Spinoza publie anonymement, en 1670 son deuxième ouvrage après Les Principes de la Philosophie de Descartes (1663) dans lequel il avait ajouté ses Pensées Métaphysiques. Jusque là, en terme d'écrit propre, Spinoza ne s'est pas nécessairement illustré, mais l'intellectuel est bien connu aux Pays-Bas pour sa vision très personnelle de la religion.
Certains le disent athée, et depuis la publication des Principes, le climat, en Hollande, ne s'améliore guère pour ce qui est de la liberté de culte. Plus que jamais, la question de la liberté de croyance est mise à mal. Or, Spinoza est pleinement satisfait de résider en Hollande, justement pour la liberté incroyable de ce pays au vu des autres royaumes européens. Il tient à défendre cette liberté de culte, cette liberté de parole et affirmer que non, il n'est pas athée. Prenant une pause dans la rédaction de son grand traité, l'Ethique, il commence la rédaction du Tractatus en 1665.


Le moins que l'on puisse dire, à la lecture de cet ouvrage est qu'il s'agit probablement de la pire défense de tous les temps. Spinoza décide, en effet, d'étudier la Bible elle-même, de voir par le texte, le sens véritable qui est en lui et surtout de se rappeler à chaque instant que ce livre, sacré certes, n'en demeure pas moins un livre, c'est à dire capable de souffrir les outrages du temps et les invraisemblances de la pensée humaine.
Spinoza fait preuve d'un rationalisme assumé qui ne se veut jamais irrespectueux mais qui, il faut le dire, a dû paraître plus que limite pour ses contemporains. Ainsi, les folies que les prophètes racontent viennent du fait que, quand bien même Dieu communique, il leur parle via l'imagination et non via l'entendement. Les prophètes ne sont donc pas source de vérité et restent les hommes de leurs temps, simplement ils connaissent bien la morale et la vertu, mais pour la science, ils restent ignorant. Ainsi se trompent-ils souvent sur la nature de Dieu.
Les prophètes ont une imagination exacerbée. Or, Spinoza note que l'imagination est inversement proportionnelle à l'entendement. Donc, logiquement, Moïse, le plus grand prophète est nécessairement celui doté du plus faible entendement.
S'étonnera-t-on que le discours de Spinoza n'ait guère convaincu qui que ce soit ?
Celui-ci n'en fut pas dupe et publia anonymement le Traité Théologico-Politique même si, quelques mois seulement après sa publication tous surent que c'était lui l'auteur. Ce traité fut d'ailleurs lu et vivement critiqué par l'ensemble des intellectuels européens.


Il faut dire que si Spinoza croit bel et bien en Dieu, on a du mal à penser qu'il croit encore véritablement que les Prophètes aient été inspirés par Dieu. Même si il ne dit jamais clairement qu'il pense que c'est faux, de nombreux passages montrent à quel point, pour un prophète, cela peut tenir de la manipulation et de l'usage politique. Spinoza analyse également le judaïsme avec un regard d'une telle force et d'une telle agressivité qu'aujourd'hui, si on voulait publier un ouvrage identique, le mot « antisémite » serait tout de suite utilisé.
Spinoza démystifie l'ensemble de la Torah et montre toutes les contradictions internes. Pas de peuple élu, pas de supériorité des juifs sur les gentils et le grand prophète Moïse était, en sommes, un roi. Cela dit, on ne peut parler d'antisémitisme de Spinoza en cela où il considère que justement l'état hébreux était théoriquement parfait mais impossible à faire revivre … Plus d'une ligne, à ce sujet, peut évoquer l'actualité brulante du conflit Israëlo-Palestinien. Au sujet du judaïsme, cette religion qui aurait dû s'éteindre selon lui, Spinoza souligne que son existence tient à la haine viscérale des nations envers le peuple juif. Là encore, Spinoza prouve qu'il ne renie pas ses racines mais qu'il fait une distinction théorique/pratique. La revendication du judaïsme comme stigmate rappelleront les travaux, pourtant moderne, du sociologue Goffman.
Une preuve de plus, si il en était besoin, de la profonde modernité de Spinoza.


L'ouvrage se concentre donc sur une lecture et une interprétation de la Bible. Et Spinoza ne cache pas qu'il est relativement chrétien. Il croit au Christ et à l'Evangile. Il est d'ailleurs très doux envers les apôtres qu'il juge modeste. On comprend alors sa haine des prophètes, qui s'imposent beaucoup plus comme parole de Dieu.
La chrétienté de Spinoza lui permet de justifier son discours : la religion c'est obéir à Dieu. Or, obéir à Dieu c'est faire preuve de charité et de justice. Tout le reste n'est que dogme qui n'a d'utilité que socio-politique. La nature de Dieu, pour sa part, concerne les philosophes et non la Foi. La Foi traite de l'obéissance, la philosophie du vrai.
De là, on comprend les 5 derniers chapitres du traités, très forts et très vifs qui imposent que les dogmes, les cultes et tout cela doivent revenir à l'Etat car la Religion entant que telle ne saurait s'exprimer en-dehors de l'Etat mais, si c'est elle qui commandait l'Etat, elle serait une gêne. De plus, l'état, pour sa propre sécurité, doit instituer et rendre obligatoire la liberté de parole et de jugement.


Or, c'est ce qui me gêne. Non pas la thèse elle-même de la liberté, mais comment elle est conduite par Spinoza. Encore que, je dois bien l'avouer j'ai beaucoup de mal avec la compréhension de Spinoza du culte religieux géré par l'Etat. C'est, pour moi, un non-sens de revendiquer la liberté de culte et en même temps de dire que c'est au souverain de l'instituer. Tout ce passage est à mon sens relativement mauvais car il montre à la fois le rejet des théologiens, des ministres du culte (ce qui est une bonne chose), le désir du maintient du culte dans l'Etat et en même temps, la liberté totale de croyance. Or, ces éléments, trop mêlés deviennent contradictoires, ce qui amène Spinoza à faire de pareils choix.
Cela dit, la lecture est très plaisante et Spinoza qui interprète la Bible reste quelque chose de très intéressant. La lecture du Traité Théologico-Politique est donc un moment de culture vivifiant même si on regrettera que certains passages soient trop dans l'explicatif et que la thèse final de Spinoza paraissent ne pas avoir été suffisamment travaillé.

mavhoc
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le 4 juil. 2015

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