Et me voilà attelé de nouveau à des nouvelles du roi... Cela commence à devenir habituel, et c'est on ne peut plus plaisant. Car Stephen King ne cesse de nous régaler de ses courtes histoires, à intervalles réguliers. Et je dois avouer que j'ai parfois bien plus adhéré à ses recueils de nouvelles qu'à ses romans monumentalement denses. Enfin.
Tout est Fatal n'est pas aussi convaincant que Brume. Je me permets la comparaison entre les deux oeuvres car elles recouvrent toutes deux des histoires de différents genres sans ordre apparent, et je n'ai pu m'empêcher de ressentir les mêmes "efforts de lecture". Le terme, vous l'aurez remarqué, est entre guillemets, car comme dans tous bons livres de King (c'est-à-dire tout ce qu'il a écrit en ayant conscience du fait qu'il était humain et doué de sentiments (ce qui soulignait la cruauté, plutôt que de la ridiculiser, comme dans Misery...)), ça se lit délicieusement bien.
Mais reprenons. Tout est Fatal est tout de même décevant. C'est un très bon recueil, et je le défends naturellement ici, néanmoins je n'ai pas pu sortir de ma lecture franchement convaincu, comme ce fut le cas après Brume. Je me rappelais être dans une sorte d'extase, de vivre dans un microcosme-fourmilière grouillant d'histoires implantées par King. Et moi je n'étais que l'homme fasciné et perdu au milieu de tout cela. Chaque histoire ressurgissait, plus impressionnante encore qu'auparavant. Là, non. Ceci s'explique, dans mon cas, de manière assez simple.
Premièrement, la présence d'un certain nombre (deux, en fait: "Salle d'autopsie quatre" et "Salle d'exécution") de nouvelles à seule vocation divertissante, mais sur lesquelles je n'ai pas accroché. J'adore tout à fait les nouvelles à ton un peu plus "léger" que l'habitude de King. J'aime beaucoup, de temps en temps, ne pas avoir à réfléchir et seulement suivre l'action, sans véritablement me demander ce qui arrive après. Mais là, non, ça n'a pas collé. La structure était à chaque fois très simple, et je me rends compte que dans un premier cas, c'était le ridicule qui génait, et dans le second la banalité. Je m'explique. Dans "Salle d'autopsie quatre", on sent très bien que Stephen King voulait seulement explorer une situation. Et rien d'autre. Ainsi, on nous présente une explication acadabrantesque, que l'on sent venir, puante, dès le début de la nouvelle. Car on sait que nous ne sommes pas dans une histoire relevant du fantastique, et dès ce moment atteint, on craint l'explication rationnelle finale. A juste titre. Etant la première nouvelle, c'est une très mauvaise entrée en matière, qui m'a véritablement apeuré. Heureusement, la suite sera bien meilleure. Mais là, nan, j'ai beau ne pas vouloir réfléchir, c'est beaucoup trop gros, beaucoup trop prévisible, beaucoup trop ridicule, ce qui au fond m'a dressé une sorte de muraille m'empêchant d'accéder au coeur de la situation particulière du personnage, et m'a donc laissé seul face à un spectacle qui loin de m'être indifférent, me désespérait. Secondement, "Salle d'exécution". Alors je ne sais pas si j'ai dès le début mal perçu l'intérêt de la nouvelle, si elle est volontairement caricaturale ou quoi, mais je n'ai pas du tout apprécié. C'est pourquoi je demande qu'on prenne mon jugement avec des pincettes, car je suis peut-être passé royalement à côté de l'histoire. En fait, je me suis cru dans un de ces nombreux films où le héros est prisonnier d'une situation absolument terrible, mais s'en sort quand même. Si dans les films cela passe, et j'apprécie même ceci, en nouvelle, c'est relativement chiant. C'était tellement cliché. Tellement volé à un univers épuisé depuis un moment. Alors si King voulait faire un pastiche novellisé de ce type de films, ou juste un hommage, je pense que c'est réussi. Ce qui n'empêche que je n'ai pas passé un moment particulièrement agréable à la lecture de cette nouvelle.
