Profitant de la trêve des confiseurs, je me suis attaquée à pavé de 600 pages qui m'avait été offert et que j'avais relégué en bas d'une pile depuis 2 ans, trop gros, trop lourd (et de lourdeur il sera question).
Et puis j’ai peu d'affinités avec l'écritures hispanique, ou sud américaine: trop ampoulée, trop imagée, trop.
C'est quoiqu'il en soit encouragée par les éloges faits à ce roman historique ambitieux que je me suis lancée dans cette lecture qui me laisse au final un peu perplexe.



Un roman qui patauge dans l'histoire



Toutes les vagues de l'océan a l'ambition de dérouler l'Histoire sur une vaste période du XXème siècle.


Ce XXème siècle qui fut un foisonnement d'utopies dont la plupart a péri dans le sang et les larmes.


Et c'est précisément ce qui intéresse Victor Del Arbol: le passage de l'utopie à la dévastation.


Pour l'illustrer il inscrit ses personnages dans l'histoire du communisme, dont les espagnols ont déjà tiré de grandes figures romanesques.


L'idée est belle et bonne, mais son traitement laisse un peu frustré en raison des approximations historiques de l'auteur, dont on nous dit qu'il serait historien de formation, et qui, pour ne citer que cet exemple, situe la drôle de guerre après la capitulation française de juin 1940, ce qui entâche légèrement la crédibilité des propos avancés...


Cette frustration résulte aussi du fait que chaque événement abordé n'est que survolé. La quatrième de couverture invoquait la terrible Nazino, l’île des cannibales, dont on ne saura finalement que peu de choses, si ce n'est qu'elle a été le théâtre d'une barbarie difficilement nommable. On aurait également aimé en apprendre plus sur les camps de réfugiés d'Argelès...


Le roman a quoiqu'il en soit le (grand) mérite d'évoquer ces événement et de donner l'envie d'en savoir plus au lecteur.



Des personnages à l'amer noir



Le moins que l'on puisse dire, c'est que Victor Del Arbol n'est pas un optimiste! Si vous cherchez de la lumière dans les personnages, passez votre chemin, ils sont tous noirs, mauvais ou au mieux médiocres, parfois à deux doigts de la caricature.


Le véritable propos du roman c'est de démystifier l’héroïsme, de ramener notre faible humanité au centre de toute histoire.


Il n'est pas de héros sans zone d'ombre, parce qu'au final, chaque homme poursuit le même but: survivre (thèse développée avec une limpide splendeur par Henri Laborit dans son Éloge de la fuite, mais c'est une toute autre histoire...).


Le protagoniste, Elias, est la figure paternelle du héros, idéaliste à la recherche d'un avenir meilleur. Boursier de Staline il rejoint l'URSS pour s'y former comme ingénieur et se heurte d'emblée au délire paranoïaque du régime bolchevique: la calomnie, les aveux sous la torture, la déportation, dont Elias reviendra, au prix de son intégrité.


C'est peu ou proue ce que certains auteurs comme Primo Levi, en peu de mots, ont déjà évoqué: les meilleurs d'entre nous sont morts, les autres ont survécu... Survivre n'est pas un mérite, mais un instinct, une lutte.


La thèse une fois de plus est très intéressante, mais assénée à coups de burin sur 600 pages, elle finit par peser et, paradoxalement, devenir presque moralisatrice.


Avec Elias, Del Arbol a réussi a créer un personnage des plus ambigus, synthétisant parfaitement sa thèse: à la fois victime et bourreau d'un même système à broyer les individus, capable de l'intransigeance aveugle que seule permet la certitude d'avoir raison, et en même temps de trahir sa cause pour tuer ses propres démons...


Et c'est alors que tout est parfaitement en place, que l'auteur se fourvoie en faisant d'Elias, jusque là humain faillible, un monstre abject et répugnant,


immonde alcoolique pathétique violeur de sa propre fille.


