Je voulais critiquer ce livre de Michel Onfray depuis longtemps, mais je trouve qu’on se retrouve devant un certain nombre de difficultés qu’il est intéressant d’expliciter tout en évitant de donner l’impression qu’Onfray est en fait un stratège, idée que je retrouve souvent dès que je discute du personnage médiatique sans pouvoir bien l’expliquer. Car à la lecture de ce livre « majeur » d’Onfray, je me retrouve surtout dans un livre très maladroit dans son style que dans les idées développées, truffé d’approximations même si paradoxalement s’intégrant parfaitement dans les problématiques du discours médiatique dominant du moment. N’ayant pas la chance (ou la malchance) d’avoir lu d’autres livres de l’auteur et n’ayant jamais réussi à m’intéresser au propos général de l’auteur, je reconnais une certaine limite de mes analyses qui se limiteront à la lecture de ce fameux traité d’athéologie.


Comme je le disais, il m’a semblé difficile de faire la critique de cet ouvrage car il faut des conditions d’acceptabilité, et de désir de notre interlocuteur pour que notre discours puisse être accepté, manière de dire grosso modo que plus on se rapproche de l’opinion commune, de la doxa, plus on a des chances d’être compris. Or ce qui me pose problème est que justement le texte d’Onfray utilise très bien l’opinion commune pour alimenter son propos permettant de rendre son propos efficace et convaincant bien que problématique ou malhonnête intellectuellement par les biais utilisés. Ce qui rend la critique plus difficile car on doit aussi relever certains biais problématiques. S’il est relativement facile de relever des erreurs, des approximations, il est plus ardu de souligner en quoi certaines « postures » sont problématiques car reposant sur des postulats étranges notamment la manière qu’à l’auteur de parler de lui.


Par exemple, le philosophe se met en scène en début du livre pour évoquer l’absurdité d’une position d’un croyant musulman rongé par la culpabilité. Il évoque son « expérience personnelle » en évoquant longuement au cours d’un voyage sa rencontre avec un homme musulman rongé par la culpabilité parce qu’il aurait tué un chacal par accident. Si cette évocation de la vie personnelle semble un argument très convaincant permettant de souligner en quoi la religion peut être absurde, elle est en fait très contestable car contrairement à l’opinion commune, le vécu n’est pas un vrai argument en soi. Il y a simplement corrélation que l’expérience vécue puisse mener vers la connaissance, mais il n’a pas causalité (on peut en effet tirer de l’expérience une connaissance, mais l’expérience ne constitue pas le seul moyen de connaissance(1)). Tout le voyage décrit pour montrer l’absurdité de la religion – en plus d’être potentiellement inventé – ne sert à rien qu’à utiliser une fausse bonne argumentation se basant sur l’opinion commune insistant sur la force rhétorique du vécu pour nous faire adhérer d’une manière contestable à son propos. Le vécu de l’auteur n’a aucune valeur argumentative, rendant très discutable l’évocation de ce voyage dans ce pays musulman pour démarrer son argumentation même si ce storytelling est assurément efficace. L’auteur aurait très bien pu se passer de raconter ce voyage parce qu’il ne repose finalement que sur sa force « d’histoire vraie », « d’histoire vécue », de « sentiments réellement éprouvés » pour nous faire adhérer à son propos ou à se rendre légitime ou sympathique.