Ensuite, le second point, et le pire à mes yeux, justifiant ma déception relative à la lecture de cette oeuvre, est la nouvelle "Les Petites Soeurs d'Eluria". Encore une fois, mes remarques vont être ultra-subjectives, et ne vont toucher que MOI. Car sur un plan littéraire, c'est une nouvelle très bien écrite, ménagée et travaillée. C'est une nouvelle déstabilisante mais laissant le lecteur "s'installer". Sauf que voilà. C'est l'univers de la Tour Sombre (saga que je n'ai jamais lue), et ce fut un calvaire. Je n'ai absolument pas réussi à rentrer dans ce monde. A aucun moment j'ai été "dans l"histoire". Alors, est-ce du au fait que je n'ai pas lu ladite saga, ou bien est-ce simplement une question de goût? Je n'aime peut-être pas cet univers, tout simplement. Le plus intriguant étant que sur le papier, je bave devant. Je veux dire par là que les brins d'histoire que je lis ici où là me donnent très envie de m'y mettre, mais "Les Petites Soeurs d'Eluria" m'ont calmé, c'est sûr. Et le plus gros souci, c'est qu'on a là la plus grosse nouvelle du recueil. En plein milieu du bouquin. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il y a eu là à mes yeux un mauvais choix de Stephen King dans la décision d'afficher un épisode de la Tour Sombre dans un de ses recueils de nouvelles. C'est un univers très particulier, dense, et c'est une histoire longue. Presque une novella. C'est risqué. Pour un lecteur comme moi, qui n'a pas adhéré, ce fut un calvaire. Mais bon, le reste était globalement bon, voire très bon.
Je vais bien m'arrêter avec les points négatifs, puisqu'il y a d'innombrables qualités. Citons des nouvelles imparfaites, mais très plaisantes à lire! "Tout ce que vous aimez sera emporté" parvient à instaurer une ambiance très spéciale, autant dire "bizarre", absolument bousculante pour le lecteur ce qui, évidemment, est une qualité. Et notons l'originalité extraordinaire de la nouvelle pourtant peu mouvementée! "La Mort de Jack Hamilton", bien qu'un peu longue, est très touchante et dégage une atmosphère chaude de l'époque de Dilliger. Quelques pages longuettes pour se mettre dedans, et après c'est un pur plaisir, vraiment.
Et il y a les très bonnes nouvelles. Celles qui marquent les esprits. Celles qui justifient à elles-seules l'achat du livre. "L'homme au costume noir", terriblement visuelle, fout vraiment les jetons. Je me suis carrément arrêté de lire un instant, parfois. Cruelle, hallucinante. Un chef-d'oeuvre du genre. "Tout est fatal", également fascinante. Au sens proximal du terme: on reste vraiment scotché tout du long, pas parce que l'histoire est incroyable, où le style à couper le souffle, mais simplement parce que c'est addictif. On commence à lire ça, on ne s'arrête pas. Pas un chef-d'oeuvre, certes, mais quelque chose de miraculeux pour le lecteur amoché par les "Petites Soeurs d'Eluria" juste avant... Puis "L.T. et sa théorie des A.F.". King décrit cette nouvelle comme sa préférée du recueil. C'est de même pour moi. Un bijou, un chef-d'oeuvre, un caviar iridescent de préciosité. Gigantesquement émouvant, variant les sensations de lecture avec une facilité vexante, bien construite, bien tournée, originale au possible, je dis un grand bravo, et je crie CHEF-D'OEUVRE! "Quand l'auto-virus met cap au nord", là encore un très haut niveau et cette fois-ci dans le pur divertissement. Un scénario flippant pour une nouvelle juste flippante. Pas d'artifices autour. Juste une écriture suffisamment bien maitrisée pour que je regarde autour de moi plusieurs fois pendant la lecture! "Déjeuner au Gotham Café" est peut-être d'un niveau moindre, mais tout aussi divertissante et jouissive à la lecture. Un gros plaisir à lire. Puis "Cette impression qui n'a de nom qu'en français"... King dit que c'est une nouvelle sur l'Enfer. En fait, ce n'est pas la nouvelle qui m'a fait le plus peur (en fait, elle ne m'a pas fait peur et je ne crois pas que ce soit son but), mais c'est certainement celle qui m'a le plus marqué, le plus travaillé. Dans le sens où cette vision de l'enfer, je la partage aisément, je la crains parmi toutes. La plus marquante pour moi, donc, brouillant les pistes, nous enfonçant dans un cauchemar toujours plus terrible... "1408", assez connue grace au film, très bien menée, qui malgré un "scénario classique", m'a paru très originale. J'ai beaucoup apprécié, bien que je n'ai pas ressenti de peur particulièrement. Peut-être que si je la lisais dans une chambre d'hôtel... "Un tour sur le bolid'", purement divertissante, plaisante au possible. Là encore une atmosphère particulièrement réussie. Enfin, vous m'excuserez, mais "Petite Chansseuse" m'a laissé plutôt indifférent. Pas déçu, pas enthousiaste. Un retour à la réalité en douceur.
Donc voilà, si ce recueil nous offre une des nouvelles les plus difficiles à lire parmi les écrits de King et quelques ratés, on a quand même le droit à une série de 7 nouvelles fantastiques consécutives qui, franchement, valent le coup.

Wazlib
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le 11 janv. 2013

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