En jouant la surenchère, l'auteur brise ce qui faisait la justesse de son analyse: l'humanité. Tous ses actes sont désormais compréhensibles et "acceptables", car c'était un monstre, ce n'était pas vous, ce n'était pas moi.


Retour au manichéisme, 500 pages pour en arriver là, quel dommage.


L'intrigue principale n'a quant à elle rien de très original: un vaste complot où tout est joué d'avance, tenu par une organisation mafieuse russe, avec à sa tête un individu lambda...


Reconnaissons néanmoins que l'affaire est bien menée et que Del Arbol sait tenir son lecteur pour ménager le suspens.



Trop d'encre sous les ponts



Un peu comme cette critique, Toutes les vagues de l'océan est long, très long... C'est pas tellement qu'on s'ennuie au demeurant, le roman est, côté suspens, plutôt bien construit, mais tant de pages ne sont que la redite des précédentes ...


Pour le coup, c'est comme les rouleaux sur la plage, quand on a l'impression d'en sortir on est ravalé vers le fond...


Le style est épuisant à force d'insistance, comme si l'auteur avait besoin de s'assurer que le lecteur a bien compris tel ou tel point, et la manœuvre est parfois très, très grossière, comme celle consistant à ouvrir une parenthèse après une affirmation pour rappeler qu'elle fait référence à un événement précédemment évoqué...


Exemple (divulgâcheur)


"Étrangement, la révélation de Gonzalo (il savait qu'elle avait eu une aventure et que Javier n'était pas son fils) ne lui avait fait honte que sur le moment."


POUAH! ON VIENT DE LIRE LIRE 3 PAGES PLUS HAUT!


Le texte est en outre parsemé ça et là de tournures de phrases approximatives, parfois assez pénibles, dont je ne parviens pas à déterminer si elles proviennent du style de l'auteur ou de la traduction, tant parfois elles virent au ridicule.


La traduction française du titre laisse d'ailleurs perplexe, l'original étant Un million de gotas, titre qui pour le coup faire référence directe et explicite à un poème qui sera au cœur de tout le roman.


L'auteur s'égare par ailleurs en ajoutant sans cesse de nouveaux sujets de détresse à ses personnages: la pédophilie, le trafic d'êtres humains, les violences conjugales, la corruption, les enfants guerriers africains, le viol... alourdissant son récit de manière parfaitement inutile.


Au final, Toutes les vagues de l'océan est un roman tout à fait honorable, et quoiqu'il en soit toujours au dessus de la masse, mais qui pêche de cette ambition démesurée qui, incontrôlée, devient prétention, laquelle est parfaitement illustrée par l'imbécile épilogue qui vient gâcher ce qui aurait pourtant été une fin à couper le souffle.


A toutes fins, si le sujet vous intéresse vraiment, allez lire L'homme qui aimait les chiens de Leonardo PADURA, auteur cubain qui lui, a réussi une PURE MERVEILLE de littérature et de suspens en traçant les destins parallèles de Trotski et de son assassin, l'espagnol Ramon Mercader, couvrant ainsi la même période que Del Arbol, mais de manière on ne peut plus flamboyante.



RESUME



2002, Gonzalo Gil apprend le suicide de sa sœur Laura, quelques mois après que son fils a été assassiné, avec laquelle il n'avait plus de contact depuis que cette dernière s'était rebellée contre le mythe paternel : Elias Gil, héros de la résistance communiste, dans une Espagne déchirée une bonne partie du XXéme siècle.


Un peu malgré lui, Gonzalo, en se penchant sur les incohérences dans la mort de sa sœur, va rouvrir les portes d'un sombre passé familial qu'il avait oublié et qui le mènera sur les traces de son père depuis son départ pour l'URSS en 1933 jusqu'à son retour définitif en Espagne, bien des années plus tard.


Comme une renaissance, Gonzalo va s'extirper de la médiocrité de son existence et découvrir un monde de douleurs, de rancœurs et de manipulations dirigé d'une main de fer par une énigmatique organisation mafieuse russe délicieusement appelée la Matriochka...


Traduction: Claude BLETON


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le 2 janv. 2018

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