Bref, un très chouette livre, profond et superbement écrit, que je n'ai aucune difficulté à vous recommander. Je vais sérieusement travailler à approfondir ma rencontre avec cet auteur. Check it out, guys et guysettes!

nostromo
9
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Arrêtez tout et lisez-moi ce truc... :-) et Mes étagères se remplissent , Ikea est content...

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le 8 sept. 2020

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nostromo

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