Pardonnez la lourdeur de ce dernier paragraphe, mais cela me semblait nécessaire pour souligner un point parmi d’autres que j’ai eu avec l’écriture en elle-même, j’aurais pu multiplier les exemples de ce style avant même d’analyser le propos du livre qu’il est en plus sans cesse en décalage de ce qu’il prétend être ou dire. Par exemple, on pourrait croire que ce livre a pour thèse principale de militer pour l’athéisme, c’est-à-dire de montrer un mode de raisonnement qui prouve qu’il n’existe aucune divinité, aucune religion monothéiste plausible. Certes, le thème est abordé, mais résumer le texte à cette idée serait trompeur, bien que le texte donne parfois l’impression d’être juste un texte défendant l’athéisme. En effet, le livre s’inscrivant aussi en plein en lien avec l’actualité du moment de 2005 en pleine guerre d’Irak, en période post-11 septembre, de tensions entre les États-Unis et Irak, de « guerre de religions ». Il s’attarde par exemple beaucoup sur l’Islam non sans faire écho avec certaines inquiétudes du moment, en tentant de souligner à quel point c’est une religion problématique. Si aborder le sujet de cette religion n’a rien de problématique en soi, elle témoigne des ambiguïtés d’un texte qui se prétend être un traité d’athéologie, un livre de philosophie, mais qui ne se résume pas simplement à cette ambition. C’est dire si résumer ce livre à l’athéisme serait trompeur et témoigne d’une ambivalence du propos du livre, ambiguïté qui se poursuit avec le regard sur les croyants.


Le texte les décrit en effet de manière assez stéréotypée, les décrivant surtout à travers le texte religieux, ce qui me pose un problème car on se retrouve devant une vision essentialiste du texte religieux comme si ce dernier permettait en soi de comprendre l’ontologie référentielle à la dépendance à la religion. En effet, par exemple en se focalisant essentiellement sur le contenu du texte religieux que ce soit la Bible ou le Coran pour expliquer leur impact ou leur influence, Onfray tombe dans un raisonnement qui fait du texte sacré l’origine de tout problème (comme si finalement il reconnaissait leur caractère sacré n’ayant pas de cause expliquant leur origine) qui n’est pas sans lien avec ceux qu’il est censé combattre.


Écueil qui n’est pas sans faire écho avec son combat pour l’athéisme car finalement ce traité d’athéologie est assez pauvre en arguments, donnant souvent l’impression de défendre une « croyance » simplement différente de celles des religions monothéistes. On peut penser à Kant qui met en garde des limites dans le domaine de la connaissance telle la question de l’existence ou l’inexistence de Dieu car contrairement à ce que pensait Descartes on ne peut déduire d’un concept son existence selon lui. Si bien qu’on ne peut déduire à la suite de cela l’existence ou non de Dieu (2) Mais réciproquement, toute profession d'athéisme qui voudrait s'appuyer sur la science pour affirmer l'inexistence de Dieu est, elle aussi, renvoyée du côté de la simple croyance : toutes ces questions, qui concernent les « Idées transcendantales » (Dieu, l'âme et le monde), sont hors de portée de l'entendement humain. (3)


Tout cela pour souligner que l’athéisme défendu par Onfray pose donc problème, pas seulement par la manière d’utiliser l’histoire pour affirmer que l’athéisme est un combat « allant de soi » (notamment celui de faire de Nietzsche par exemple le penseur phare de l’athéisme qui donne un aperçu trompeur du contenu réel de la philosophie de ce dernier) ou dans sa manière de dénoncer les travers des religions monothéistes (en n’hésitant pas à comparer religion et nazisme (sic) par exemple), mais parce qu’il se confronte aux limites dans le domaine de connaissance humain en affirmant des choses sans qu’il soit à la portée de l’entendement humain (comme l’inexistence divine). Bref, il serait trop long pour relever toutes les bizarreries du texte, mais peut-on au moins relever que ce traité d’athéologie me pose problème parce qu’il ne propose pas grand-chose d’original au final (à commencer par le regard sur les religions) ni dans sa position dite philosophique ni dans sa « dénonciation » me laissant dans la perplexité la plus totale quand ce livre est décrit (ou son auteur) comme important.


(1) Hegel, Georg Wilhelm Friedrich, and Bernard Bourgeois. Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé. J. Vrin, 2012.
(2-3) Besneux, Jean-Michel. Usages de la causalité dans l’argumentation. Normandie Université, 24 May 2017. tel.archives-ouvertes.fr, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01743775.

Plokijun
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le 7 avr. 2021

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